Refus d’accréditer un journaliste : La France insoumise s’enlise dans son hostilité à l’égard des médias
En refusant d’accueillir Olivier Pérou, journaliste au « Monde » et coauteur du livre « La Meute », le mouvement mélenchoniste franchit une ligne rouge jusqu’ici traversée par l’extrême droite, après des années de conflictualisation théorisée contre « le parti médiatique ».
22 août 2025 à 20h27 https://www.mediapart.fr/journal/politique/220825/refus-d-accrediter-un-journaliste-la-france-insoumise-s-enlise-dans-son-hostilite-l-egard-des-medias
Châteauneuf-sur-Isère (Drôme).– Un nouveau tee-shirt militant a fait son apparition aux Amfis – l’université d’été de La France insoumise (LFI), qui a commencé le jeudi 21 août près de Valence : « Rejoins la meute ! » Une référence transparente – et ironique – au livre La Meute, des journalistes Charlotte Belaïch et Olivier Pérou, respectivement à Libération et au Monde, qui avait bousculé le mouvement mélenchoniste en mai dernier, en décortiquant son fonctionnement interne, en particulier l’autoritarisme de Jean-Luc Mélenchon.
Mais la réplique du mouvement ne s’est pas limitée à un simple retournement de stigmate. La direction de LFI a décidé de refuser la demande d’accréditation d’Olivier Pérou, chargé des partis de gauche au Monde avec Sandrine Cassini. « Nous élevons la plus vive protestation contre cette entrave caractérisée à la liberté de la presse et à l’accès à l’information. Aucune formation, quel que soit son bord politique, n’avait jusqu’à présent prononcé une telle mesure d’éviction contre un de nos journalistes à l’occasion d’un événement de ce type », a réagi le directeur du Monde, Jérôme Fenoglio.
Jeudi à l’ouverture des Amfis, les mêmes éléments de langage étaient répétés par les cadres insoumis : ce n’est pas le journal Le Monde qui est banni de l’événement, mais le journaliste Olivier Pérou, coupable à leurs yeux de diffamation et de fautes déontologiques – à ce jour aucune plainte n’a été déposée contre Charlotte Belaïch et lui en ce sens. L’animalisation et la réduction de LFI à une « secte » sont avancées pour justifier ce refus, nuancé par l’idée que la rédaction du Monde est, en soi, « la bienvenue » pour couvrir l’événement.
Dans un texte écrit transmis aux journalistes (lire notre boîte noire), le service de presse de LFI explique avoir demandé à la rédaction du Monde de ne plus avoir « quelque relation que ce soit » avec Olivier Pérou. Une mesure de représailles qui vise aussi Charlotte Belaïch, comme le relate Libération, qui explique avoir reçu, comme Le Monde, une lettre le 30 mai des dirigeant·es de LFI énumérant les griefs faits à l’enquête et demandant à ne plus être couverts par ses deux auteurs.

« Les principes qui régissent la liberté d’information sont assortis de règles déontologiques (respect du contradictoire, protection de la vie privée, rigueur, sources multiples). Celles-ci ont été largement bafouées dans l’ouvrage que Monsieur Pérou a consacré à la France insoumise, en violation de la charte de déontologie de Munich, adoptée par la Fédération internationale des journalistes qui rassemble 600 000 professionnels issus de 146 pays du monde. Nous refusons de cautionner ce type de pratiques », argue le service de presse de LFI.
Malaise
Vendredi matin, les député·es LFI, qui se prêtent souvent aux discussions collectives avec des journalistes dans le parc qui entoure le Palais des congrès, étaient plus discrets qu’à l’accoutumée alors que la polémique enflait – plusieurs sociétés de journalistes (SDJ) ont réagi par des communiqués.
Lors d’un débat consacré à ses enquêtes sur le milliardaire d’extrême droite Pierre-Édouard Stérin, le journaliste à L’Humanité Thomas Lemahieu a regretté la mise à l’écart d’Olivier Pérou : « Des espaces comme celui-ci doivent être ouverts. On connaît le contentieux que vous avez avec lui, mais on regrette que cet épisode se soit produit. On peut se parler directement et franchement », a-t-il déclaré, aux côtés du député Antoine Léaument qui animait le dialogue. Le mutisme de l’audience a succédé aux applaudissements qui l’avaient accueilli.
Soraya Morvan-Smith, journaliste à France 24 et secrétaire générale adjointe au SNJ-CGT, invitée samedi à une table ronde sur l’audiovisuel public, confiait aussi sa « sidération » : « Ce message antidémocratique est une faute politique. Accessoirement, c’est aussi une grosse erreur de communication. Il est temps que LFI arrête de désigner les journalistes à la vindicte populaire. La critique des médias est légitime, en revanche empêcher un journaliste de faire son travail (ou vouloir les sélectionner) est inadmissible. »
La députée de Paris Sarah Legrain assumait toutefois la ligne du mouvement auprès des journalistes : « On considère qu’une rupture déontologique a été opérée. Les auteurs de La Meute ne respectent pas les principes de base. C’est un livre qui assume de nous traiter comme une secte et de nous animaliser de bout en bout. Nous ne sommes pas candidats à de nouvelles falsifications », disait-elle avec agacement.
Chez les militant·es, rares sont celles et ceux qui s’émeuvent de cette décision. Toutes et tous attaquent plutôt sur la « mauvaise foi » du livre et sont solidaires de leur mouvement, même s’ils nuancent parfois. « Ça ne me paraît pas aberrant, on ne va pas tendre la joue gauche », estime par exemple Sylvère, vieux militant venu des Hautes-Alpes.
Un rare dissident admet toutefois, en off, son amertume alors que les sujets de la rentrée – 10 septembre, mobilisations sociales, municipales – risquent d’être éclipsés : « C’est se créer une polémique pour rien, LFI est assez forte pour ça. »
Une longue litanie d’attaques contre la presse
Le mouvement n’en est pas à sa première dans son rapport conflictuel aux médias – avec parfois des raisons légitimes, puisque la profession est loin d’être exempte de critiques, encore faut-il pouvoir en discuter librement. Il culmine cependant aujourd’hui dans une dérive inquiétante, qui dénote un raidissement. Depuis la purge des non-aligné·es en 2024, le manque de pluralisme et l’approbation automatique de la parole du chef ont pris une tournure nouvelle.
Jean-Luc Mélenchon a théorisé et diffusé de longue date une culture consistant à clouer au pilori les journalistes en maniant les attaques ad hominem et l’excommunication. Mediapart en a fait les frais de différentes manières, plus ou moins rudes.
Parfois il s’est contenté d’esquiver le journal, comme le relatait François Bonnet en 2017, expliquant les raisons des refus répétés du fondateur de LFI de participer à notre émission. En cause : des désaccords avec ses positions sur la Russie, sur la nature du régime de Poutine, sur la guerre en Ukraine, sur l’annexion de la Crimée, sur la Syrie, que nous avions exprimés dans des analyses et partis pris. Il n’était pas davantage venu sur notre plateau en 2022, en arguant qu’il s’opposait à la diffusion des images de la perquisition des locaux de son parti, qui constituait à ses yeux une « ligne rouge ».
Les attaques ad hominem et les insultes ont aussi touché Mediapart. Notre journaliste en charge des gauches Stéphane Alliès, par ailleurs auteur d’une biographie de Jean-Luc Mélenchon, avait subi ses outrances verbales en 2012 quand, suite à un reportage qui lui avait déplu, il l’avait accusé sur son blog de « cuver ».
