Plus de deux milliards de personnes, soit plus du quart de la population mondiale, ne bénéficient toujours pas d’un accès à une eau de qualité.

« La reconnaissance d’un droit fondamental à l’eau doit se décliner en engagements opposables »

Tribune

Simon PorcherProfesseur en sciences de gestion

Alors que l’Organisation des Nations unies a reconnu l’accès à l’eau comme droit humain fondamental en 2010, Simon Porcher, professeur en sciences de gestion, plaide, dans une tribune au « Monde », pour un traité global contraignant qui rendrait ce droit réellement effectif.

Publié le 12 août 2025 à 05h30 https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/08/12/la-reconnaissance-d-un-droit-fondamental-a-l-eau-doit-se-decliner-en-engagements-opposables_6628323_3232.html

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Le 28 juillet 2010, la reconnaissance par les Nations unies d’un « droit à l’eau » a constitué une avancée majeure sur le plan symbolique et politique. Elle a permis de poser un principe : l’accès à une eau potable, propre et de qualité, et à des installations sanitaires constitue un droit humain fondamental. Paroles, paroles ? Ou levier juridique permettant de faire la différence ? Quinze ans plus tard, le bilan ne laisse pas d’interroger.

Certes, des progrès ont eu lieu depuis. Des objectifs ont été définis avec des financements ciblés de la part des grands organismes d’aide internationale. Les Etats sont aussi considérés désormais comme responsables de l’accès à l’eau de leurs populations, ce qui les incite à agir et à mesurer leurs avancées.

L’amélioration rapide de l’accès à l’eau de centaines de millions d’habitants des pays émergents sortis de la pauvreté doit enfin être mentionnée, même si elle n’a aucun lien avec la reconnaissance internationale de ce droit à l’eau. Cependant, selon l’Organisation mondiale de la santé et le Fonds des Nations unies pour l’enfance, plus de deux milliards de personnes, soit plus du quart de la population mondiale, ne bénéficient toujours pas d’un accès à une eau de qualité.

La question de l’assainissement reste tout particulièrement problématique. La moitié de la population mondiale continue à rejeter ses eaux usées domestiques dans la nature sans traitements adaptés, avec des conséquences désastreuses sur la qualité des eaux. Plus d’un million de décès par an en résultent directement.

Un enfant de moins de 5 ans meurt toutes les 80 secondes à cause d’une eau contaminée.

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L’absence d’eau courante a, pour sa part, de nombreuses conséquences. Des millions de femmes et de petites filles passent de longues heures chaque jour à aller chercher l’eau pour leur famille. Temps perdu. Argent perdu. Selon l’organisation non gouvernementale WaterAid, l’eau vendue aux plus pauvres par des revendeurs informels coûte parfois dix à vingt fois plus cher que l’eau du robinet. Les habitants des bidonvilles de Nairobi dépensent un tiers de leur revenu en achat d’eau. Le rythme du progrès sur ces questions apparaît particulièrement lent lorsqu’on le compare avec l’explosion de l’accès à Internet depuis une trentaine d’années.

Prévenir les conflits

Les personnes connectées à Internet sont désormais quasiment aussi nombreuses que celles qui disposent d’une eau propre au robinet, alors que cette eau courante est accessible à certains depuis plus de deux cents ans. Un réseau de bornes-fontaines publiques était en place à Paris dès le milieu du XIXe siècle, et a servi de base au développement de l’eau « à tous les étages ». On purifiait l’eau à cette époque par filtration sur sable, avant d’utiliser, au début du XXe, du charbon actif ou du chlore.

L’accès à une eau propre est donc loin d’être technologiquement hors de portée. D’autant que des solutions spécifiques ont été développées ces dernières années pour les zones rurales où le coût des adductions d’eau reste élevé. Une organisation non gouvernementale, Evidence Action, met par exemple en place des distributeurs de chlore avec doseurs pour traiter l’eau pompée à la source, donnant accès à de l’eau saine à plus de 10 millions de personnes non connectées aux réseaux, en Afrique de l’Est, le tout pour moins de 1,50 dollar (environ 1,30 euro) par personne et par an. Le temps de rentrer à la maison, l’eau est désinfectée.

Pourquoi ne pas investir massivement dans ce type de projets ? Certes, l’heure est à la diminution des aides internationales au développement, mais ces sujets peuvent mobiliser les populations. Chacun comprend les problèmes posés par une eau difficile d’accès, polluée, propageant des maladies. Il s’agit aussi d’aller plus loin sur le plan juridique. La reconnaissance d’un droit fondamental à l’eau doit se décliner en engagements opposables, garantissant leur respect. Des mécanismes de suivi sont aussi indispensables, avec des financements permettant de mobiliser des fonds spécifiques pour les pays les plus vulnérables.

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Un traité global sur l’eau incluant ces éléments est nécessaire. Il constituerait aussi une base pour compléter les conventions existantes et encourager la coopération entre Etats afin de protéger ce bien commun de l’humanité, qui circule à travers les bassins-versants, les nappes souterraines et l’atmosphère, dépassant largement les frontières nationales.

Pour préserver le cycle naturel de l’eau, prévenir les conflits liés à sa rareté et réduire les inégalités d’accès, sa gestion doit devenir collective, responsable et solidaire. Sans cela, le droit à l’eau restera un principe sur le papier, et non une réalité pour celles et ceux qui en ont le plus besoin.

Simon Porcher, professeur en sciences de gestion à l’université Paris-Dauphine (PSL), est l’auteur de « La fin de l’eau ? » (Fayard, 2024).

Simon Porcher (Professeur en sciences de gestion)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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