L’administration Trump est en train de réaliser le sauvetage du régime de Poutine dont elle a besoin pour racketter l’Europe.

Françoise Thom, historienne : « Face à Vladimir Poutine, les Européens sont en position de force, mais ils ne le savent pas »

Tribune

L’administration Trump est en train de réaliser le sauvetage du régime russe, dont elle a besoin pour racketter l’Europe, estime, dans une tribune au « Monde », la spécialiste de la Russie, à deux jours de la rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine.

Publié le 13 août 2025 à 05h00, modifié le 13 août 2025 à 12h27 

Temps de Lecture 4 min. 

Ces temps-ci, au « brouillard de la guerre » s’est ajouté le « brouillard de la diplomatie ». Il est inutile d’essayer de démêler les impulsions confuses de l’administration Trump. Nous devons prendre pied sur le seul terrain solide à notre disposition : les objectifs russes – d’autant plus que c’est toujours de ce côté que bascule le président américain. Là, les choses sont claires. L’économie russe est en train de sombrer à un rythme accéléré.

Militairement, la Russie progresse, mais pas assez vite pour gagner la course avec le naufrage économique. A Moscou, on a une longue mémoire. On se souvient que la plupart des agrandissements territoriaux de l’Empire russe ont été réalisés avec la complicité et l’aide d’une ou de plusieurs puissances étrangères : dans le sillage de la Prusse et de l’Autriche pour le partage de la Pologne en 1772 ; en s’entendant avec la Turquie pour la reconquête des Etats caucasiens en 1920-1921 ; en s’appuyant sur l’Allemagne pour la reconquête des Etats baltes et l’annexion de la Galicie (pacte Ribbentrop-Molotov, signé en 1939). Pourquoi ne pas avoir recours à Donald Trump pour soumettre l’Ukraine ?

L’outil militaire est toujours un pis-aller aux yeux des hommes du Kremlin. Ils préfèrent de loin la manipulation et la subversion. Et c’est là qu’ils excellent, à cause de l’ignorance occidentale des méthodes de projection de puissance russes, pourtant toujours identiques. Outre la cooptation d’un complice étranger, la deuxième caractéristique de l’expansion russe est la tactique du salami. La Russie débite sa victime en tranches (on l’a vu avec l’Ukraine : d’abord la Crimée, puis le Donbass…) ; la première tranche acquise, elle passe à la deuxième, puis à la troisième.

Lire aussi |    La rencontre Trump-Poutine en Alaska célébrée par les propagandistes russes : « L’influence du Kremlin n’a jamais semblé aussi forte »

Les propositions russes à Steve Witkoff [envoyé spécial du président américain, qui s’est rendu en Russie le 6 août]illustrent ce procédé. Vladimir Poutine exige des Etats-Unis que ceux-ci, en préalable à une hypothétique négociation en vue d’un cessez-le-feu, forcent les Ukrainiens à évacuer les parties de la région du Donetsk qu’ils contrôlent encore, et qui sont les lignes fortifiées les plus solides du front ukrainien ; le tout en échange d’un bout de territoire symbolique dans la région de Soumy.

Lire aussi |  En direct, guerre en Ukraine : Volodymyr Zelensky met en garde ses alliés contre le risque de « tromperie » de la part de la Russie

Si Donald Trump se prête à cette manœuvre, la Russie gagne sur tous les tableaux. Elle obtient sans effort des marchepieds stratégiques pour la conquête du centre et du sud de l’Ukraine. Elle démoralise les Ukrainiens en faisant parader les Américains, alignés sur les exigences du Kremlin. Elle discrédite le parti pro-occidental en Ukraine, préparant le terrain à l’installation au pouvoir à Kiev d’un oligarque tenu par Moscou, faisant campagne sur une politique « de paix » (comme le fait Bidzina Ivanichvili en Géorgie).

