Les ministères de l’Economie et de l’Ecologie ne sont pas sur la même longueur d’onde concernant les subventions

Subventions dommageables à la biodiversité : le ministère de l’Agriculture fait cavalier seul

Les inspections des ministères de l’Économie et de l’Écologie n’ont pas la même conception que celle de l’Agriculture des subventions dommageables à la biodiversité. En cause ? Des modalités divergentes d’analyse des subventions agricoles.

Biodiversité  |  Aujourd’hui à 09h36  https://www.actu-environnement.com/ae/news/subventions-dommageables-biodiversite-rapport-mission-ministere-agriculture-cgaaer-economie-igf-ecologie-igedd-46625.php4

|  L. Radisson

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Subventions dommageables à la biodiversité : le ministère de l'Agriculture fait cavalier seul

La mission Igedd/IGF estime que 26 % des soutiens publics à l’agriculture sont à revoir au regard de leur impact défavorable sur la biodiversité.

« Réduire les dépenses dommageables à la biodiversité, en s’appuyant sur les démarches de « budget vert« . » Tel est l’objectif inscrit dans la mesure 37 de la Stratégie nationale Biodiversité 2030 (SNB 2030) présentée le 27 novembre 2023 par le Gouvernement. Celle-ci prévoit d’établir un diagnostic des dépenses publiques, européennes, nationales et locales, dommageables à la biodiversité, et d’établir un plan d’action pluriannuel permettant d’aller vers leur suppression ou leur réforme d’ici à 2030.

C’est sur ce fondement que quatre ministres (Agriculture, Transition écologique, Comptes publics, Biodiversité) avaient missionné leur service d’inspection (CGAAER (1) , Igedd (2) , IGF (3) ) par une lettre du 8 juillet 2024 en vue d’établir ce diagnostic et de proposer un tel plan. L’Igedd et l’IGF avaient déjà publié, en novembre 2022, un rapport sur le financement de la SNB, qui évaluait à 10,2 milliards d’euros (Md€) les subventions dommageables à la biodiversité, dont 6,7 Md€ au soutien de pratiques agricoles dommageables et 2,9 Md€ d’aides favorisant l’artificialisation des sols. Mais le Gouvernement avait déploré que ce rapport n’ait pu analyser en détail les subventions au secteur agricole. La nouvelle commande n’avait toutefois pas convaincu les associations de protection de la nature, WWF et France Nature Environnement (FNE) en tête, alors qu’un diagnostic était déjà établi et que l’heure des prises de décisions politiques était, à leurs yeux, arrivée.

Divergences sur les modalités d’analyse des subventions agricoles

Cette nouvelle mission va-t-elle permettre de mieux éclairer le gouvernement Bayrou qui est à la recherche de plus de 43 Md€ dans le cadre de la préparation de la loi de finances pour 2026 ? Il n’en est pas certain car la commande adressée aux trois services d’inspection a abouti à deux rapports différents en raison de divergences d’approche entre l’Igedd et l’IGF, d’une part, et le CGAAER, d’autre part.

« Des divergences de vue sont (…) apparues sur des points centraux, en particulier dans le cadre des réflexions portant sur les modalités d’analyse des subventions agricoles », indique une note de divergence co-signée. Cette divergence conduit à la publication de deux rapports, tous deux datés de mai 2025 mais rendus publics en juillet : un rapport IGF/Igedd (4) de 503 pages portant sur un périmètre d’étude large (agriculture, forêt, pêche maritime, aquaculture marine et transport maritime, aménagement du territoire, énergie, mais pas le secteur de la consommation faute de temps) ; un rapport CGAAER (5) en quatre tomes de 233 pages au total portant sur les seuls secteurs de l’agriculture (6) , de la pêche maritime et de l’aquaculture marine (7) , et de la forêt (8) .

Les divergences de vue entre les services d’inspection ont porté sur la définition de la subvention dommageable à la biodiversité et sur les scénarios dits « contrefactuels » utilisés pour évaluer si une subvention doit être ou non considérée comme dommageable. À ce dernier égard, la mission Igedd/IGF a comparé la situation actuelle à la situation souhaitée, c’est-à-dire les objectifs de la SNB, alors que la mission CGAAER l’a comparée à une situation sans subvention. « Cette différence d’approche a conduit à des écarts substantiels dans l’identification et le chiffrage des subventions dommageables entre les composantes de la mission pour les secteurs de l’agriculture et de la forêt et, dans une moindre mesure, de la pêche et de l’aquaculture », indiquent les fonctionnaires du ministère de l’Agriculture.

« Peu de soutiens dommageables à la biodiversité »

In fine, le CGAAER (agriculture) a identifié seulement 1,3 Md€ de subventions dommageables à la biodiversité sur les 33,3 Md€ de dépenses publiques analysées (3,9 %), c’est-à-dire les dépenses identifiées dans la loi de finances pour 2024 et en ne prenant en compte que leurs effets directs. Pour l’agriculture, la mission indique identifier « très peu de soutiens dommageables à la biodiversité » (1,108 Md€ dommageables sur 31,730 Md€ de subventions, soit 3,49 %). Elle propose quand même de « reconsidérer les assouplissements récemment apportés à la conditionnalité [dans le cadre du Plan stratégique national mettant en œuvre la PAC], de créer un nouveau niveau à l’éco-régime et de nouveaux bonus et, enfin, de réorienter, voire augmenter, les moyens dédiés à certains dispositifs [du type « paiements pour services environnementaux »] ».

Pour la pêche et l’aquaculture (149 M€ dommageables sur 349 M€ de subventions, soit 42,7 %), la principale subvention dommageable est celle liée aux allègements de taxes sur le prix du carburant. La mission préconise de réduire la pression liée au chalutage de fond dans les aires marines protégées. Pour la forêt (57 M€ dommageables sur 1 226 M€ de subventions, soit 4,65 %), le CGAAER n’identifie que l’allègement fiscal sur le prix du carburant comme poste de dépenses dommageable. Un avantage dont bénéficient les trois secteurs étudiés (agriculture, pêche, forêt) mais dont la remise en question « paraît ne pouvoir être envisagée qu’avec prudence compte tenu de la sensibilité du sujet », préviennent les hauts-fonctionnaires du ministère de l’Agriculture.

26 % des soutiens publics à l’agriculture à revoir

La mission Igedd/IGF (Ecologie-Finances) a, quant à elle, analysé plus de 92 Md€ de moyens publics, notion plus large que les seules subventions dommageables du CGAAER, et recensé plus de 730 dispositifs mis en œuvre. Pour le secteur de l’agriculture, elle identifie plus de 31 Md€ de moyens publics dont 8,3 Md€ (26 %) qui doivent faire l’objet d’une révision prioritaire. Si l’appréciation des subventions dommageables diffère beaucoup de l’autre mission, les préconisations d’évolution sont en revanche les mêmes que celles émises par le CGAAER.

Dans le secteur de la pêche, de l’aquaculture et des transports maritimes, la mission a recensé 2,4 Md€ de soutiens publics, dont 740 M€ (37 %) concourent au maintien ou au développement d’activités dommageables à la biodiversité. Elle identifie également comme levier d’action la fiscalité sur le carburant, mais aussi la taxe au tonnage, et préconise un arrêt progressif de la pêche au chalut dans les aires marines protégées d’ici à 2030 et la fin de l’avantage tiré de la taxe au tonnage.

Pour le secteur de la forêt, les fonctionnaires des ministères de la Transition écologique et de l’Économie estiment que l’amélioration de la biodiversité relève davantage d’une révision des méthodes de gestion forestière que de financements dommageables à la biodiversité. Ils recommandent un meilleur suivi de la politique publique en faveur de la forêt, de jouer sur les dispositifs fiscaux en faveur des propriétaires forestiers pour améliorer la gestion des forêts privées, et de réviser les cahiers des charges des appels à projets du plan de renouvellement forestier dans un sens favorable à la biodiversité.

Pour le secteur de l’énergie, les hauts-fonctionnaires ont identifié 21,6 Md€ de dépenses publiques qui produisent des dommages à la biodiversité dans leur composante « production » et d’aménagement du territoire. Ils préconisent de revoir 68 % de ces dépenses en attirant l’attention sur plusieurs points sensibles : soutien aux biocarburants, hydroélectricité dont l’éco-conditionnalité doit être renforcée, éolien en mer qui nécessite des études, photovoltaïque qui doit éviter toute artificialisation nette des sols, construction des centrales nucléaires et leur impact en fonctionnement lié à l’élévation de température des eaux.

En matière d’aménagement du territoire, la mission a identifié 34,7 Md€ de moyens publics, à travers plus de 300 instruments, susceptibles d’avoir un impact sur l’artificialisation des sols. Sur ce total, elle identifie 2,7 Md€ de dépenses à revoir en priorité au regard de leurs conséquences dommageables et 9,5 Md€ qui nécessitent de faire l’objet d’un suivi. Elle préconise plusieurs mesures : un suivi national et pour tous les financeurs de l’artificialisation des sols, une évaluation des soutiens fiscaux et des dotations des collectivités en faveur du logement, la mise en œuvre et le respect des objectifs du zéro artificialisation nette (ZAN).

Un appel à… de nouvelles études

Mais l’absence de consensus entre les missions conduit leurs membres à préconiser de… poursuivre les travaux. « Il en ressort (…) un besoin de poursuivre et structurer la réflexion sur les externalités négatives des subventions sur la biodiversité, de manière qualitative et monétarisée, en mobilisant des services experts. Ceci permettrait d’approfondir la caractérisation des subventions, notamment celles qui n’ont pu être qualifiées, ou ont fait l’objet d’un désaccord dans leur classification », indiquent les missions d’inspection.

Un appel à de nouvelles études qui n’est pas la meilleure invitation à la prise de décision à court terme. Pourtant, les hauts-fonctionnaires des trois ministères s’accordent sur l’insuffisance des moyens mis en œuvre pour atteindre les objectifs de la Stratégie nationale sur la biodiversité.

« Les travaux démontrent néanmoins qu’à ce stade, au regard des enjeux, les politiques menées dans les secteurs étudiés ne sont globalement pas suffisamment alignées sur les objectifs de préservation et de restauration fixés par la Stratégie nationale biodiversité 2030 et que les subventions déployées servent en priorité d’autres fins », indiquent les auteurs.

1. Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux

2. Inspection générale de l’environnement et du développement durable

3. Inspection générale des finances

4. Télécharger le rapport Moyens publics et pratiques dommageables à la biodiversité (IGF/Igedd)
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-46625-rapport-igedd-igf.pdf5. Télécharger le rapport Plan de réorientation et/ou de suppression progressive des subventions dommageables à la biodiversité dans le cadre de la Stratégie nationale biodiversité 2030 – Tome 1 (CGAAER)
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-46625-rapport-cgaeer-tome1.pdf6. Télécharger le rapport du CGAAER- Tome 2
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-46625-rapport-cgaaer-tome2.pdf7. Télécharger le rapport du CGAAER – Tome 3
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-46625-rapport-cgaaer-tome3.pdf8. Télécharger le rapport du CGAAER – Tome 4
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-46625-rapport-cgaaer-tome4.pdf

Laurent Radisson, journaliste

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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