Les coordinateurs des permanences d’accès aux soins (PASS) préviennent que certains patients risquent de renoncer aux soins s’ils doivent avancer les frais des médicaments avant leur remboursement par l’Assurance-maladie.

La carte Vitale obligatoire en pharmacie, un risque pour les plus précaires

Depuis le 17 juin, la présentation d’une carte Vitale est exigée pour bénéficier du tiers payant en pharmacie. Certains médecins alertent sur la possibilité d’une interruption des soins et la surcharge des dispositifs de santé pour les publics vulnérables. 

Par Publié hier à 05h30, modifié hier à 11h53 https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/08/20/medicaments-la-carte-vitale-obligatoire-en-pharmacie-un-risque-pour-les-plus-precaires_6632170_3224.html?random=199222170

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Une pharmacie, à Coutances (Manche), le 26 février 2019.
Une pharmacie, à Coutances (Manche), le 26 février 2019.  CHARLY TRIBALLEAU/AFP

Les coordinateurs des permanences d’accès aux soins de santé (PASS) et la Fédération Addiction sont inquiets. En cause, la décision de l’Assurance-maladie de rendre obligatoire, depuis le 17 juin, la présentation d’une carte Vitale, physique ou dématérialisée, en pharmacie pour bénéficier du tiers payant, quel que soit le médicament.

Dans une lettre adressée fin juillet à la ministre de la santé, Catherine Vautrin, les coordinateurs des PASS préviennent que certains patients risquent de renoncer aux soins s’ils doivent avancer les frais des médicaments avant leur remboursement par l’Assurance-maladie. Une situation particulièrement préoccupante pour les maladies chroniques nécessitant un traitement régulier, comme le VIH, le diabète ou l’insuffisance cardiaque. Déjà très sollicitées, ces structures destinées initialement aux personnes sans couverture ou en attente de droits redoutent aussi une forte hausse de fréquentation. En lien avec les pharmacies hospitalières, les PASS sont en effet habilitées à délivrer des médicaments à des patients non suivis à l’hôpital ou sans droits ouverts.

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De son côté, la Fédération Addiction a souligné, fin juillet, dans un communiqué, que, avec cette mesure, « le gouvernement et l’Assurance-maladie prennent le risque de provoquer des rechutes, des hospitalisations, voire des surdoses »« Pour l’instant, nous n’observons que quelques interruptions de traitements dans nos centres, mais, à la rentrée, leur nombre pourrait être multiplié par dix », prévient Xavier Aknine, médecin addictologue dans un centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie et membre de la Fédération Addiction.

Lutter contre les fraudes

Le ministère de la santé et de l’accès aux soins rappelle qu’il s’agit non pas d’une nouvelle obligation, mais du respect du cadre juridique existant, qui permet déjà au pharmacien de demander la carte Vitale pour l’application du tiers payant. Pour l’Assurance-maladie, l’objectif est surtout de lutter contre les fraudes et le détournement de certains médicaments sensibles, comme les stupéfiants ou encore les antidiabétiques, et les traitements coûteux, excédant 300 euros la boîte.

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« Cette mesure a été prise au regard de la part élevée de facturations dites “dégradées” [c’est-à-dire sans carte Vitale ou sans application carte Vitale présentée par le patient] qui sont transmises par les pharmaciens [autour de 20 %] ; facturations dégradées pour lesquelles les fraudes sont plus fréquentes », précise-t-on à l’Assurance-maladie. Difficile néanmoins de mesurer l’étendue de cette fraude : si celle liée au trafic de médicaments et aux fausses ordonnances a représenté 13 millions d’euros en 2024, l’Assurance-maladie ne communique aucun chiffre concernant celle liée aux attestations de droits falsifiées.

Un discours qui interroge dans les rangs des pharmaciens. « Globalement, la fraude à la carte Vitale est un mythe », affirme Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France. Dans la pratique, l’application de la nouvelle obligation en officine s’effectue diversement, les pharmaciens et les prescripteurs se laissant la possibilité de concilier la réglementation avec la continuité des soins.

Lorsqu’un patient ne dispose pas de sa carte Vitale (en cours de fabrication, perdue ou volée), le tiers payant n’est possible que dans deux cas : pour les nourrissons de moins de 3 mois et pour les résidents d’Ehpad. « Il revient aux acteurs de terrain – pharmaciens et prescripteurs – d’appliquer cette règle au cas par cas, pour concilier les objectifs de lutte contre les fraudes d’une part et d’accès aux droits et aux soins d’autre part », précise l’Assurance-maladie.

« Réduire les délais administratifs »

A la Grande Pharmacie du Chevaleret, juste en face de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, AP-HP), à Paris, les équipes ont tranché. « Pour moi, c’est une dérogation au code de déontologie de ne pas délivrer un médicament à un patient assuré », affirme le cogérant de l’officine.

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Cet ancien pharmacien hospitalier délivre encore sur présentation d’une attestation de droits et rappelle que, grâce au numéro d’assuré, il est facile de vérifier l’ouverture des droits. « Finalement, c’est surtout le remboursement rapide par l’Assurance-maladie qui rend la carte Vitale importante. Sans carte physique, c’est plus lent. Dire que rendre obligatoire la présentation de la carte Vitale permet de limiter la fraude n’a aucun sens : dans aucun cas nous n’avons intérêt à ignorer l’assurance du patient, sinon, c’est nous qui payons le médicament », insiste-t-il.

L’officine voit passer de nombreux patients atteints du VIH et délivre beaucoup d’antiviraux, du fait de sa proximité avec l’hôpital parisien. « En cinq jours sans traitement, le virus du VIH recommence à se répliquer. En un mois, un patient peut passer au stade sida et mourir d’une infection opportuniste », alerte Thibault Chiarabini, infectiologue à l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP), à Paris.

Les risques sont tout aussi élevés en addictologie : Xavier Aknine cite le cas d’un de ses patients, traité à la méthadone, un substitut aux opiacés, qui s’était fait voler sa carte Vitale. « La pharmacie a refusé de délivrer le traitement, raconte-t-il. Nous avons dû intervenir, expliquer la situation et engager la responsabilité du patient. Il y avait urgence : en seulement quarante-huit heures, l’absence de traitement peut déclencher une crise d’épilepsie, pousser à acheter des produits de contrebande dangereux ou provoquer une décompensation psychique. »

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« Sur le fond, l’idée de simplification se comprend mais elle doit concerner toutes les démarches d’accès aux soins, pas seulement renforcer les contrôles, explique Olivier Auzas, coordinateur régional des PASS de Bourgogne-Franche-Comté. La vraie simplification, c’est réduire les délais administratifs pour obtenir une carte Vitale physique. C’est la seule manière de garantir les droits. »

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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