Lire aussi la chronique |  « Le gaz russe et l’Europe, c’est une vieille histoire qui s’est mal terminée mais que Donald Trump semble prêt à ressusciter »

Pour obtenir cet alignement, Moscou mise sur la vanité, l’ignorance et la sottise de Donald Trump. Mais pas seulement. La souricière est garnie d’un appétissant bout de gruyère. La Russie fait miroiter à Trump un « deal » somptueux : en échange d’un coup de main en Ukraine, d’une levée des sanctions et d’un accès renouvelé à la technologie occidentale, elle confierait la gestion et la revente de son gaz destiné à l’Europe à une société américaine.

La trahison américaine

On peut penser que Donald Trump aurait droit à sa part de cette manne fabuleuse. Là encore, l’histoire est éclairante. Elle nous enseigne le sort de ces concessions octroyées par le Kremlin quand l’économie russe est aux abois : dès que les Occidentaux ont investi et lancé la production, le gouvernement russe spolie le partenaire étranger, encore heureux s’il peut sauver quelques plumes. La Russie utilise la promesse du business à des fins de puissance. Aujourd’hui, elle a besoin de se refaire une santé économique, elle a besoin de vaches à lait, et ce n’est pas la Chine, un prédateur comme elle, qui lui fournira le nécessaire.

Avec Donald Trump, le Kremlin a trouvé le partenaire rêvé qui, à son exemple, réduit la politique étrangère au racket et à l’extorsion. Il reste à voir si Trump osera affronter l’opinion américaine en commettant une infamie inouïe, la trahison d’un allié, abandonné à un ennemi qui a juré sa perte.

Lire aussi |  Donald Trump ne veut pas de Volodymyr Zelensky pendant sa rencontre avec Vladimir Poutine en Alaska

Que peut faire l’Europe face à l’axe russo-américain ? Rester lucide, d’abord. Il faudra sans cesse garder à l’esprit l’acharnement avec lequel la Russie a détruit l’Ukraine depuis des décennies, le mélange de brutalité et de machiavélisme diabolique dont elle a fait preuve pour casser le moral ukrainien, faire éclater le front occidental, découpler les Etats-Unis de l’Europe, saper l’Union européenne, tout cela en détruisant sa propre prospérité pour la seule jouissance d’écraser un voisin qui voulait être libre. La Russie est une immense machine de destruction qui, après l’asservissement de l’Ukraine, se ruera contre l’Europe, pas forcément sous la forme d’une invasion militaire mais par la démoralisation et la propagation de la haine, de la bêtise, de l’égoïsme national suicidaire et du nihilisme.

L’Europe devra se dissocier clairement de la trahison américaine. Il faut exiger des garanties de sécurité pour Kiev, insister sur le déploiement de forces européennes en Ukraine, ne pas laisser le pays seul face à la Russie. Il faut que l’Europe prenne conscience qu’elle a des cartes à jouer. L’Amérique de Trump ne suffira pas à remettre à flot l’économie de la Russie. Sans le savoir, les Européens sont en position de force. Historiquement, l’Empire russe n’a tenu que par les Européens cooptés par le pouvoir russe. Aujourd’hui, après leur expérience calamiteuse avec l’autarcie et le pivot vers la Chine, les Russes ont une conscience aiguë de leur dépendance à l’égard de l’Europe.

Lire aussi |    Avant la rencontre Trump-Poutine, les Européens rappellent leur opposition à des modifications des frontières « par la force »

En conséquence, les Européens doivent faire savoir dès aujourd’hui que les affaires (achat du gaz compris) ne reprendront avec la Russie que lorsqu’elle aura évacué les territoires occupés. L’administration Trump est en train de réaliser le sauvetage du régime de Poutine dont elle a besoin pour racketter l’Europe. L’intérêt de l’Europe est au contraire que la Russie se débarrasse de l’autocratie. Ne donnons pas au régime russe les moyens de soudoyer sa population, d’entretenir un gigantesque appareil militaire et policier dirigé contre nous. Il serait désastreux que l’indépendance économique péniblement acquise face à la Russie soit sacrifiée à des intérêts à courte vue.

Françoise Thom est historienne, spécialiste de l’Union soviétique et de la Russie postcommuniste.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire