« Un gouvernement d’union nationale, c’est la défaite assurée » : des militants socialistes craignent leur propre parti
À l’université d’été du Parti socialiste, la tentation de certains dirigeants socialistes de céder au chantage d’Emmanuel Macron aux marchés financiers et à la dissolution met les militants en alerte. La crainte d’un retour du hollandisme n’est pas complètement éteinte.
29 août 2025 à 18h48
BloisBlois (Loir-et-Cher).– Anna et Gaël, 17 et 21 ans, sont la fraîcheur du Parti socialiste (PS), qu’ils ont rejoint en septembre 2024 avec l’envie d’en découdre. Jeudi 28 août pourtant, leurs mines sont déjà un peu grises alors que les deux camarades devisent avec inquiétude devant la halle aux grains de Blois, où se tiennent les universités d’été du parti. « On n’est sûrs de rien, on est sur le qui-vive, on est dans le flou », résume, mi-amusé mi-gêné, Gaël, venu de Niort (Deux-Sèvres).
L’annonce par François Bayrou qu’il solliciterait un vote de confiance de l’Assemblée nationale, le 8 septembre, a plongé nombre de militant·es dans la perplexité. Le PS a rapidement dit qu’il voterait contre, comme le reste des oppositions, ce qui rend la chute du premier ministre inéluctable. Mais depuis, la ligne du parti d’Olivier Faure est indécise – particulièrement sur l’opportunité d’aller à Matignon si Emmanuel Macron appelait une personnalité issue de ses rangs.
La direction se démène pour s’afficher en mouvement « responsable ». Mais à quels compromis est-elle prête, un an seulement après l’arrivée en tête du Nouveau Front populaire (NFP) aux législatives anticipées ? L’explosion de la coalition après le refus des socialistes de censurer François Bayrou en janvier ouvre le champ des possibles, même si toute la gauche, à l’exception de La France insoumise (LFI), se retrouvait à Blois sur la même scène vendredi après-midi.

Les député·es socialistes y présenteront un « contre-budget » samedi, censé accréditer leur capacité à gouverner. Mais leurs tentatives d’ignorer la réalité électorale – il n’y a que 192 député·es de gauche, loin de la majorité à 289 – sont vaines. Depuis l’annonce de François Bayrou, plusieurs figures du parti imaginent un gouvernement de « défense républicaine » ou d’« union nationale » aux contours variables, mais qui pourrait aller jusqu’à réunir une partie de la gauche et la droite dite « républicaine ».
Faire bloc
À l’instar de Philippe Brun et Jérôme Guedj, ils plaident pour un accord de non-censure, un « front républicain » à l’Assemblée en échange du renoncement du gouvernement à utiliser le 49-3. « Nous allons proposer un autre chemin, celui de la possibilité d’exercer le pouvoir à partir d’un gouvernement qui partirait de la gauche, et qui serait susceptible de construire un compromis », a redit Jérôme Guedj en arrivant à Blois. Raphaël Glucksmann, le leader de Place publique, va aussi dans ce sens. Le député fauriste Laurent Baumel a même jugé que Bernard Cazeneuve était devenu « une sérieuse option » en cas « de solides engagements et un renoncement au 49-3 ».
Emmanuel Macron, qui rêve de faire exploser la gauche en décrochant sa partie la plus modérée, pourrait jouer de ces tensions internes au PS en nommant un premier ministre qui partage cette philosophie. Si 49 député·es socialistes (sur 66) rompaient les rangs, il aurait la majorité absolue – sous réserve que la droite Les Républicains (LR) reste dans cette coalition. Jeudi, aux universités d’été du think tank de Jean-Michel Blanquer à Autun (Saône-et-Loire), l’ex-socialiste Juliette Méadel, ministre de la ville, plaidait pour un « arc de Guedj à Retailleau ». Jérôme Guedj était présent, tout comme Bruno Retailleau, dont il a emprunté le convoi pour rejoindre Blois après l’annulation de son train.
Il ne faut pas foncer tête baissée dès qu’on pense avoir une opportunité de gouverner.
Anna et Gaël, jeunes militants socialistes
Dans les rangs du PS, on s’arrache les cheveux à l’idée de telles alliances. « On nous traitera de sociaux-traîtres. On ne peut pas faire alliance avec Macron », alerte Anna, venue de Bordeaux (Gironde), qui regrette qu’à gauche « tout tourne autour de Jean-Luc Mélenchon ». L’Insoumis appelle pour sa part à la destitution du président de la République et à renforcer la mobilisation du 10 septembre. « Faire alliance avec le “socle commun”, qui mène des politiques de droite et ouvre les portes à l’extrême droite, serait catastrophique », abonde Gaël, qui a fait un bout de chemin à La France insoumise (LFI) avant de rejoindre le PS.
Tous deux étaient trop jeunes quand le gros des troupes socialistes a cru dans le projet « ni de gauche ni de droite » d’Emmanuel Macron après le quinquennat de François Hollande. « Notre rêve, c’est que Macron démissionne. En attendant, il ne faut pas foncer tête baissée dès qu’on pense avoir une opportunité de gouverner », disent-ils de concert.
Pris au piège
Leurs aînés s’agacent aussi de voir que l’aile droite du parti peut encore être sensible au chantage macroniste s’appuyant sur la pression des marchés financiers, même si elle le fait discrètement. « C’est un piège, un subterfuge ! Ne tombons pas à nouveau dedans ! », maugrée Jean-Paul, 73 ans, élu à Firminy (Loire). Derrière ses lunettes rouges, les yeux de ce soutien d’Olivier Faure s’écarquillent quand il pense que François Rebsamen, ex-socialiste désormais ministre de l’aménagement du territoire, appelle de ses vœux un « collectif pour la France d’Olivier Faure à Bruno Retailleau ». L’ancien militant du Parti socialiste unifié (PSU) espère que le PS ne cédera pas à ses vieux démons : « Valls, Rebsamen et les autres sont tombés dans le piège et ils ont été obligés d’épouser les valeurs de Macron. Ces questions ont été tranchées au dernier congrès », dit-il.
À ses côtés, sa camarade Isabelle, élue d’opposition à Saint-Étienne (Loire), abonde : « Si c’est pour continuer la politique de Macron depuis 2017, c’est non. Ça suffit de brouiller les cartes ! Il faut proposer un contre-récit et ça ne peut pas être d’améliorer ce que propose le libéralisme. »

