La mendicité n’est plus illicite depuis 1994, cependant des municipalités prennent des arrêtés pour interdire des zones aux sans-abri.

Interdiction de la mendicité : les communes multiplient les arrêtés en usant de contorsions juridiques

Si la mendicité n’est plus illicite depuis 1994, de nombreuses villes prennent des mesures, principalement en saison touristique, afin d’interdire certaines zones aux sans-abri. Une atteinte dangereuse aux libertés fondamentales, dénonce la Ligue des droits de l’homme

Par  hier à 10h04, modifié à 09h34 https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/08/21/interdiction-de-la-mendicite-les-communes-multiplient-les-arretes-en-usant-de-contorsions-juridiques_6633083_3224.html?random=901335676

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COLCANOPA

Angoulême, La Couronne (Charente), La Rochelle, Cholet (Maine-et-Loire), La Madeleine (Nord), Lorient (Morbihan), Sablé-sur-Sarthe (Sarthe), Bussy-Saint-Georges (Seine-et-Marne), Pontoise, Meyzieu (Métropole de Lyon), Leers (Nord), Saint-André-lez-Lille (Nord), Vierzon (Cher), Nevers… autant de villes qui, depuis 2023, ont publié des arrêtés municipaux pour lutter contre « les troubles à l’ordre public » liés principalement à la mendicité.

« Considérant qu’il incombe au maire, dans le cadre de ses pouvoirs de police, de veiller à la sécurité des usagers des rues, quais, places et voies (…), considérant qu’à ce titre il dispose d’un pouvoir de limitation de la liberté d’aller et venir (…), considérant l’augmentation d’attroupements » sont, à chaque fois, les premières lignes de ces arrêtés, qui visent à délimiter les espaces et la durée où sont interdits ces « attroupements ». Il est systématiquement question de groupes de personnes et non pas d’une seule, pour une bonne raison : depuis 1994, la mendicité n’est plus une infraction et l’occupation du domaine public est donc considérée, par principe, comme libre.

« Depuis deux ans, nous observons de plus en plus de mairies prendre de tels arrêtés », note Marion Ogier, avocate à la Ligue des droits de l’homme (LDH). Le problème selon l’association : l’atteinte portée à la liberté d’aller et venir, qui est un droit fondamental. « Ce sont des arrêtés antimendicité qui ne veulent pas dire leur nom, mais qui servent à éloigner les personnes sans abri et précaires des villes, poursuit l’avocate. Particulièrement dans les zones touristiques, comme on a pu le voir au moment des Jeux olympiques de Paris 2024. Et les maires savent désormais qu’ils ne peuvent plus interdire la mendicité à proprement parler comme cela a été fait dans le passé, sinon les tribunaux administratifs censureront automatiquement. » D’où ce recours à la notion d’attroupement.

Malgré tout, la justice administrative ne leur donne pas toujours raison : dans une dizaine de comptes rendus d’audience que Le Monde a pu consulter, les juges décident de suspendre les arrêtés, en estimant par exemple que « la nature et la gravité des troubles à l’ordre public allégués ne sont pas établies » ; qu’ils « porte[nt] atteinte à la liberté d’aller et venir mais aussi aux principes de dignité de la personne humaine », ou encore qu’ils ne sont, dans leur temporalité et leur étendue, « ni adapté[s] ni proportionné[s] ». Sur d’autres, les juges déclarent que « l’arrêté revêt un caractère discriminatoire en visant spécifiquement une catégorie de personnes » ; ou encore qu’il est « entaché d’un détournement de pouvoir dès lors qu’il vise en réalité à éloigner cette catégorie de personnes du centre-ville ».

