Les aliments ultratransformés ont des effets négatifs forts sur la santé en quelques semaines
Dans le cadre d’un essai clinique analogue à ceux qui sont utilisés pour tester les médicaments, des scientifiques ont étudié les impacts sur la santé d’une alimentation riche en aliments ultratransformés. De nombreux processus biologiques sont affectés.
Les humains ne sont pas adaptés à la nourriture industrielle ultratransformée. C’est, à grands traits, la conclusion saillante d’un essai clinique que publie une équipe de recherche internationale, jeudi 28 août, dans la revue américaine Cell Metabolism. Coordonnée par le biologiste Romain Barrès, chercheur à l’Institut de pharmacologie moléculaire et cellulaire de Sophia Antipolis (Inserm, CNRS et université Côte d’Azur), cette étude confirme de nombreux résultats récents issus d’observations épidémiologiques. Elle indique surtout, avec un haut niveau de preuve, que les aliments ultratransformés (AUT) sont délétères, indépendamment de la quantité de calories ingérées. Prise de poids rapide et importante, santé cardio-métabolique dégradée, équilibre hormonal perturbé, fertilité masculine altérée : selon ces travaux, inédits par la minutie du protocole mis en œuvre, ces aliments semblent avoir un impact profond sur de nombreux processus biologiques.
« La consommation d’aliments ultratransformés a fortement augmenté au niveau mondial, écrivent les chercheurs. Elle représente désormais plus de 50 % de l’apport calorique au Royaume-Uni, en Australie, au Canada et aux Etats-Unis. »Les données de la cohorte épidémiologique Nutrinet montrent qu’environ 35 % de l’apport calorique moyen des Français provient d’AUT – ceux-ci représentent environ 80 % de l’offre de produits alimentaires de la grande distribution.
Les AUT sont obtenus grâce à des processus industriels destinés à modifier leur texture, leur goût ou leur durée de conservation, et ils contiennent des additifs (émulsifiants, édulcorants, exhausteurs de goût, conservateurs et sels nitrités, sucre inverti, etc.) que les particuliers ne peuvent se procurer dans le commerce. Céréales du petit déjeuner, nuggets et viandes transformées, nouilles instantanées, soupes déshydratées, sauces, pains et biscuits industriels, boissons sucrées ou desserts lactés : la base de données OpenFoodFacts permet aux consommateurs de s’y retrouver en donnant pour chaque produit son score de transformation, selon l’échelle NOVA, dont le quatrième et dernier échelon est celui des AUT.
Des résultats « intéressants et encourageants »
La plus grande part des études estimant le fardeau sanitaire de ces aliments provient de travaux épidémiologiques qui comparent l’état de santé de populations consommant beaucoup de ces aliments industriels et des individus qui en mangent peu ou pas. « La plupart de ces études indiquent que les personnes qui consomment le plus d’alimentation ultratransformée ont un risque accru de certains cancers, de maladies cardio-vasculaires ou métaboliques, comme le diabète ou l’obésité, et même de troubles mentaux, explique Romain Barrès. Mais ces travaux ne permettent pas toujours de savoir si c’est l’ultratransformation en elle-même qui représente un risque ou si ce sont les quantités excessives consommées qui sont en cause : on sait que les effets de ces aliments sur la satiété, par exemple, induisent une surconsommation par rapport aux produits non transformés. C’est à cette question, entre autres, que nous avons cherché à répondre. »
Pour étayer le lien causal entre AUT et maladies, les chercheurs ont procédé à un essai clinique, analogue à ceux qui sont menés sur les médicaments, dans lequel ils ont enrôlé une quarantaine de personnes. Dans un premier temps, l’alimentation des participants a été contrôlée pendant trois semaines : certains s’alimentaient avec des repas ultratransformés à plus de 75 %, tandis que l’on fournissait aux autres des repas composés d’aliments pas ou peu transformés, représentant strictement le même apport calorique. Après une pause de trois mois, les participants ont ensuite entamé la seconde phase de l’essai. Pendant trois autres semaines, les rôles ont été inversés : ceux qui avaient reçu une alimentation ultratransformée ont eu droit à une alimentation peu ou pas transformée, et vice versa.