Si Olivier Faure a remporté le dernier congrès du PS (51,15 %), son opposition a cependant bien résisté (48,85 %) et continue de lui mettre régulièrement des coups de pression – tantôt pour se démarquer (encore plus) de LFI, tantôt pour revenir aux affaires le plus vite possible, quitte à faire passer par la fenêtre le réancrage à gauche qu’avait semblé esquisser le premier secrétaire.
Le PS se démarque déjà de ses ex-partenaires du NFP par son attitude ces derniers jours : contrairement aux Insoumis et aux Écologistes, il ne boycottera pas l’invitation de François Bayrou pour le rencontrer à Matignon. Une spécificité qui fait grimacer les militant·es croisé·es à Blois.
« Il y a eu assez de rencontres avec François Bayrou, il s’est foutu de nous. Il ne faut pas qu’il nous roule dans la farine une nouvelle fois », prévient Sylvie, conseillère municipale à Pessac (Gironde), croisée dans le public clairsemé des universités d’été. Partisane d’Olivier Faure, elle craint, elle aussi, que l’aile droite du parti n’en fasse qu’à sa tête : « Cela me ferait vraiment suer qu’un socialiste aille à Matignon. Ce ne serait pas un bon signe vis-à-vis des électeurs », alerte la militante engagée depuis 1995, qui revendique avoir voté blanc au second tour en 2017 et en 2022.

Beaucoup ont remarqué ce que les « grandes coalitions » ont coûté aux partis sociaux-démocrates en Europe – un effondrement électoral depuis dix ans. Mais le PS peut-il résister à l’emballement médiatique sur la crise financière ? Aux appels à la responsabilité et à l’idée qu’il se fait des aspirations à la stabilité de son électorat ? Aux flatteries sur son expérience ministérielle alors qu’il ne pesait plus que 1,7 % à la dernière présidentielle ?
Qui plus est, ses dirigeants se sont exposés à un chantage de la part d’Emmanuel Macron, en affirmant d’un même mouvement qu’ils ne souhaitaient pas une nouvelle dissolution, et qu’en cas de nouvelles législatives anticipées, un accord programmatique avec LFI ne serait « pas concevable », comme l’a déclaré Boris Vallaud. « Ce qui peut faire tanguer le parti, c’est la menace de la dissolution s’il n’entre pas au gouvernement. Si derrière les socialistes sont prisonniers de leur discours anti-LFI, ils savent bien que ça va être une tuerie », note le politiste Rémi Lefebvre, invité à Blois.
La confiance ne règne pas
Olivier Faure a bien tenté de mettre les points sur les i en bureau national mardi 26 août, en répétant que les socialistes n’étaient pas la roue de secours de la Macronie finissante, mais il a encore fort à faire pour trouver une voie médiane entre l’intransigeance insoumise et la collaboration avec le « bloc central ».
Lubin Dargère, 19 ans, secrétaire de section à Roanne (Loire), membre du petit courant de gauche La Montagne, aux Jeunes Socialistes, s’inscrit en faux contre la tiédeur de certains discours qui s’apparentent à un retour du hollandisme – certains socialistes, comme l’eurodéputé François Kalfon, estimaient que le PS devait « réfléchir » à voter la confiance en fonction de ce qu’il obtenait de François Bayrou. « Le quinquennat Hollande est une des raisons de la montée du RN. Un gouvernement d’union nationale, c’est la défaite assurée car c’est exactement l’argument du FN à l’époque sur l’“UMPS” et ça acterait d’un même mouvement les gauches irréconciliables », prévient le jeune homme.

Il regarde donc avec inquiétude certains commentaires venus des rangs sociaux-démocrates. Comme quand la coprésidente de Place publique, Aurore Lalucq, a semblé défendre la « stabilité politique » parce qu’elle est « essentielle pour les marchés », sur le réseau social X : « Je ne fais aucune confiance à Place publique. On n’a pas besoin de se faire les défenseurs du marché, il y a assez d’offre politique pour cela. Et la stabilité pour la stabilité, ce n’est pas un mot d’ordre de gauche », assène-t-il.
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Encore une fois la tactique et les états d’âme occupent les esprits aux universités d’été du PS, où les regards sont aussi beaucoup tournés vers les municipales – un des derniers atouts du parti. Évelyne, une vieille militante marseillaise revenue au parti après avoir mis « [s]es rancœurs dans sa poche », observe ces débats byzantins avec circonspection. « Ce que je remarque surtout, c’est que si la connaissance du système est ici, les forces militantes n’y sont pas », dit-elle en souriant amèrement.
Gouverner dans les conditions présentes lui semblerait « perdant », mais elle juge en même temps que le PS n’est « pas prêt » pour une dissolution. D’où la position difficile du parti, qui doit parer aux coups bas éventuels d’Emmanuel Macron. La militante aurait souhaité « que le cap du NFP soit maintenu ». Le cap a dévié. Même si François Hollande, aperçu dans le train pour Blois jeudi, n’a pas souhaité s’y montrer – il a continué son chemin jusqu’à la Corrèze.