L´Eglise s’interroge sur les moyens de répondre a la crise des vocations

De 65 000 prêtres en 1960 à 12 000 aujourd’hui : ces décennies de « crise des vocations » qui ont vidé les presbytères en France

Si l’appel aux étrangers et les regroupements de paroisses ont permis de pallier le phénomène de raréfaction, l’Eglise continue de s’interroger sur les moyens d’y répondre. 

Par Publié aujourd’hui à 05h45. https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/08/15/de-65-000-pretres-en-1960-a-12-000-aujourd-hui-ces-decennies-de-crise-des-vocations-qui-ont-vide-les-presbyteres-en-france_6629680_3224.html?lmd_medium=email&lmd_campaign=trf_newsletters_lmfr&lmd_creation=lebriefdumonde&lmd_send_date=20250815&lmd_email_link=_titre_1&M_BT=53496897516380&random=89474373

Temps de Lecture 5 min.

Deux diacres, candidats à la prêtrise, sont allongés face contre terre sur un tapis, symbolisant leur abandon à Dieu lors d’une cérémonie d’ordination sacerdotale à la cathédrale de Valence, le 15 juin 2025.
Deux diacres, candidats à la prêtrise, sont allongés face contre terre sur un tapis, symbolisant leur abandon à Dieu lors d’une cérémonie d’ordination sacerdotale à la cathédrale de Valence, le 15 juin 2025.  NICOLAS GUYONNET/HANS LUCAS/AFP

Samedi 28 juin, la nef de Notre-Dame de Paris est pleine à craquer. Des sièges en plastique ont dû être installés sur le parvis. Un à un, sous le soleil brûlant, les candidats à l’ordination s’avancent à l’appel de leur nom, lançant la formule rituelle : « Me voici ! » Ils sont seize à marcher vers l’autel de bronze consacré quelques mois plus tôt, seize à s’allonger sur le sol à damiers de la cathédrale, puis à recevoir l’imposition des mains de l’archevêque, Laurent Ulrich, et des quelque 500 prêtres du diocèse de Paris. Pour la première fois depuis l’incendie d’avril 2019, cette liturgie spectaculaire, organisée dans chaque diocèse une fois par an, avant l’été, peut se dérouler à Notre-Dame, et non dans l’église Saint-Sulpice.

Le millésime est à la hauteur de ce décor grandiose : seize ordinations, c’est dix de plus que l’année précédente. Après des fêtes de Pâques marquées par une forte hausse des baptêmes d’adultes, l’archevêché de Paris vit un nouveau moment de grâce. Les catholiques ne demandent-ils pas obstinément, dans leurs prières, des prêtres ?

En réalité, ce samedi de juin a tout du trompe-l’œil. « Une parenthèse », tranche cruellement un prêtre parisien : « Il faut remonter loin pour avoir un nombre à deux chiffres, et il faudra de nombreuses années avant que ça se représente. »

« Tendance de long terme »

L’éphémère miracle parisien ne suffit pas non plus à masquer la tendance nationale, qui est bien à l’anémie des vocations. En ce mois de juin, 90 prêtres sont ordonnés dans les 99 diocèses de France, contre 105 en 2024. Le chiffre place l’année 2025 tout près du plancher historique de 88 ordinations constatées en 2023.

L’évolution est encore plus frappante sur le temps long. En 1960, la France comptait jusqu’à 65 000 prêtres, en comptant les diocésains et ceux issus d’ordres religieux, en activité ou à la retraite. Ils étaient encore 25 000 en 2000, et 12 000 en 2023, dont 6 700 officient encore. La chute est encore plus marquée s’agissant des religieux et des religieuses, passés de 49 800 en 2000 à 17 300 en 2023.

« La bascule se situe dans les années 1960, rappelle le père Jean-Christophe Meyer, secrétaire général adjoint de la Conférence des évêques de France (CEF), chargé du pôle acteurs de l’Eglise. C’est à cette époque que la crise devient réellement aiguë, sous le double effet d’une diminution des vocations et du départ de nombreux prêtres, qui abandonnent l’état clérical. On a ensuite pu croire, dans les années 2000, avoir atteint le creux de la vague, mais l’effritement s’est poursuivi, accompagnant la sécularisation toujours plus marquée de la société, mais aussi la crise du monde rural. »

« Le terme de “crise des vocations” n’est pas entièrement approprié tant il s’agit d’une tendance de long terme », affirme de son côté le père Emmanuel Petit, recteur de l’Institut catholique de Paris. Selon le canoniste, le phénomène est plus marqué en France que dans le reste de l’Europe, avec toutefois des disparités régionales : « L’Ouest se tient globalement mieux que l’Est, à l’exception de l’Alsace, un peu plus dynamique. La ville de Paris, certes très sécularisée, garde des paroisses dynamiques. Mais des régions entières, qui comptaient autrefois des séminaires actifs, ne forment aujourd’hui plus aucun prêtre. »

Année après année, l’Eglise de France a dû revoir son maillage territorial, multipliant les regroupements paroissiaux. Les paroisses les plus démunies, dans les diocèses de Limoges, de Luçon (Vendée) ou de Saint-Flour (Cantal) comptent jusqu’à soixante clochers. Autre solution : le recours aux prêtres étrangers, principalement africains. Selon les chiffres fournis par l’Eglise, ceux-ci sont majoritaires dans au moins quatorze diocèses. En tout, selon les chiffres de la CEF, sur les quelque 6 700 prêtres en activité en France, un tiers sont des étrangers.

« Engagement sacrificiel »

Au fil des ans, c’est aussi le profil des prêtres qui a évolué. Une semaine après son ordination à Notre-Dame, Erwan Saint-Macary, 33 ans, commence à peine à réaliser : « Je bénis beaucoup, et je reçois beaucoup d’encouragements chaleureux. » Clin d’œil du destin, celui qui fut un temps médecin militaire donne rendez-vous devant l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, où il vient de donner l’onction des malades à des patients. « Dans cette position, auprès de ceux qui souffrent, j’ai la sensation de vivre l’essence de ce qui m’avait amené à choisir la médecine, raconte-t-il. A la différence près qu’en médecine on ne parle pas de l’âme… »

Le père Saint-Macary a grandi dans une famille pieuse du Sud-Ouest. A 5 ans, il annonçait à sa mère : « Je veux être prêtre et saint. » La suite fut moins linéaire, entre une vision du monde « très cartésienne », ce choix de la médecine militaire, de longues périodes loin de l’Eglise et des aventures amoureuses qui, jusqu’au bout, lui ont laissé penser qu’il serait incapable d’embrasser le sacerdoce… Il faut d’abord « l’expérience mystique d’une confession bouleversante », à l’âge de 23 ans, pour que, peu à peu, il envisage de s’engager sur la voie de la prêtrise et finisse par entrer au séminaire, trois ans plus tard.

Ce parcours tortueux n’est pas unique : de plus en plus de prêtres connaissent plusieurs vies, plusieurs carrières avant de se consacrer à l’Eglise. Le changement est aussi sociologique. « Avant, le séminaire constituait pour les jeunes de certains milieux, par exemple paysans, une voie pour accéder à une formation, pour s’élever socialement et culturellement, rappelle le père Emmanuel Petit. Aujourd’hui, la situation est inverse : les nouveaux prêtres viennent de familles favorisées de la bourgeoisie urbaine ou des milieux aristocratiques, et le sacerdoce est perçu comme un engagement sacrificiel. »

« Au départ, ma mère et ma grand-mère ont eu du mal à accueillir ma décision, explique, comme en écho, le père Erwan Saint-Macary. Elles avaient peur que je ne sois pas heureux. Et même au sein de l’Eglise, beaucoup de gens continuent à me dire : “C’est si dur, vous êtes courageux…” » Le jeune prêtre vit au contraire son envoi à Bondy, une paroisse pauvre mais très dynamique de Seine-Saint-Denis, comme « quelque chose d’extrêmement stimulant ».

Participation accrue des laïcs

L’Eglise de France, elle, continue de s’interroger sur les moyens de répondre à la raréfaction des vocations. « Réorganiser la carte des paroisses ne répond pas à tout », résume le père Jean-Christophe Meyer, de la CEF, qui note d’ailleurs que « dans beaucoup de diocèses on touche à la limite de ce qui est possible en matière de regroupements ». L’ecclésiastique plaide notamment pour que « les communautés de chrétiens se prennent encore plus en main, sans attendre un prêtre qui de toute façon ne peut pas exercer comme on le faisait il y a cinquante ans ».

Ces pratiques, déjà bien établies dans les paroisses françaises, rejoignent la réflexion portée au niveau mondial par le pape François (2013-2025) sur la synodalité, autrement dit la participation accrue des laïcs, femmes comprises, à la vie de l’Eglise. Sous son pontificat, les fonctions de lecteur et d’acolyte (servant d’autel) ont aussi été ouvertes aux femmes, le ministère de catéchiste (une fonction et un statut qui vont au-delà du simple « prof de caté ») ouvert aux laïcs. Jean-Christophe Meyer souhaite aussi que l’Eglise arrive à « faire entendre l’appel du sacerdoce » dans les communautés issues de l’immigration, où l’on rencontre des paroissiens fervents mais peu de prêtres.

Lire aussi (2024) |  Article réservé à nos abonnés  Essentielles, mais dans l’ombre, la petite place des femmes dans l’EgliseLire plus tard

Reste la question de l’ordination des femmes ou l’ouverture du mariage aux prêtres. « Aucune question n’est en soi tabou, tranche Emmanuel Petit, mais ce ne serait pas au niveau du débat que de le réduire à cet enjeu d’effectifs. » Le même note par ailleurs que les religions comptant des ministres du culte femmes ou mariés connaissent elles aussi une crise des vocations.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire