Dans la France de 2025, « des enfants naissent, vivent et meurent à la rue »
À la veille de la rentrée scolaire, 2 159 enfants, dont 503 de moins de 3 ans, dorment à la rue, selon une enquête de l’Unicef et de la Fédération des acteurs de la solidarité dévoilée jeudi 28 août. En 2024, 38 décès de mineurs ont été recensés.
28 août 2025 à 07h22 https://www.mediapart.fr/journal/france/280825/dans-la-france-de-2025-des-enfants-naissent-vivent-et-meurent-la-rue
En 2022, devant le nombre record d’enfants sans domicile fixe et sans solution d’hébergement, le gouvernement s’était engagé sur le principe de parvenir au « zéro enfant à la rue ». Trois ans plus tard, le bilan est calamiteux. Selon le baromètre réalisé par l’Unicef et la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), dévoilé jeudi 28 août, le nombre d’enfants à la rue a en réalité augmenté de 30 % depuis cette promesse.
Ce sont donc 2 159 enfants, dont 503 de moins de 3 ans, qui ont dû dormir à la rue après avoir appelé le 115 dans la nuit du 18 au 19 août, à quelques jours de la rentrée des classes.
Un chiffre qui sous-estime par ailleurs le phénomène du sans-abrisme des enfants, puisque ne sont comptabilisés que les enfants dont les parents ont contacté le 115. Or, beaucoup de familles confrontées à la saturation des structures d’hébergement renoncent d’avance à appeler le numéro, constamment saturé.

Les mineur·es non accompagné·es – ces enfants étrangers présents sur le sol français sans parents –, parce qu’ils relèvent d’autres dispositifs d’hébergement que le 115, ne sont pas non plus pris en compte dans ces chiffres. Ils et elles seraient plus d’un millier à dormir dehors selon la dernière enquête de la Coordination nationale jeunes exilé·es en danger. Les enfants vivant en bidonville ou en squat n’apparaissent pas non plus dans ce décompte. Ils et elles sont des dizaines de milliers.
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Alors qu’ils sont un public officiellement prioritaire pour accéder à l’hébergement, le nombre de très jeunes enfants, de moins de 3 ans, laissés à la rue sans solution a augmenté de 37 % depuis 2022. Et 171 enfants à la rue comptabilisé·es dans la nuit du 18 au 19 août avaient moins de 1 an.
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En France, en 2025, « des enfants naissent, vivent et meurent à la rue », alertent l’Unicef et la FAS. Sur les 855 personnes mortes à la rue en 2024, et recensées par le collectif Les morts de la rue, 38 étaient des enfants.
Ces enfants morts étaient sans domicile fixe : cela signifie qu’ils et elles peuvent avoir été à la rue ou hébergés dans des structures d’urgence ou des hôtels. Parmi eux, 26 enfants avaient moins de 5 ans et 18 étaient des bébés de moins de 1 an. Cinq avaient entre 5 et 9 ans, quatre entre 10 et 14 ans et trois entre 15 et 17 ans.
Des parcours de vie malmenés
Qui sont-ils ? Le collectif Les morts de la rue, qui recense ces décès, tente à chaque fois de reconstituer ce qu’ils appellent « les parcours de vie ». « Nous essayons autant que possible de trouver des informations sur les trois derniers mois des personnes. Pour les enfants, nous contactons les familles lorsque c’est possible, mais ce n’est pas toujours le cas », explique Adèle Lenormand, coordinatrice de l’équipe « Dénombrer et décrire » au sein du collectif.
Les causes des décès sont multiples : des maladies liées à l’habitat précaire, des maladies chroniques non soignées, des accidents… L’errance des parents à la rue, des femmes enceintes notamment, n’est évidemment pas sans conséquence sur la santé des bébés, rappelle l’association. Comme le relèvent dans leur dernière enquête l’Unicef et la FAS, le sans-abrisme des femmes enceintes a fortement augmenté ces dernières années, faute de places suffisantes en hébergement d’urgence.
Pour sortir de la froideur des chiffres, le collectif tient à raconter leurs parcours et nous a livré quatre « parcours » de ces courtes vies.
Il évoque d’abord Emil*, né sans vie « à l’hiver 2024, dans un hôpital parisien ». « Ses parents, bulgares, vivaient en situation de rue, a pu retracer le collectif. Ils n’ont pu que constater son décès. Emil avait deux sœurs. Ses parents sont venus plusieurs fois lui dire adieu, dans la chambre mortuaire de l’hôpital. Le bébé a été inhumé par la commune de Paris, au début de l’année 2025. »
Depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, le nombre de sans-abri a doublé pour atteindre le chiffre record de 350 000 personnes.
Vient ensuite l’histoire de Cathy*, morte à 6 ans, sans domicile. « On ne sait pas grand-chose de Cathy, sinon qu’elle a suivi dans ses cinq années de vie le parcours de migration de sa mère. Née en Italie, quand Cathy est-elle arrivée en France ? En tout cas, elle s’y trouve en 2020, date à laquelle sa mère dépose une demande de logement social. La mère et la fille ont passé en 2020 une période en situation de rue, avant d’être hébergées en centre d’hébergement d’urgence. Cathy était toujours sans chez-soi en 2024 quand elle est décédée à l’hôpital. »
Il y a aussi l’histoire de Sirine*, « née en 2015 en Algérie, dans une petite ville côtière ». « Elle était sans doute arrivée autour de 2021 en France, en compagnie de sa famille. » « Sirine avait deux autres frère ou sœur. La famille avait eu une période de rue en octobre 2021, sans que l’on sache la durée de cette période. Ils ont ensuite été hébergés à l’hôtel, avant d’intégrer un appartement géré par le service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO). Sirine avait besoin de soins, et elle était suivie à l’hôpital de la Timone, à Marseille. Elle est décédée dans ce même hôpital, elle avait 8 ans. »
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Moussa* était quant à lui un adolescent quand son corps a été découvert en mai 2024 à Paris. « Moussa était né en 2007 en Côte d’Ivoire, et il est décédé en mai 2024 à Paris. Il a été retrouvé dans la Seine, sans que des éléments complémentaires n’aient pu être collectés par la police. Moussa a été inhumé par la commune de Paris, et aucun proche (ami·es, famille) n’a pu être retrouvé, regrette le collectif. Des recherches ont été menées en Côte d’Ivoire, sans succès. »
Pour rappel, depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, le nombre de sans-abri a doublé en France pour atteindre le chiffre record de 350 000 personnes contraintes à vivre à la rue ou en hébergement d’urgence.
« Alors que débutera, dans quelques semaines, l’examen du projet de loi de finances pour 2026, nous demandons au gouvernement et aux parlementaires de ne pas faire d’économie sur la dignité des enfants »,insiste Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité.