« Les racines du mal budgétaire français sont à chercher au-delà de nos frontières, dans l’échec d’un système fiscal international à bout de souffle »
Tribune
Virginie AmieuxPrésidente du CCFD-Terre Solidaire
Sans justice fiscale internationale, la France ne sortira pas de la crise budgétaire explique, dans une tribune au « Monde », Virginie Amieux, présidente de l’ONG CCFD-Terre solidaire, qui lutte contre la faim dans le monde.
Alors qu’une nouvelle cure d’austérité budgétaire brutale vient d’être confirmée par le gouvernement, l’équation budgétaire française semble cette année encore insoluble. Une équation aux contours connus : baisse continue des recettes fiscales, déficit public structurel, dette publique qui explose. Et toujours la même solution : des coupes budgétaires massives, de plus de 40 milliards d’euros cette année, fragilisant les services publics et creusant les inégalités à un rythme inédit, au détriment des classes moyennes et populaires, sans réelle efficacité budgétaire.
Si ces solutions inefficaces se répètent d’un budget à l’autre, c’est aussi parce qu’une part essentielle du problème est ignorée : la faillite profonde du système fiscal international. Pourtant, pour comprendre la crise budgétaire française, il faut regarder la conjonction de deux dynamiques : l’une nationale, l’autre internationale, qui affaiblissent profondément la souveraineté fiscale française.
Une concurrence fiscale débridée des Etats
D’un côté, des choix fiscaux nationaux, ayant érodé la progressivité de notre système fiscal – suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, baisse de l’impôt sur les sociétés, cadeaux fiscaux répétés aux plus privilégiés –, qui amputent gravement la France de ressources fiscales essentielles, en particulier depuis 2017.
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De l’autre, une mondialisation financière dérégulée qui a encouragé une concurrence fiscale débridée des Etats, généralisé la mobilité du capital dans une grande opacité, et favorisé une évasion fiscale massive des multinationales comme des individus les plus riches, au prix d’une saignée financière immense, de près de 500 milliards de dollars à l’échelle mondiale, dont près de 33 milliards pour la France.
Les racines du mal budgétaire français sont donc aussi à aller chercher au-delà de nos frontières, dans l’échec d’un système fiscal international, à bout de souffle, incapable de s’adapter à une économie mondialisée, financiarisée et numérisée. Un système qui depuis trop longtemps favorise l’opacité financière, au profit des paradis fiscaux où 40 % des bénéfices des multinationales sont transférés chaque année, et où les ultrariches dissimulent une richesse offshore équivalente à 10 % du produit intérieur brut mondial.
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Face à ce nivellement par le bas de la justice fiscale, qui partout ponctionne les caisses des Etats, dont la France, de ressources fiscales nécessaires, une autre voie est pourtant possible : une vraie coopération fiscale internationale, condition d’une sortie à long terme de la crise budgétaire que traverse notre pays. C’est pourquoi la France doit contribuer activement à une régulation mondiale des politiques fiscales des Etats, indispensable à la construction d’une véritable justice fiscale internationale.
Une autre voie aux Nations unies
Certes, des tentatives de réformes ont vu le jour ces quinze dernières années sous l’égide du G20 et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Mais, menées dans un cercle restreint de pays riches, sans associer l’ensemble des Etats, ni traiter la question fiscale dans sa globalité, elles ont échoué.
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La taxation minimale des multinationales à 15 %, présentée en 2021, comme une révolution dans la lutte contre l’évasion fiscale, n’est jamais devenue un standard mondial. Elle a laissé intactes des failles qui alimentent une concurrence fiscale toujours plus forte. Pire encore, cet accord est aujourd’hui menacé par son abandon par les Etats-Unis, et par un accord récent au G7 y introduisant des failles en faveur des multinationales américaines.
Face à ces échecs, une autre voie s’est ouverte aux Nations unies : un processus de négociations historiques pour aboutir à une convention fiscale internationale contraignante, sous l’impulsion des pays du Sud et en particulier des pays africains, touchés de façon disproportionnée par l’injustice fiscale mondiale et amplement limités dans le financement autonome de leurs politiques de développement et de transition climatique.
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Cette convention est une chance unique de corriger les failles structurelles du système en taxant enfin les multinationales là où elles opèrent, en mettant fin à l’impunité des paradis fiscaux, en instaurant une taxation effective des ultrariches tout en renforçant la transparence fiscale. Des mesures de justice, urgentes et structurelles, qui rapporteraient à la France – comme à tant d’autres pays – durablement des recettes fiscales.
Transparence et coopération
Cet impératif de coopération internationale était reconnu mi-mai par Emmanuel Macron lui-même, qui déclarait qu’une taxation des plus riches avait un sens si elle était mondiale, touchant là un point fondamental : la richesse des plus fortunés est mondiale et opaque. Pour la taxer, il faut donc des outils globaux de transparence, de coopération et d’échange d’information, pour pouvoir identifier les actifs cachés et démanteler les montages permettant d’échapper à l’impôt.
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Mais cette déclaration, reflet d’un double discours fiscal français, ne peut servir d’excuse commode pour l’inaction. Car, jusqu’à présent, la France s’est montrée réticente, voire hostile, au processus en cours à l’ONU, en s’abstenant pour la mise en place de ces négociations pour une convention fiscale. En soutenant ce processus la France ferait pourtant un choix gagnant : pour elle-même, et pour la construction d’un ordre fiscal mondial plus juste et plus transparent.
Pour sortir de l’impasse budgétaire, il est donc temps pour la France de sortir de son « hypocrisie fiscale ». La coopération fiscale internationale ne peut plus rester un angle mort du débat national, et doit retrouver toute sa place dans le débat budgétaire qui débutera à l’automne. Elle doit devenir la seconde jambe sur laquelle la France doit s’appuyer pour redresser ses comptes et renouer avec la justice fiscale.