Chaque fraction de réchauffement planétaire augmente la fréquence, la durée et la sévérité des événements extrêmes

Valérie Masson-Delmotte : « La situation climatique va encore empirer, mais le danger vient aussi d’un déni collectif »

Après un été marqué les incendies et la canicule, la climatologue, membre du Haut Conseil pour le climat, redoute, dans un entretien au « Monde », un oubli rapide par la population, et regrette le manque de responsabilité du personnel politique. 

Propos recueillis par 

hier à 13h00, modifié hier à 14h47 https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/08/25/valerie-masson-delmotte-la-situation-climatique-va-encore-empirer-mais-le-danger-vient-aussi-d-un-deni-collectif_6634878_3244.html

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Dans le centre-ville de Nîmes, le thermomètre affiche 38 °C à l’ombre à 17 heures, le 12 août 2025.
Dans le centre-ville de Nîmes, le thermomètre affiche 38 °C à l’ombre à 17 heures, le 12 août 2025.  CLAIRE GABY POUR « LE MONDE »

Villes accablées par la chaleur, succession d’incendies, multiplication des alertes à la sécheresse… La France a vécu un été éprouvant, aggravé par le dérèglement climatique d’origine humaine. La climatologue Valérie Masson-Delmotte, ancienne coprésidente du groupe 1 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et membre du Haut Conseil pour le climat, regrette la prise de conscience trop lente de la population et des responsables politiques.

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La France sort d’une vague de chaleur longue et intense, la deuxième de l’été. Quel bilan dressez-vous de cet épisode ?

Je suis frappée par le nombre de villes qui ont dépassé les 40 °C. Ce seuil est symbolique dans la mesure où cette chaleur intense touche aux conditions mêmes de vie. Aujourd’hui, l’été n’est plus synonyme d’insouciance, mais une saison dangereuse pour les organismes vivants, les activités agricoles, le travail en extérieur.

La France est frappée par une succession de canicules, de sécheresses, d’incendies, de précipitations diluviennes ou d’inondations, qui constitue un danger. Ces événements extrêmes portent atteinte aux droits humains fondamentaux de se nourrir, se déplacer, être en bonne santé. La situation va encore empirer car chaque fraction de réchauffement planétaire augmente la fréquence, la durée et la sévérité des événements extrêmes. Mais le danger vient aussi d’un déni collectif.

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A quel déni faites-vous référence ?

La population ne se demande pas à quoi ressembleront les canicules à l’avenir. Une France réchauffée de 4 °C à la fin du siècle – la trajectoire vers laquelle nous nous dirigeons – connaîtra dix fois plus de vagues de chaleur, dès la mi-mai et jusqu’à la fin septembre. Les périodes scolaires seront affectées. L’été 2025 semblera frais ; c’est difficile à imaginer. Actuellement, après chaque vague de chaleur, il y a une réaction collective qui est de passer à autre chose. Cela construit une forme d’indifférence très préoccupante.

Sur la plage des Dagueys à Libourne (Gironde), lors d’une alerte rouge canicule, le 11 août 2025.
Sur la plage des Dagueys à Libourne (Gironde), lors d’une alerte rouge canicule, le 11 août 2025.  UGO AMEZ POUR « LE MONDE »

Je regrette également le traitement médiatique de la canicule d’août. Les médias ont mis l’accent sur les témoignages, les dégâts, mais sans suffisamment aborder les causes de la vague de chaleur, les solutions et les limites de l’adaptation. Les débats ont également été conçus de manière clivante, par exemple « pour ou contre la climatisation ». Cela détourne l’attention des enjeux de transformation des villes et passe sous silence les inégalités sociales liées à la chaleur : la climatisation a un coût. Surtout, l’enjeu n’est pas seulement là : on ne va pas climatiser la Méditerranée, qui subit des vagues de chaleur délétères pour les écosystèmes, ou les forêts, un puits de carbone qui dépérit.

Ce déni, vous l’observez aussi au sein du personnel politique…

J’observe un déni de responsabilité, un déni de la nécessité d’agir sur les causes du changement climatique. Le 5 février, en examinant la proposition de loi Duplomb, le Sénat a refusé de préciser que la recherche de solutions techniques et scientifiques doit participer autant à l’adaptation au changement climatique qu’à la lutte contre ce phénomène. Or l’agriculture est le deuxième secteur le plus polluant, derrière les transports.

Le sénateur Laurent Duplomb [Les Républicains] indiquait également que le changement climatique est une opportunité chez lui, en Haute-Loire, notamment pour la production de fourrage. Il ajoutait que dans le passé, il fallait couper les branches des frênes pour éviter que les vaches meurent de faim. Contrairement à ce qu’il prétend, ce n’est pas une période révolue : je l’ai vu faire en Lozère cet été par 37 °C. L’idée de pouvoir continuer comme avant est une illusion. Si on ignore le changement climatique, il se rappelle cruellement à nous, comme cet été le montre.

Les reculs environnementaux se sont multipliés ces derniers mois. Comment réagissez-vous ?

Le pilotage de la transition écologique s’affaiblit. La publication de la programmation pluriannuelle de l’énergie [la feuille de route énergétique de la France] a encore été repoussée [à la fin de l’été], la stratégie nationale bas carbone n’est toujours pas sortie. Quant au plan national d’adaptation au changement climatique, il a été publié très tard [le 10 mars] et n’est pas adossé à des financements suffisants. Or, c’est le nerf de la guerre. Et le coût de l’inaction est largement supérieur aux investissements nécessaires à une économie décarbonée.

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Le rythme de baisse des émissions a fortement ralenti depuis 2023. Il n’est pas du tout en phase pour tenir nos objectifs climatiques. Quant à l’adaptation, on reste sur un mode de gestion de crise. On sort d’une crise et on passe à la suivante. Mais jusqu’où pourra-t-on aller ? Quel degré de pertes peut-on tolérer ? Il faudrait anticiper, réduire les vulnérabilités, comme en verdissant les villes et en rénovant les bâtiments pour limiter les bouilloires thermiques. C’est la seule façon de limiter les souffrances, les pertes et les dommages.

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Comment expliquez-vous le manque d’action politique au moment où les événements extrêmes se multiplient en France ?

Il y a une influence croissante de l’extrême droite populiste, dont le projet politique s’appuie sur le déni des risques climatiques ou leur minimisation. Cette pression entraîne un glissement des partis conservateurs, ceux traditionnellement au pouvoir. C’est la même chose dans l’Union européenne et aux Etats-Unis. En Europe, tandis que le pacte vert est attaqué, on ne confronte toujours pas notre dépendance colossale aux importations d’énergies fossiles issues de la Russie et des Etats-Unis. Outre-Atlantique, le département de l’énergie américain a publié cet été un tissu de mensonges sur le changement climatique afin de justifier sa politique de dérégulation environnementale et afin de ne plus être contraint de réduire les émissions de gaz à effet de serre. C’est bien là que réside le principal danger lié au changement climatique.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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