Dans l’ouest de Madagascar, un millier de paysans abandonnés après le retrait de l’aide américaine
Le démantèlement de l’ Usaid a provoqué l’arrêt de programmes de santé, d’éducation, de développement agricole et de sauvegarde de la biodiversité dans la région du Menabe.

Bordeaux (qui n’a souhaité donner que son prénom), un paysan au visage acéré, ignore qui est Donald Trump mais il sait qu’au mois de février tout, pour lui, s’est arrêté : la promesse d’une maison en dur, des semences pour cinq ans, des engrais, du matériel agricole, un appui technique pour exploiter un champ de 2 hectares fourni par l’Etat. Sans parler du centre de santé et de l’école pour ses enfants qu’on lui avait fait miroiter.
C’est sur ces promesses qu’il y a deux ans, il avait accepté de quitter l’aire protégée de Menabe-Antimena, dernier refuge du microcèbe de Mᵐᵉ Berthe, le plus petit lémurien au monde, pour venir s’installer à Bezeky, destination finale d’une opération de relocalisation financée par l’agence américaine d’aide au développement, l’Usaid, depuis démantelée par le président américain.
Bezeky est l’un des volets du projet Mikajy – gestion durable en français – lancé à partir de 2018 par les Etats-Unis pour freiner la destruction massive des forêts sèches de l’ouest de Madagascar, provoquée par l’exploitation de l’arachide et du maïs par des migrants originaires pour la plupart du sud du pays où frappent des sécheresses prolongées.
Mais l’annulation brutale de ce qui devait être une deuxième phase de soutien de quatre ans baptisée Harena (« la richesse ») illustre de manière crue les conséquences du retrait du premier bailleur de fonds bilatéral de la Grande Ile de l’océan Indien.
« Nous avons faim »
A une quarantaine de kilomètres de l’aire protégée, sur une plaine desséchée, Bezeky offre le spectacle de villages abandonnés au milieu de nulle part. Sur le mur blanc d’une des rares maisons construites parmi les cases en paille, un plan d’une rigueur militaire dessine la cité imaginée avec ses alignements de parcelles et ses infrastructures essentielles. Près de 500 au total destinées à abriter une maison pour chaque famille et autant de champs de deux hectares autour.
Cette opération de distribution de terres était à la charge de l’Etat, tandis que l’Usaid avait la responsabilité de garantir des moyens de subsistance « alternatifs et durables » pour ces paysans sédentarisés soustraits – de manière volontaire – à leurs activités illégales.
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Fin 2024, 189 familles étaient installées, soit environ un millier de personnes. Aujourd’hui, elles sont presque toutes reparties. « Nous avons faim. A la fin de Mikajy, ils sont venus nous sensibiliser pendant trois mois. Ils nous ont dit : “Maintenant, vous êtes Harena”. Puis ils nous ont annoncé la coupure [des financements ] et ils ont disparu », témoigne Bordeaux, désemparé.
Les semences n’ont pas été distribuées et les programmes « argent contre travail » qui permettaient aux paysans d’avoir un revenu en attendant les récoltes ont été supprimés. Il ne reste aux familles que la vente des baies séchées de jujubier le long de la route nationale, à quatre heures de marche, pour se procurer de quoi acheter des produits de première nécessité.
« On nous a vendu la terre promise »
Face à l’urgence, elles ont aussi bradé les chèvres qui avaient été distribuées. Seuls deux puits par village, trois motoculteurs dont deux en panne et autant de machines à décortiquer l’arachide estampillés d’un gros Usaid attestent du passage de la coopération américaine.
« On nous a vendu la terre promise », résume en se moquant de sa naïveté, Marc Dumaye, porte-parole des migrants. Il est pourtant le seul jusqu’à présent à bénéficier d’une maison sous l’œil envieux de ses voisins d’infortune. Un privilège qu’il doit à sa fonction d’agent communautaire rattaché au centre de santé de base de Laijoby, établi à une quinzaine de kilomètres de là.

La caisse en plastique qui tient lieu de pharmacie raconte sans détour une autre facette du retrait américain : l’effondrement des approvisionnements en médicaments pour lutter contre le paludisme. Son stock tient dans une main : trois cachets d’ACT, le traitement de référence de la maladie parmi les premières causes de mortalité du pays.
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A Laijobi, Pasteur Razafy, chef du centre de santé dont dépendent plus de 9 200 personnes et 14 agents communautaires dans un rayon de 25 kilomètres, ne peut que confirmer la gravité de la situation. « En dehors des cas sévères, la plupart des habitants ne viennent jamais jusqu’ici car c’est trop loin pour eux. Les agents communautaires sont chargés de gérer les besoins en médicaments après s’être approvisionnés auprès de nous. Mais nous faisons face aux pénuries depuis le départ de l’Usaid et les agents ne sont plus payés », explique-t-il.
« Les gens sont désespérés »
En 2018, les Etats-Unis ont décidé de subventionner le renforcement du système de santé à l’échelle du pays. Avec une attention particulière à la lutte contre la mortalité infantile, la santé des enfants de moins de 5 ans et au planning familial. Tout s’est arrêté en mars 2025. Les cliniques mobiles avec à leur bord un médecin ne circulent plus dans les villages reculés.
Simple infirmier, Pasteur Razafy fait face avec les moyens du bord entouré de deux adjoints désormais bénévoles. Ses armoires sont presque vides car le relais pris par l’Etat pour la livraison d’antipaludéen est loin d’être suffisant. La pose d’implants contraceptifs a été suspendue. Les préservatifs, les pilules, ne sont plus livrés. « Les gens sont désespérés lorsqu’ils voient que nous n’avons plus rien », admet le trentenaire. Les vaccinations de routine sont toujours assurées par l’Unicef et par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
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Comment auraient-ils pu imaginer que, du jour au lendemain, ces maigres progrès dans leur vie difficile allaient leur être enlevés par le président de l’Etat le plus riche au monde ? Jean-Evrard Monja Mahalignison, directeur des infrastructures et du développement de la région du Menabe, aimerait avoir une réponse à leur apporter. A Morondava, ville de bord de mer et siège de l’administration locale, le fonctionnaire ne quitte plus son bureau. « Je n’ose plus me rendre là-bas, je cherche des solutions », confie-t-il.
Il n’est pas le seul face à cette équation. Suite à la décision de Donald Trump, d’autres projets impliquant la vie de milliers de personnes ont dû être abandonnés. Tel Riake, qui signifie « mer » en malgache, lancé début 2025 avec pour ambition affichée l’intégration des pêcheurs traditionnels dans l’économie formelle afin d’améliorer leurs revenus et gérer de manière plus durable les ressources halieutiques. Les programmes de renforcement de la gouvernance locale, d’éducation à la citoyenneté et à l’Etat de droit dans les collèges et les lycées ont été fermés.
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Rares sont en réalité les secteurs qui n’ont pas été touchés. « L’Etat n’a pas d’argent. Notre développement dépend de l’appui financier de partenaires étrangers. Il ne nous reste plus qu’à espérer que d’autres pays se substituent aux Etats-Unis », souligne M. Mahalignison. Les dépenses d’investissement du gouvernement malgache reposent à 70 % sur des financements extérieurs. Cette dépendance dépasse 90 % dans les secteurs de la santé, de l’éducation ou encore de l’environnement. Les Etats-Unis fournissaient 40 % de l’aide bilatérale et les programmes suspendus dans le Menabe étaient aussi déployés dans d’autres régions du pays.
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Le 20 janvier, le président américain, Donald Trump, annonçait le gel des activités de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (Usaid), suivi le 1er juillet par sa fermeture officielle. Alors que l’institution basée à Washington finançait de nombreux programmes en Afrique, notamment dans la santé, Le Monde revient au travers d’une série d’articles sur les conséquences de son démantèlement sur le continent.
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Laurence Caramel (Bezeky, Morondava [Madagascar], envoyée spéciale)