Ces nouveaux travaux sont jugés « intéressants et encourageants » par Mathilde Touvier, chercheuse au sein de l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (Inrae, Inserm, CNAM, université Sorbonne-Paris Nord), autrice de nombreux travaux sur le sujet, et qui n’a pas participé à l’étude. « Le nombre d’essais contrôlés randomisés testant expressément l’impact d’une alimentation ultratransformée sur des paramètres de santé, tout en contrôlant le rôle joué par l’apport calorique, est très limité pour le moment », précise l’épidémiologiste française, principale investigatrice de la cohorte Nutrinet, dont les données suggèrent déjà que « les AUT semblent avoir un effet au-delà de leur profil nutritionnel ».
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Une grande part des biais expérimentaux écartés, les chercheurs ont évalué cette fois l’effet de trois semaines d’un régime alimentaire ultratransformé, à prise calorique constante. « Les résultats nous ont sauté au visage, dit M. Barrès. Nous ne nous attendions pas à des effets de cette ampleur. » Premier constat : en seulement vingt et un jours, le régime ultratransformé augmente la prise de poids de près de 1,5 kilo, principalement en masse graisseuse, par rapport à un régime pas ou peu transformé. Et ce, sans calories supplémentaires. « En fait, les personnes enrôlées dans l’essai avaient dans leur vie quotidienne un régime alimentaire déjà fortement ultratransformé, explique le chercheur. La différence de prise de poids entre les groupes s’explique en réalité par une perte de poids des individus qui ont été amenés dans notre expérience à réduire le niveau de transformation de leur alimentation. »
La biologie des individus bouleversée
Cette part « visible » de l’effet des AUT est associée à des bouleversements de la biologie des individus. Le taux de cholestérol, par exemple, est affecté, en lien avec une baisse de la concentration des hormones impliquées dans le métabolisme énergétique – c’est-à-dire la faculté de l’organisme à « brûler » les graisses et les sucres. Les auteurs mesurent également une tendance à la baisse des hormones impliquées dans la spermatogenèse et à une réduction de motilité des spermatozoïdes – lorsque le régime ultratransformé est associé à un excès de calories.
L’une des pistes explicatives ouvertes par l’essai est la teneur augmentée de certains contaminants dans l’alimentation ultratransformée. Les chercheurs mesurent ainsi une tendance à l’élévation de la concentration dans le sang d’un plastifiant – un phtalate (le cx-MINP) réputé être un perturbateur endocrinien – au terme de la transition vers un régime dominé par les AUT. « Cette contamination peut provenir aussi bien des emballages plastiques au contact des aliments que des nombreux processus de transformation qui augmentent le risque de contamination des produits finis par des polluants industriels », explique Romain Barrès. A contrario, les auteurs mesurent une concentration en « polluants éternels » (PFAS, pour « substances per- et polyfluoroalkylées ») supérieure chez les participants, au terme du régime peu transformé – une mesure que les chercheurs ne s’expliquent pas, « peut-être liée au mode de préparation des repas non transformés par l’entreprise avec laquelle nous avons travaillé », avance M. Barrès.
Plus surprenant, une baisse de concentration du lithium est également induite par le régime ultratransformé. « Or, le lithium est un régulateur de l’humeur, rappelle Romain Barrès. Il est possible que cela joue un rôle dans les troubles dépressifs associés à la consommation d’aliments ultratransformés. » En 2024, dans le British Medical Journal, une équipe internationale avait synthétisé les études observationnelles disponibles, notant non seulement des associations entre consommation d’AUT et maladies cardio-vasculaires, troubles métaboliques, cancers, mortalité toutes causes confondues, etc., mais aussi un lien avec les syndromes dépressifs.
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