Deux affaires qui ont bousculé l’actualité catholique cet été : la démission de la présidente des Scouts et guides de Franc et la nomination au poste de chancelier à Toulouse du prêtre Dominique Spina.

« Certains évêques ont bien compris que leur prise de parole publique sur les questions de sexualité est disqualifiée »

Propos recueillis par Publié hier à 17h30 https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/08/16/certains-eveques-ont-bien-compris-que-leur-prise-de-parole-publique-sur-les-questions-de-sexualite-est-disqualifiee_6630557_3232.html

Temps de Lecture 6 min.

Entretien

La sociologue Céline Béraud réagit, dans un entretien au « Monde », aux deux affaires qui ont bousculé l’actualité catholique cet été : la démission de la présidente des Scouts et guides de France, Marine Rosset, attaquée sur son homosexualité, et la nomination controversée au poste de chancelier du prêtre Dominique Spina, condamné en 2005 pour le viol d’un lycéen.

Sociologue et directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Céline Béraud est spécialiste des questions de genre et de sexualité dans le catholicisme. Elle est l’autrice du Catholicisme français à l’épreuve des scandales sexuels (Seuil, 2021) et d’Une religion parmi d’autres (PUF, 408 pages, 24 euros).

A peine deux mois après son élection, la présidente des Scouts et guides de France, Marine Rosset, a annoncé sa démission, le 6 août, face aux critiques liées, selon elle, à son homosexualité. Que dit cet événement de l’évolution du monde catholique ?

L’élection et la démission de Marine Rosset témoignent à la fois d’un processus de banalisation des couples de même sexe dans le catholicisme français, des résistances en la matière, et de la puissance des réseaux de droite et d’extrême droite qui instrumentalisent ces sujets.

Son élection, le 14 juin, à une large majorité (22 voix sur 24), à la présidence des Scouts et guides de France représente un signal fort de l’évolution d’une partie des catholiques sur la question homosexuelle. Le premier mouvement de jeunesse catholique a choisi d’élire une personne qui ne fait pas mystère de son homosexualité et assume publiquement d’être mariée à une femme et d’élever avec elle leur enfant, tout en témoignant de sa foi.

Cette élection aurait été impensable il y a douze ans, au moment des mobilisations contre le mariage pour tous. Souvenons-nous de la violence qui s’était manifestée alors. La parole catholique avait été captée par la nébuleuse militante de La Manif pour tous ainsi que par certains évêques, donnant l’impression d’une unanimité contre le projet de loi au-delà des seuls réseaux conservateurs.

Les attaques ont pourtant été suffisamment virulentes pour que Marine Rosset décide, « en colère », de quitter ses fonctions pour « protéger le mouvement » et « sa famille », comme elle l’a déclaré. Qui sont ses détracteurs ?

Marine Rosset a été violemment attaquée par les milieux conservateurs et d’extrême droite, sur les réseaux sociaux et dans des médias comme Valeurs actuelles, Boulevard Voltaire ou Le Salon beige… Ces médias à l’idéologie maurrassienne agitent dès qu’ils le peuvent les questions de genre et de sexualité. Ils en ont fait l’un de leurs combats pour occuper l’espace médiatique. Depuis plusieurs années, le mouvement des Scouts et guides de France est dans leur viseur. Ils l’accusent de renoncer à son identité catholique et critiquent sa démarche d’accueil et d’ouverture. Ils y voient une forme de sécularisation qui aurait pour effet de diffuser ce qu’ils appellent la « menace woke » au sein de l’Eglise catholique.

Lire aussi (en 2023) :  Article réservé à nos abonnés  Dix ans du mariage pour tous : qu’est devenue la génération d’activistes née de l’opposition à la loi ?

Cette rhétorique part du principe que les questions de genre et de sexualité ne se poseraient pas dans le monde catholique et que les personnes LGBT+ seraient forcément hors et contre l’Eglise. Lorsqu’elle affirme tranquillement sa foi et son appartenance ecclésiale, Marine Rosset montre, au contraire, que cette idée est évidemment fausse, ce qui est tout simplement insupportable pour ses détracteurs.

Peut-on parler d’un phénomène générationnel ?

Cette évolution est, en effet, portée par un renouvellement générationnel. Il n’est pas étonnant qu’elle émerge au sein d’un mouvement de jeunesse catholique. Les Scouts et guides de France ont d’ailleurs participé de l’intérieur à cette évolution du catholicisme français sur les questions de genre et de sexualité. Dès les mobilisations contre le mariage pour tous, en 2012 et 2013, à un moment où la parole catholique semblait monopolisée par un petit nombre d’évêques et de militants de La Manif pour tous, le mouvement a été un espace de débat où s’est exprimé le dissensus.

Un groupe de travail sur les questions de sexualité et de genre s’est mis en place. Cette réflexion a notamment abouti, en 2015, à la création d’un jeu de cartes appelé « Non mais, genre ! », qui interroge les stéréotypes et permet aux chefs et cheftaines d’aborder avec les jeunes la question du consentement et des violences sexuelles. C’était un outil pédagogique assez innovant dans le contexte de l’époque, avant #MeToo et le travail de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise [Ciase]. Ce jeu a été réédité en 2024 par les Scouts et guides de France, qui ont aussi apporté leur soutien au nouveau programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle mis en place en à la rentrée 2025-2026 par le ministère de l’éducation nationale.

Existe-t-il un débat sur ces sujets au sein du mouvement ?

Des travaux, comme la thèse en cours de ma doctorante Raphaëlle Fontenaille, montrent qu’il existe une réelle pluralité sur les questions de genre et de sexualité au sein des Scouts et guides de France, comme c’est le cas dans l’Eglise catholique.

Une partie des familles adhèrent à ce projet éducatif. Dans le contexte des scandales sexuels dans l’Eglise catholique et du travail de la Ciase, elles y voient une bonne façon de protéger les jeunes gens d’éventuelles violences, dans l’Eglise ou en dehors. D’autres considèrent, au contraire, que ces questions relèvent uniquement de la famille et qu’un tiers ne doit pas s’en mêler, que ce soit l’école ou le scoutisme. Les réticences sont encore plus fortes sur les questions de non-binarité ou de transition de genre.

On retrouve là les tensions qui se jouent plus largement dans l’Eglise catholique depuis qu’elle a reformulé son positionnement sur l’homosexualité dans les années 1970, en maintenant sa condamnation ferme de pratiques qu’elle juge« intrinsèquement désordonnées », tout en promouvant l’accueil des personnes. Le pape François a mis l’accent durant son pontificat sur l’importance de l’accueil des personnes LGBT+ dans l’Eglise, alors que Benoît XVI et Jean Paul II avaient insisté sur la prépondérance et l’intangibilité de la norme, condamnant les évolutions législatives vers l’institutionnalisation dans différents pays des couples de même sexe et de l’homoparentalité.

En réalité, cette position, qui consiste à condamner les actes tout en accueillant les personnes, se révèle complexe, voire intenable. Le pape François s’y est empêtré au moment de la déclaration Fiducia supplicans [en décembre 2023] sur la bénédiction des couples « en situation irrégulière ». Et on voit bien la difficulté que cette position entraîne aussi pour les Scouts et guides de France, un mouvement qui reste tenu par le magistère catholique.

Lire aussi le décryptage (2023) :  Article réservé à nos abonnés  Couples de même sexe : le pape François change la pratique de l’Eglise catholique, mais pas sa doctrineLire plus tard

Comment analyser l’absence de réaction des responsables catholiques dans cette affaire ?

En se tenant à distance, l’épiscopat montre son embarras. D’un côté, il n’a pas participé aux condamnations de Marine Rosset, se plaçant dans la logique de l’accueil et du respect des personnes prônée par le pape François. Il a, semble-t-il, tiré les leçons des mobilisations contre le mariage pour tous, dont il a vu l’instrumentalisation par la droite et l’extrême droite. Le scandale des violences sexuelles est venu renforcer cette prudence. Certains évêques ont bien compris que leur prise de parole publique sur les questions de sexualité est disqualifiée. Ainsi, en 2021, au moment des débats sur l’ouverture de la procréation médicalement assistée aux femmes célibataires et aux couples de femmes, ils ont exprimé leur désapprobation, mais ils se sont tenus à distance des mobilisations.

De l’autre côté, l’épiscopat n’a pas défendu la présidente des Scouts et guides de France lorsqu’elle a été attaquée, alors qu’on aurait pu légitimement attendre une parole d’apaisement et même un appel au respect. Contrairement aux évêques allemands ou belges, dont les prises de position ne sont pas rares pour défendre les minorités sexuelles et de genre, l’épiscopat français reste plutôt silencieux sur le sujet.

La Conférence des évêques s’est, en revanche, exprimée le 10 août pour demander à l’archevêque de Toulouse, Guy de Kerimel, de revenir sur sa décision de promouvoir un prêtre condamné pour viol sur mineur, Dominique Spina, au poste de chancelier – ce qu’il a fait, six jours plus tard. Comment analysez-vous ce désaveu ?

Tout d’abord, il n’est pas anodin que les deux affaires qui agitent depuis le début de l’été le monde catholique soient liées à des questions de sexualité. Depuis l’affaire Preynat-Barbarin, en 2015, jusqu’à l’abbé Pierre et Betharram, les scandales sexuels se succèdent quasiment sans interruption. Durant ses six années de mandat, l’ancien président de la Conférence des évêques de France (CEF) Eric de Moulins-Beaufort, qui a quitté ses fonctions au printemps, a œuvré pour un changement d’attitude de l’institution dans la lutte contre ces violences. Dans le sillage de la Ciase, la CEF affirme désormais mettre au premier plan les victimes.

Lire aussi |  Les évêques de France invitent à « reconsidérer » la promotion d’un prêtre condamné pour violLire plus tard

Malheureusement, certains évêques n’ont toujours pas compris l’ampleur du phénomène, et Guy de Kerimel, qui a décidé de la promotion de ce prêtre, en est le triste exemple. Sa décision a d’ailleurs suscité l’indignation de fidèles et de clercs. Une telle faute montre bien que tous les évêques n’ont pas avancé à la même vitesse sur le respect des victimes. Quant à la CEF, elle n’a pas d’autorité hiérarchique sur les évêques. Son « invitation à reconsidérer la décision » relève de la simple « correction fraternelle », selon l’expression consacrée. Toujours est-il que Dominique Spina a fini par renoncer à ce nouveau poste, samedi 16 août, à la demande du diocèse.

Lire aussi |  La promotion d’un prêtre, condamné pour viol sur mineur, a été annulée à la demande de l’archevêque de Toulouse

Claire Legros

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire