Au Laos, un barrage menace l’avenir touristique de Luang Prabang, ville classée par l’Unesco

AFP
21 FÉVRIER 2024 À 06H50 https://www.challenges.fr/economie/au-laos-un-barrage-menace-l-avenir-touristique-de-luang-prabang-ville-classee-par-l-unesco_884642#
MODIFIÉ LE 11 DÉCEMBRE À 03H48
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Près de Luang Prabang, la construction d’un barrage sur le fleuve Mékong bouche l’avenir de la capitale touristique du Laos, où les défenseurs de l’environnement et du patrimoine peinent à se faire entendre.
« Aujourd’hui, le paysage est magnifique. Vous pouvez voir les rochers, le fleuve, les jardins sur la rive », décrit un guide conférencier, sous couvert d’anonymat, pour se protéger vis-à-vis du gouvernement autoritaire.

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« Une fois qu’ils auront terminé le barrage, le Mékong sera différent », concède-t-il.
A Luang Prabang, joyau culturel du Laos cerné par les montagnes et le Mékong, les pagodes et les vieux bâtiments de style colonial français attirent des centaines de milliers de visiteurs par an.
Des bateaux de touristes sur le fleuve Mékong, le 27 janvier 2024 à Luang Prabang, au Laos (AFP – TANG CHHIN Sothy)
Mais l’avenir du site, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, est suspendu au chantier d’un barrage à 25 kilomètres en amont, devenu le symbole de la croissance poussée par le régime communiste en dépit des préoccupations environnementales ou sociales.
Un coût estimé de 3 milliards de dollars, 80 mètres de hauteur, 275 mètres de largeur: la mega-infrastructure doit produire 1.460 mégawatts d’électricité, avec une mise en service prévue en 2030, selon l’agence de presse laotienne.
– Priorité au développement –
L’essentiel de cette énergie est destinée à la Thaïlande et au Vietnam, qui contribuent à la construction, a précisé la commission pour le fleuve Mékong.Coucher de soleil sur le Mékong, à Luang Prabang, au Laos, le 31 janvier 2024 (AFP/Archives – TANG CHHIN SOTHY, TANG CHHIN SOTHY)
L’Unesco a exprimé « à plusieurs reprises ses inquiétudes au sujet de la préservation de la ville de Luang Prabang », selon un courriel transmis à l’AFP.
L’agence onusienne appelle le pouvoir central à réaliser une étude d’impact sur le patrimoine de l’ancienne capitale du royaume dit du « million d’éléphants ».
Une baisse du nombre de visiteurs aurait des conséquences importantes sur la ville qui dépend beaucoup du tourisme.
Le Laos, pays pauvre enclavé et dépourvu de tissu industriel, a misé sur l’hydroélectrique pour fournir de l’énergie ses voisins, à travers une série de barrages sur le Mékong et ses affluents, et soutenir une économie minée par l’inflation et les dettes.
Les exportations d’électricité ont rapporté 2,3 milliards de dollars en 2022, selon l’agence de presse laotienne, au grand dam des organisations environnementales qui dénoncent l’impact de ces infrastructures, certaines financées par la Chine, sur la biodiversité ou le niveau du fleuve.
Des bateaux de touristes sur le fleuve Mékong, à Luang Prabang, le 28 janvier 2024 au Laos (AFP – TANG CHHIN Sothy)
« Les barrages sont nécessaires et ils ne sont pas en ville », se défend Anda Yangsenexay, chef adjoint du service municipal en charge des question liées au patrimoine, conscient des « désaccords » avec l’Unesco.
« Le développement doit aller de pair avec la préservation de la ville, et dans le même temps, les défenseurs du patrimoine doivent accepter le développement. Les deux idées doivent marcher main dans la main », insiste-t-il.
– « Une rivière morte » –
A une centaine de kilomètres en aval de Luang Prabang, le barrage de Xayaburi est entré en service en 2019, malgré des années de controverses.
Les experts restent sceptiques face au discours des autorités.
Le fleuve Mékong à Luang Prabang, le 29 janvier 2024 au Laos (AFP – TANG CHHIN Sothy)
« Le Mékong est devenu, – et la tendance se renforce -, une rivière morte et essentiellement un lac, parce qu’il est cerné par les barrages », explique Brian Eyler, directeur du programme Asie du Sud-Est au Stimson Center, un centre de réflexion américain basé à Washington.
Les habitants de Luang Prabang, notamment ceux vivant du tourisme, s’inquiètent d’éventuelles répercussions qui feraient fuir les visiteurs.
Une jeune femme de 21 ans, qui travaille sur un bateau touristique, confie ses doutes après s’être informée sur le projet sur Facebook.
« Je suis un peu inquiète parce que ça peut affecter le nombre de touristes. Si les touristes ne viennent pas, nous n’aurons pas de revenu », dit-elle.
Mais la plupart des habitants semblent résignés. Un homme de 37 ans interrogé sur l’impact du barrage hausse les épaules.
« Des hauts fonctionnaires ont déjà signé le contrat », indique-t-il. « Je n’ose pas parler. »
La Chine est en train de faire disparaître le Mékong
La sonnette d’alarme est tirée ! Le Mékong serait en train de disparaître. En effet, considéré comme le 10e plus grand fleuve du monde, ce cours d’eau devrait déborder. Ce n’est pourtant pas le cas. Son niveau ne cesse de décroître, mettant en danger l’un des plus importants écosystèmes du pays !
https://youtu.be/sWUg6HPS32U?si=Crq7egbAg78RSVU_
LA BIODIVERSITÉ ET LES PÊCHEURS DU MÉKONG MENACÉS PAR LES BARRAGES #JEUDIPHOTO
PUBLIÉ LE 19.01.2023 https://ccfd-terresolidaire.org/thailande-les-pecheurs-du-mekong-souffrent-des-barrages-jeudiphoto/#:~:text=Le%20long%20du%20fleuve%20Mékong,droits%20et%20préserver%20leur%20environnement.

Le long du fleuve Mékong, la multiplication des barrages affecte l’écosystème et les moyens de subsistance de plus de 60 millions de personnes. Les communautés de pêcheurs, bien déterminées à sauver leur fleuve nourricier, s’organisent pour défendre leurs droits et préserver leur environnement.
Pêcheur le long du Mékong, 2023 © Tananchai Keawsowattana
LE MÉKONG : UN FLEUVE EN PÉRIL
Nous sommes dans le village de Ban Muang, dans la province de Nong Khai dans le Nord-est de la Thaïlande. Ici, s’écoule le fleuve Mékong marquant une frontière avec le voisin laotien.
Ce vieux pêcheur thaïlandais — plongé dans l’eau jusqu’aux hanches, accoudé à sa barque bleue usée, sa canne à pêche artisanale dans les mains — à l’espoir vain de pêcher quelques poissons. Loin de l’abondance et de la magnificence d’antan du Mékong, c’est hélas un tableau horrifique qui l’entoure et qu’il observe avec désarroi. Un tapis de déchets plastiques amassés au milieu des branchages recouvre le bas niveau de l’eau. L’époque d’une nature idyllique et nourricière semble révolue.
Le fleuve Mékong — considéré comme une « seconde mère » pour les riverains — abritait la plus grosse réserve de poissons d’eau douce du monde. Aujourd’hui, le fleuve est en péril et de nombreuses espèces de poissons sont menacées d’extinction. Le niveau de l’eau n’a jamais été aussi bas pour les pays qui le bordent comme la Thaïlande, le Laos, le Cambodge ou encore le Vietnam.
Mais que s’est-il passé ? Dans une stratégie de devenir « la pile de l’Asie du Sud-est », les barrages hydroélectriques laotiens (mais aussi chinois) fleurissent en amont et perturbent l’écosystème du fleuve.
NOUS SOMMES DÉSORIENTÉS, LES ZONES DE PÊCHE ONT CHANGÉ, LES POISSONS PERDENT LEUR HABITAT NATUREL. L’EAU CHANGE DE DIRECTION SANS CESSE.SUTA INSURAN, PÊCHEUR.
LES PÊCHEURS DÉFENDENT LEUR MÈRE NOURRICIÈRE
Cette situation affecte les communautés de pêcheurs et les millions de riverains dont les moyens de subsistance s’amenuisent. Désormais, vivre de la pêche est un leurre. Face à cette situation, aucune réponse des autorités locales n’a été apportée pour dédommager les communautés, alors contraintes de se tourner vers d’autres sources de revenus. Le photographe Tananchai Keawsowattana est allé à leur rencontre.
Loin de se résigner, pêcheurs et amoureux du fleuve sont bien déterminés à sauver le Mékong. Avec le soutien de notre partenaire Mekong Butterfly, ils documentent les perturbations de l’écosystème dont ils sont témoins et s’organisent pour obtenir justice face aux impacts environnementaux et sociaux causés par les barrages.
LES BORDS DU MÉKONG BOULEVERSÉS PAR LES BARRAGES
PUBLIÉ LE 16.12.2022 https://ccfd-terresolidaire.org/les-bords-du-mekong-bouleverses-par-les-barrages/


Au Laos, la construction des barrages sur le Mékong perturbe profondément l’écosystème du fleuve. Les prises de poissons ont chuté mettant en péril les revenus des communautés de pêcheurs du voisin thaïlandais.
Le pêcheur thaïlandais Suta Insuran brandit un amas de branchages secs, l’enchevêtrement du système racinaire d’un Harmonia. Cet arbuste s’accroche habituellement sur les rochers du fleuve Mékong. « Les racines servaient de nurserie pour les poissons. Cet espace coinçait les sédiments, et les larves y trouvaient des nutriments précieux à leur développement », explique-t-il. Désormais, ces arbustes dépérissent. Le développement des algues sur les feuilles bloque la photosynthèse et entraîne leur déclin. Une catastrophe car les poissons perdent des lieux de reproduction. À Ban Muang, village de la province de Nong Khai dans le nord-est de la Thaïlande, les pêcheurs ne cessent de constater les changements du fleuve.

Les pièges à poissons et les filets sont de moins en moins utilisés.
Faute de revenus, la majorité des pêcheurs se tournent vers d’autres ressources.
©Tananchai Keawsowattana
« Nous avons commencé à voir des modifications à partir de 2010 avec les premiers barrages chinois », relève le pêcheur Chaiwat Parakun. L’inscription Save the Mekong, « Sauver le Mékong », barre son tee-shirt. Un cri d’alarme, car le fleuve souffre et les communautés qui en dépendent aussi. En 2019, à 400 kilomètres au nord du village, la mise en route du barrage de Xayabury, d’une puissance de 1 285 watts, sur la partie laotienne du Mékong a sonné le glas d’un mode de vie en aval. Dans certaines zones en Thaïlande, le nombre de poissons a décliné jusqu’à 80 %.
À Bang Muang, seuls une dizaine de passionnés continuent la pêche, incapables de se résigner. « Mais, c’est plus pour le plaisir, car on ne gagne plus notre vie », disent-ils. Accompagnés par l’association Mekong Butterfly, soutenue par le CCFD-Terre Solidaire, ces amoureux du fleuve scrutent et enregistrent les modifications de l’écosystème dont ils sont témoins. Les symptômes sont multiples. Ainsi, autrefois, on pouvait se tenir debout sur ces rochers à fleur d’eau. Désormais, les algues les envahissent et ils sont trop glissants : signe que les poissons ne sont plus assez nombreux pour réguler leur prolifération.
En 2019, les eaux sont devenues d’un bleu clair, couleur inédite ici tant le brun du Mékong signale la richesse de ses alluvions. Une baisse de la turbidité néfaste non seulement pour la survie des poissons, mais également pour les berges, dont la richesse en alluvions permet de cultiver des jardins. Trouble ultime, la fin du lent et progressif renversement saisonnier du niveau du fleuve rythmé entre saison sèche et celle des pluies. Désormais, dans la même journée, les eaux sont basses, puis hautes. « Je le constate au nombre de marches qui descendent de chez moi au fleuve. Aujourd’hui, elles sont découvertes. Nous sommes en période de mousson, et le fleuve ne devrait pas être si bas », constate Sutorn Bakeo.
SE BATTRE FAIT PARTIE DE NOS RESPONSABILITÉS, NOTAMMENT ENVERS NOS ENFANTS, MÊME SI NOS CHANCES DE GAGNER SONT MINIMES.PRAYOON SAENAE
« C’est l’effet du barrage, ajoute Chaiwat Parakun. Ils activent les vannes sur des créneaux de huit heures. Elles sont fermées durant huit heures, puis ouvertes les huit suivantes. » Montree Chantawong de Mekong Butterfly montre les clichés méthodiquement classés des différents stades de développement de la Cryptocoryne loeiensis. Cette plante endémique se réveille de novembre à décembre, à la faveur de la baisse du niveau du fleuve, et fleurit en février. En février dernier, l’eau a submergé la plante en une heure. Une entrave à la production des fleurs, et donc à sa capacité à se régénérer.
Autres données collectées par l’association, les tableaux des prises de poissons enregistrés par les villageois. Certaines espèces ont été trouvées en dehors de la saison habituelle, et plus rien n’est prévisible. « Nous sommes désorientés, les zones de pêche ont changé, les poissons perdent leur habitat naturel. L’eau change de direction sans cesse », énumère Suta Insuran.
Dans l’abri de leur association, les pêcheursexposent leurs outils de travail. Comme des vestiges. Des pièges à poissons ou des filets dont l’usage est désormais obsolète. Comment payer un filet, sa réparation ou l’essence pour le moteur alors que les ventes de poissons chutent ? « Ce filet coûte 1 000 bahts (26 euros) et celui-ci 1 500 (40 euros). Mais ils sont utilisés par paire, c’est donc 3 000 bahts (80 euros). Autrefois, nous pêchions 40 kilos par jour, aujourd’hui le filet reste suspendu. » L’époque où en dix ou vingt minutes, on attrapait suffisamment de prises pour se nourrir est révolue. Sous la contrainte, la majorité des pêcheurs se tourne vers d’autres sources de revenus, notamment la collecte de l’hévéa. Un travail longtemps réservé à la période de mousson, saison moins propice à la pêche.
LA PÊCHE NE FAIT PLUS PARTIE DES REVENUS DES VILLAGEOIS
Quatre-vingts kilomètres plus au nord, la ville de Chiang Khang dans la province de Loei a fait du Mékong une attraction touristique. Les visiteurs multiplient les selfies. La vue est belle le long de la promenade construite en bordure du fleuve. À quelques mètres, en face, le Laos. Le Mékong marque la frontière entre les deux pays. Au loin, la ligne des sommets montagneux. Rien d’étonnant que l’on vienne ici admirer ce panorama remarquable depuis les terrasses de restaurants, cafés et boutiques.
À l’écart de la venelle touristique, au bout du village, on accède à la pagode Phon Chai. Là, des statues géantes vêtues de hardes multicolores semblent garder l’accès à la plate- forme de l’association des pêcheurs. Elles représentent les génies protecteurs à qui il est indispensable de faire des offrandes. Mais le rituel n’a pas permis de se protéger des changements dramatiques en cours.

Un des pêcheurs qui se bat pour la préservation du Mékong. ©Tananchai Keawsowattana

De l’autre côté du fleuve, le Laos. ©Tananchai Keawsowattana
« Depuis cinq ans, nous nous tournons vers l’agricultureplutôt que vers la pêche. Je pense à ouvrir un café pour les touristes. Avant, je venais tous les jours pêcher. Cela me manque », explique Pa Yun. La plateforme installée sur l’eau sert d’espace d’accueil pour les touristes. Les pirogues attendent les visiteurs au bout de la barge. En dix ans, le nombre de pêcheurs a chuté passant de 200 à 300 personnes à une cinquantaine. Avant 2019, la moyenne des revenus de la pêche était comprise entre 4 000 et 5 000 bahts par mois (entre 107 et 131 euros). Aujourd’hui, on ne compte même plus. Car pêcher ne fait plus partie des revenus. Les autorités ne proposent rien pour compenser cette perte.
Face à cette situation, les communautés des bords du Mékong de huit provinces touchées par les effets du barrage se sont organisées. Trente-sept villageois, représentant ces provinces, ont porté plainte. Mais si la cour a reconnu les impacts environnementaux et sociaux du barrage, elle n’a pas annulé l’accord commercial considérant qu’il n’était pas la cause directe de ces dommages.
SUR LE COURS PRINCIPAL DU MÉKONG, UNE DIZAINE DE PROJETS HYDROÉLECTRIQUES SONT DANS LES TUYAUX À DES STADES DIFFÉRENTS DE DÉVELOPPEMENT.
Et que dire du projet d’un barrage prévu à 20 kilomètres au nord qui devrait produire 684 mégawatts ? Prayoon Saenae ne se fait pas d’illusions : « Se battre fait partie de nos responsabilités, notamment envers nos enfants, même si je suis conscient que nos chances de gagner sont minimes. » Il ajoute : « Je suis né ici, j’ai été baptisé dans le Mékong. C’est un peu comme une seconde mère pour moi. »
LE LAOS VEUT DEVENIR LA « PILE DE L’ASIE DU SUD-EST »
Si le Mékong est une « seconde mère » pour les habitants du fleuve, elle est aussi une source de devises pour le gouvernement communiste laotien. Dans les années 1990, le pays a décidé de devenir la « pile de l’Asie du Sud-Est. » Une dizaine de projets hydroélectriques sur le cours principal du Mékong sont ainsi dans les tuyaux à des stades différents de développement. Une production essentiellement destinée à l’exportation, mais également aux besoins nationaux en électricité. Depuis une dizaine d’années, dans les villages laotiens, que l’on aperçoit depuis la Thaïlande, « la lumière brille toute la nuit ». Alors qu’au plus fort de la guerre froide, dans les années 1980, la Thaïlande se faisait un point d’honneur d’éclairer ses berges, symbole d’une réussite face à la noirceur de la nuit dans laquelle le régime communiste laissait sa population.
En face du village de Kok Wao, au sud de Chiang Khang, la rive laotienne se trouve à moins de 200 mètres. Au milieu du fleuve, pêcheurs laotiens et thaïlandais se croisent, échangent des informations. Certains Laotiens viennent travailler en Thaïlande laissant leur famille au pays. Ils soulignent les différences entre les deux régimes.
« Nous sommes plus libres ici. Notamment de parler. Là-bas, les gens ont peur », affirme Phonpimon Chanhom, habitante de Kok Wao et membre du réseau de Mekong Community. Rassemblés autour d’elles, cinq voisins expriment leurs inquiétudes. À 500 mètres au sud de leur village, le Laos envisage la construction du barrage de Pak Chom. Si le projet voit le jour, 500 foyers seront déplacés pour céder la place à un réservoir.

Montree Chantawong et Chanang Umparak(à gauche) de Mekong Butterfly et des pêcheurs de Ban Muang regardent The Mekong Harmonu, le livre publié par l’association.
©Tananchai Keawsowattana
« Nous n’avons pas d’informations ou très peu. On ne sait même pas où en est le projet. Mais nous sommes une minorité dans le village à manifester notre opposition. Nos voisins n’osent pas, car les autorités semblent favorables au projet », fulmine la jeune femme.
Elle évoque le choc ressenti quand des universitaires sont venus collecter des objets usuels ! Ils demandaient à acheter des barques pour les préserver de la disparition. « Ils ne sont pas revenus depuis un certain temps », remarque-t-elle. Est-ce le signe que le projet est suspendu ? Impossible de le dire. Le chef de village a exclu les protestataires du réseau WhatsApp de partage d’informations. Yong Turadee a plus de 60 ans. Son visage est buriné par le temps passé sur sa barque à pêcher. Il se prépare à descendre sur son bateau, plus pour le plaisir d’être sur l’eau que pour pêcher. « Si nous partons, dit-il, notre culture, notre histoire, notre mémoire collective tout va disparaître : nous perdrons notre identité. » Et puis où aller ? Mme Tongluan Wongsapan s’inquiète : « Nous n’avons plus de lieu où vivre. Nous sommes cernés d’un côté par l’eau et de l’autre côté par la montagne classée réserve nationale. Nous n’aurons plus de terres ! »
Il est bientôt 17 heures. Enfants et adultes se rassemblent peu à peu sur la promenade longeant le fleuve. En contrebas, sur la berge, une pirogue rouge et bleu tangue doucement. Dix hommes y montent à tour de rôle. Une fois assis, le capitaine les encourage. D’un coup, les rameurs saluent le fleuve, mains jointes. Courte prière avant de plonger leur pagaie au rythme des injonctions du barreur. C’est le premier jour d’entraînement avant la course de pirogues prévue dans dix jours.Ces joutes sont organisées en fin de saison des pluies, un rendez-vous collectif pour célébrer l’abondance.
Phonpimon regarde l’embarcation s’éloigner et remonter vers le nord. Elle attend sur le bord avec ses copines le retour de la pirogue. Ce sera bientôt le tour de l’équipe féminine de s’entraîner. Pas question de rater la prochaine joute. « Nous devons le faire au nom de notre village », lance-t-elle dans un sourire. Dans la lumière dorée du soir et la joie collective du moment, le temps est suspendu. Éloignant d’un coup les menaces des changements en cours.
Christine Chaumeau
Luang Prabang, joyau laotien menacé par un projet de barrage sur le Mékong
La construction de l’ouvrage, à une vingtaine de kilomètres au nord de l’ancienne capitale du Laos, risque de bouleverser de manière irréversible l’écosystème local.
LETTRE DE BANGKOK
Il y a péril en la demeure et celle-ci est une merveille : le projet de construction d’un nouveau barrage sur le Mékong menace l’environnement immédiat de Luang Prabang, joyau d’architecture franco-laotien situé sur les rives du grand fleuve. La ville est classée au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1995.
L’ouvrage d’art, qui sera bâti par le géant thaïlandais de la construction d’infrastructures CH Karnchang, ne représente pas seulement une menace pour les populations locales, la libre circulation des poissons et l’apport des sédiments sur le lit d’un fleuve déjà malmené par la construction de nombreux barrages (onze en Chine, deux au Laos) : la retenue représente aussi un danger immédiat pour Luang Prabang, cité qui fut la capitale, entre le XIVe siècle et 1946, d’un Laos jadis appelé le « royaume au million d’éléphants » (Lan Xang).
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Le lac créé par le barrage, dont les turbines pourront développer une énergie de 1 460 mégawatts, ne va certes pas engloutir les « wat » (temples) bouddhistes et les gracieuses maisons coloniales construites au temps du protectorat français (1893-1949), fruits d’une heureuse rencontre esthétique qui a donné à la ville son caractère si particulier. Mais la construction d’un tel ouvrage risque néanmoins de bouleverser de manière irréversible l’environnement immédiat de Luang Prabang.
« L’authenticité du site et son intégrité seront perdues »
« La péninsule historique est bordée tout à la fois par le Mékong et l’un de ses affluents, la Nam Khan, et cela ne sera plus le cas après la construction du barrage », s’offusque Minja Yang, qui était directrice adjointe du centre du Patrimoine mondial de l’Unesco quand Luang Prabang fut ajoutée à la liste des sites classés. « Si la ville se retrouve en bordure d’un lac artificiel, l’authenticité du site et son intégrité seront perdues, et pour toujours », déplore-t-elle.
Est-il déjà trop tard ? Pour l’instant, rien ne semble empêcher l’inexorable de se produire : même si la construction proprement dite du barrage, qui sera érigé à une vingtaine de kilomètres au nord de la ville, en amont du fleuve, n’a pas commencé, une route d’accès au site est pratiquement finie.
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Un port permettant l’accès à des ferrys vient également d’être aménagé sur le Mékong et la perspective de déplacer environ 600 familles vivant dans les parages pourrait bientôt devenir réalité. Sans que l’on sache, comme d’habitude en pareil cas au Laos, le montant des compensations qui seront versées aux villageois.
Dans un article récemment publié sur le site internet du journal The Diplomat par Tom Fawthrop, journaliste britannique spécialisé sur l’environnement vivant à Chiang Mai (Thaïlande), un spécialiste du Mékong s’alarmait lui aussi des funestes conséquences du projet : « [Elles] vont être nombreuses, notamment parce qu’il va noyer des rivages d’une incroyable beauté et une mosaïque d’écosystèmes », y affirmait Marc Goichot, expert des questions hydrologiques auprès du Fonds mondial pour la nature (WWF). Il ajoutait : « Les gens qui seront déplacés forment des communautés dont la culture est intimement liée à l’écologie de la rivière. Le changement de flux du fleuve va défigurer cet héritage patrimonial inestimable. »
Risque sismique
Aux conséquences culturelles et sociales s’ajoute de surcroît un autre danger, encore plus effrayant puisque le barrage représente potentiellement un risque immédiat pour les habitants de la région tout entière : la retenue sera construite dans une zone susceptible d’être ébranlée par des séismes. Le dernier en date, d’une amplitude de 6,1 sur l’échelle de Richter, s’est produit en 2019, dans la province de Xayaburi, là où le même entrepreneur thaïlandais CH Karnchang a construit un autre barrage qui a été mis en service en octobre de la même année.
Ce dernier assure cependant s’appuyer sur une étude de faisabilité préparée par le consultant international en hydrologie, le finlandais Poyry Energy, pour justifier de la pertinence et de la sûreté du choix de la construction du barrage près de Luang Prabang.
Un certain nombre d’ONG et d’experts n’ont cependant guère confiance dans cette étude et ont été prompts à remettre en cause ses rassurantes conclusions. La Mekong River Commission, qui rassemble plusieurs pays bordant le grand fleuve en une association aux pouvoirs limités, a affirmé de son côté en 2020 avoir lancé un « heritage impact assessment » (étude d’impact sur le patrimoine) sans en donner les conclusions. Pour cause de Covid-19, alors que le Laos reste fermé au monde extérieur, peu d’informations filtrent.
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Paul Chambers, spécialiste des relations internationales de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean), s’inquiète également de l’impact du barrage sur les réalités culturelles du Laos : au vu de la proximité politique et géographique du pays avec la Chine, il redoute la transformation possible de Luang Prabang en un « hub » commercial chinois : « Cette ville dont la population n’excède pas les 62 000 habitants risque de devenir une sorte de nouvelle “Chinatown” »…
Si le projet de barrage se concrétise, l’hypothèse du retrait de la ville de la liste des sites classés au Patrimoine mondial est une possibilité, même si une telle décision a rarement été prise par l’Unesco. « Le centre du Patrimoine mondial n’ignore pas que les villes sont en constante évolution et que des changements, voire même de légères violations [des règles], sont inévitables », remarque encore Minja Yang, l’ancienne vice-directrice. « Mais, cette fois », prévient-elle, « c’en est trop : ce barrage représente une totale violation des traités internationaux signés par le Laos, qui l’obligent à préserver les valeurs du patrimoine. »
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