L’ex-candidat du Front de gauche a ciblé plusieurs fois Mediapart après des révélations en 2018 concernant son lien avec Sophia Chikirou, après la perquisition du siège de LFI pour des soupçons de surfacturation de prestations pendant la campagne présidentielle de 2017. Il qualifiait alors Mediapart dans une vidéo de « torchon », d’« officine de la police et des juges », et ciblait Fabrice Arfi en affirmant : « Il est possible qu’ils aient acheté ces documents. Dans ce cas, cela veut dire qu’un fonctionnaire de justice est corrompu » – Mediapart avait répondu ici.
Quand, en 2022, Mediapart avait fait l’objet d’une tentative de perquisition après ses révélations sur l’affaire Benalla, Jean-Luc Mélenchon en profitait pour régler ses comptes en traitant encore le journal de « chien de garde zélé des basses besognes de la Macronie ».
Les journalistes Tugdual Denis (époque Le Point), Sophie de Ravinel (Le Figaro), Abel Mestre (Le Monde) ont fait l’objet d’attaques similaires de la part de Jean-Luc Mélenchon – qui avait déjà traité un étudiant en journalisme de « petite cervelle » en 2010, lors d’un échange filmé. Jusqu’à présent les mesures les plus drastiques avaient concerné l’émission « Quotidien », qui avait été écartée des meetings de LFI en raison de la diffusion régulière des images de la perquisition du siège de LFI. Une mise à l’écart justifiée, du point de vue du service presse de LFI, par des raisons de sécurité pour les journalistes de « Quotidien »,qui se seraient livrés à des moqueries vis-à-vis des militant·es à l’époque.
Un précédent qui pourrait coller à la peau de LFI
LFI n’est pas la seule organisation à avoir recours à ce type de méthodes avec les médias. D’Emmanuel Macron faisant le tri entre les journalistes qui le suivent au Rassemblement national (RN) évinçant les journalistes qui le gênent, en passant par Gérald Darmanin répondant vertement à un journaliste guyanais en mai dernier, jugeant sa question « indigne de la République ». Autant d’attaques inadmissibles, d’autant plus stupéfiantes quand elles viennent d’une organisation de gauche, qui prétend démocratiser la République.
Dès sa première candidature, Jean-Luc Mélenchon a théorisé cette question en raillant les médias en général, cette « deuxième peau du système ». Il se targuait toutefois de les utiliser parfois de manière opportuniste en vertu de la maxime de Lénine, qu’il faisait sienne : « Les capitalistes nous vendront la corde pour les pendre. »
Plus tard, ayant développé ses propres canaux de communication sur Internet – YouTube, dont il a été un précurseur en politique, et les réseaux sociaux, que LFI a massivement investis –, ses attaques se sont faites plus violentes, sous prétexte de réplique proportionnée à un traitement hostile – de fait, la disqualification médiatique de LFI est aussi une réalité. Dans sa période populiste de gauche, où il s’inspirait des théories des philosophes Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, il s’en est ainsi pris au « parti médiatique », considérant tacitement tout journaliste comme propagandiste.
En 2018, après une enquête de Radio France sur les comptes de campagne de LFI, il écrivait sur son blog : « La haine des médias et de ceux qui les animent est juste et saine » – un dénigrement qui alertait Reporters sans frontières (RSF). Jean-Luc Mélenchon et LFI persistent et signent donc, en faisant le tri entre les journalistes qui leur plaisent et ceux qui leur déplaisent.
Si certains cadres se gaussent pour l’heure des réactions « corporatistes » à cette atteinte à la liberté de la presse, ils ont créé un précédent dangereux. Qui pourrait leur revenir comme un boomerang. Vendredi soir, dans son discours aux Amfis, Jean-Luc Mélenchon a choisi d’ironiser, remerciant les soixante-dix journalistes, « de toutes les variétés d’opinions », présents pour couvrir l’événement. « Nous ne sommes pas chagrins lorsqu’ils disent du mal de nous, car nous en sommes désormais habitués. Et parce que nous avons souvent l’impression que ça nous aide davantage que ça nous dessert. »