La chasse de plusieurs espèces en grand danger ouvre en France
La France repousse le moratoire sur la chasse demandé par Bruxelles pour plusieurs espèces en très mauvais état de conservation. Elle préfère appliquer des quotas de prélèvement dont le contrôle sera très difficile à assurer sur le terrain.
Biodiversité | Aujourd’hui à 18h05 https://www.actu-environnement.com/ae/news/chasse-ouverture-especes-danger-caille-tourterelle-canards-46691.php4#xtor=EPR-50

© JeremyRichards Le Fuligule milouin est soumis à un quota de 5 000 oiseaux alors que la Commission européenne le considère en situation de conservation non garantie.
« Ces neuf espèces (le Canard siffleur, le Fuligule milouin, la Caille des blés, la Grive mauvis, le Canard souchet, le Canard pilet, la Sarcelle d’hiver, le Goéland marin et le Goéland argenté) sont en situation de conservation non garantie. (…) Les évaluations scientifiques ont conclu à un risque élevé de non-durabilité de la chasse », avertit la Commission européenne dans une note datée du 30 juin 2025, qui s’appuie sur une étude commandée au groupe d’experts sur les directives Nature de l’UE (Nadeg). Elle demande par conséquent aux États membres de prendre « des mesures immédiates (…) pour lutter contre le déclin des espèces et assurer leur rétablissement ». Cette note fait suite à une première demande allant dans le même sens, formulée en novembre 2024 par l’exécutif européen.
Mais loin du moratoire demandé pour quatre espèces (Canard siffleur, Fuligule milouin, Caille des blés, Grive mauvis) et d’une réduction des prises de 50 % pour trois autres (Canard souchet, Canard pilet, Sarcelle d’hiver), la France fait le choix, par un arrêté publié ce vendredi 29 août, de fixer des quotas journaliers, très difficilement contrôlables pour six de ces espèces, et de ne pas réglementer les prélèvements de grives mauvis. En outre, elle réautorise, par un autre arrêté paru simultanément, la chasse de la tourterelle des bois, suspendue depuis 2021.
Dans un premier temps, la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, avait globalement suivi les demandes de la Commission, mais, sous la pression des organisations de chasseurs, qui ont boycotté la réunion du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage (CNCFS) chargé d’examiner les projets, elle a accepté un allègement des restrictions. Et la forte mobilisation des opposants à ces textes, manifestée lors des consultations du public organisées début août, n’y a rien changé.
Quinze oiseaux par jour et par chasseur
Pour la caille des blés, le prélèvement maximal est fixé à 15 individus par jour et par chasseur. Pour les cinq canards visés par la Commission, le prélèvement est également fixé à 15 oiseaux par jour et par chasseur, ou par nuit et par chasseur dans les huttes de chasse autorisées, sans excéder 25 oiseaux par hutte. L’arrêté applique également ces quotas à d’autres canards (Canard chipeau, Sarcelle d’été, Fuligule milouinan, Harelde de Miquelon, Macreuse noire, Macreuse brune, Fuligule milouin dans la limite d’un quota de 5 000 oiseaux selon un arrêté en projet, Fuligule morillon, Garrot à œil d’or, Nette rousse) et suspend la chasse de l’eider à duvet jusqu’en 2030. « On met des quotas sur des effectifs qui n’existent pas », s’indigne Cédric Marteau, directeur général de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). « Ces textes s’inscrivent dans un cadre européen et pour une chasse durable et éthique. Ils permettent de collecter des données nécessaires à une meilleure connaissance des espèces », assure de son côté la Fédération nationale des chasseurs (FNC).“ On met des quotas sur des effectifs qui n’existent pas ”Cédric Marteau, LPO
Pour la tourterelle des bois, un total de prélèvements de 10 560 spécimens est fixé pour la saison alors que la chasse était totalement interdite depuis 2021 après une procédure d’infraction engagée en 2019 par la Commission européenne contre la France et des décisions du Conseil d’État, saisi par la LPO. Pour cette espèce, en revanche, la situation s’est aujourd’hui améliorée, selon les experts du groupe de travail pour la restauration des populations d’oiseaux (TFRB). « Cela permet la relance de la gestion adaptative en France. Cette réouverture est strictement encadrée et permettra, dans le respect d’un quota de prélèvement soutenable, de mobiliser les chasseurs pour collecter des données utiles à l’amélioration des connaissances scientifiques sur les populations de tourterelles des bois (sexe et âge ratio) », se réjouit la FNC.
« Alors que les chasseurs tentaient d’expliquer que leurs « prélèvements » n’étaient en rien responsables du déclin de l’espèce, l’interruption de leur chasse depuis 2021 coïncide donc avec une amélioration de la population de la Tourterelle des bois », relève la LPO, même si l’association de protection de la nature reconnaît aussi le rôle très important joué par la disparition des haies dans l’effondrement de l’espèce depuis 1980 (baisse de la population de près de 80 %). Le gouvernement français aurait pu temporiser mais, contrairement au Portugal qui a jugé prématuré de réautoriser la chasse, il a fait le choix d’une réouverture dès cette fin août. « On n’a pas retrouvé des effectifs identiques aux années 1980, on est dans une tendance qui, à l’échelle communautaire, est plus positive que les années d’avant, mais cela mérite-t-il de remettre immédiatement la pression ? » interroge Cédric Marteau.
Le respect des quotas pose question
Pour l’ensemble des espèces visées par ces deux arrêtés, le respect des quotas repose sur l’obligation d’enregistrement par les chasseurs de leurs prises sur l’application ChassAdapt. La Fédération nationale des chasseurs (FNC) est tenue de transmettre quotidiennement (tourterelles, cailles), ou avant le 1er juin 2026 (canards), à l’OFB et au ministère de la Transition écologique le nombre de prélèvements déclarés. En cas d’atteinte du quota fixé pour la tourterelle, la FNC, de même que les fédérations départementales de chasseurs, est tenue d’alerter les chasseurs et de bloquer la possibilité d’enregistrer des prélèvements sur l’application.
Le respect des quotas fixés pose question compte tenu des nombreuses possibilités de contourner ce système de déclarations et, ce, même si les arrêtés indiquent qu’à défaut d’enregistrement « le chasseur se trouve en infraction (sic) ». « Comment garantit-on que ce quota de 10 000 oiseaux ne va pas être dépassé lorsque l’on ouvre la chasse de manière anticipée, dès ce samedi 30 août, que l’on a 930 000 chasseurs potentiels qui peuvent prélever la tourterelle des bois et que le dispositif de contrôle prévu n’est pas fiable ? » questionne Cédric Marteau. « On est sur du déclaratif, volontaire, et sur l’obligation d’utiliser un smartphone, sur le terrain », déplore le responsable associatif.
« Le risque de dépassement est très limité, assure de son côté la Fédération des chasseurs, car le quota national est subdivisé à l’initiative de la FNC en deux sous-niveaux : feu vert (on est encore à moins de 50 % du quota) et feu orange (on est à 80 %), les chasseurs devant se connecter avant d’aller chasser pour avoir l’information (feu vert, orange ou rouge avec arrêt de la chasse). » Comme toute réglementation, et dans ce cas précis, « le risque de dépassement est à mettre au regard des contrôles », ajoute la FNC, semblant laisser reposer la responsabilité des contrôles sur les inspecteurs de l’environnement.
Plus que jamais, les chasseurs risquent de voir disparaître l’objet de leur passion.
Laurent Radisson, journaliste
Rédacteur en Chef de Droit de l’Environnement