« But médiatique »

Mais dans d’autres cas, la justice donne raison à des maires, comme ce fut le cas en juillet avec celui de Nevers, Denis Thuriot (Renaissance), qui a obtenu une victoire devant la justice administrative face à la LDH. Pour le maire, avocat de formation, si son arrêté n’a pas été censuré après un recours de la LDH au tribunal administratif le 10 juillet, c’est bien parce qu’il respecte le cadre de la loi. « Ce phénomène va s’aggraver si on ne fait rien, car les villes s’influencent entre elles, s’inquiète Marion Ogier, qui note également que l’Etat va parfois dans le sens des maires, comme dans « le cas de la ville d’Angoulême, où nous avions aussi fait un recours au tribunal administratif après la publication d’un tel arrêté municipal. Lors de l’audience, l’avocat de la mairie avait expliqué que le préfet l’avait conseillé pour la rédaction de l’arrêté. »

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La LDH et les associations d’aide aux sans-abri s’inquiètent d’une tendance montante : les mairies connaissent de mieux en mieux la jurisprudence et font en sorte de l’intégrer pour ne plus voir leurs arrêtés municipaux suspendus. Ceux-ci sont pourtant, estiment les associations, un détournement de l’esprit de la loi. « Juridiquement, quelque chose nous pose question. Le fait de troubler l’ordre public ne peut pas se prévoir, commente Marion Ogier. Notre ligne c’est de dire que si des policiers constatent une infraction, ils interviennent et verbalisent les personnes concernées. Mais lors des audiences, les villes, via leurs avocats, nous disent que c’est de la prévention. Sauf qu’on interdit l’accès à l’espace public dans les faits et qu’on ne peut pas savoir si un délit va se dérouler sur la voie publique. »

Pour Eric Verlhac, directeur général de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, les édiles agissent ainsi pour répondre aux griefs de leurs administrés, notamment des commerçants. « Les maires doivent trouver un équilibre entre la liberté d’aller et venir et la liberté de mendicité qui, elle, n’est pas un droit fondamental, explique-t-il. Ils essaient de répondre aussi à la demande de la population. Ce que prévoit la loi pénale, c’est la sanction de l’infraction. La population demande la prévention. »

« Il ne faut pas stigmatiser les maires, confie un avocat spécialisé en droit des collectivités territoriales qui a souhaité garder l’anonymat. Des élus de nombreux bords politiques prennent de tels arrêtés. En réalité, il existe deux types : des arrêtés municipaux qui sont rédigés dans un réel souci de sécurité et qui sont défendables. Et puis, il y a les arrêtés qui sont illégaux à l’origine, pour lesquels les maires ne font même pas appel à nous. Leur seul but : brandir ces arrêtés pour dire qu’ils ont tenté de faire quelque chose et ensuite blâmer le juge lorsque l’arrêté est suspendu. D’ailleurs, dans ces cas-là, les maires ne se défendent même pas au contentieux puisque ce n’est pas ça qui les intéresse. Mais on ne peut pas nier qu’il y a une vague d’arrêtés à but médiatique. »

« Indésirables »

Ce fut le cas, le 4 août, dans la ville de Vierzon, où la maire communiste, Corinne Ollivier, a suspendu son arrêté la veille de l’audience au tribunal administratif face à la LDH, qui l’attaquait en référé suspension. Contactée, la maire n’a pas répondu. Mais elle avait confié à nos confrères d’Ici Berry qu’elle avait « vu l’action de la Ligue des droits de l’homme ».« J’y suis toujours sensible et je ne voulais pas qu’une polémique stérile s’installe », expliquait Corinne Ollivier.

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Un autre enjeu se pose, selon la LDH : « Pour nous montrer qu’il y avait une nécessité d’agir, les communes ont présenté lors des différentes audiences des documents internes à la police municipale, explique Marion Ogier. Pour sélectionner les mains courantes ou les rapports de police, il y a un filtre qui s’appelle “indésirables”. Là, on parle d’atteinte à la dignité humaine. »

Pour au moins cinq villes différentes, dont Nevers, Le Monde a pu consulter de tels documents, où les sous-objets des comptes rendus policiers étaient nommés « perturbateurs », « marginaux » ou encore « indésirables »« On peut y lire la volonté de certaines villes, en présentant ces documents en audience, d’interdire le domaine public à des personnes considérées comme sales, pauvres et qui n’ont pas les codes, conclut Mme Ogier. C’est une question de l’image de la ville et c’est un vrai enjeu de la gestion du domaine public. » Pour toutes ces raisons, la LDH affirme qu’elle continuera à saisir systématiquement les tribunaux pour lutter contre toute forme de stigmatisation.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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