Déserts médicaux : le remède prescrit par Nicolas Revel, patron de l’AP-HP
Dans une note publiée par le think tank Terra Nova, le directeur des Hôpitaux de Paris défend un système donnant-donnant avec les médecins pour lutter contre les déserts médicaux.
Jean-Victor Semeraro
Publié le 26/05/25 à 16:15 https://www.latribune.fr/economie/france/deserts-medicaux-le-remede-prescrit-par-nicolas-revel-patron-de-l-ap-hp-1025954.html

Le directeur de l’AP-HP est favorable à une hausse réfléchie du nombre de soignants.
omas Stevens/ABACAPRESS.COM
Partager
Ils se sont mobilisés partout en France. Mardi 29 avril, les jeunes médecins et les étudiants en médecine ont manifesté dans l’Hexagone contre la proposition de loi « d’initiative transpartisane » du député socialiste Guillaume Garot qui vise à « lutter contre les déserts médicaux ». Mais pour l’instant, sans effet. Adoptée par l’Assemblée nationale le 7 mai, la proposition de loi a été transmise au Sénat.
Si le texte suscite tant la colère de la nouvelle génération, c’est qu’il soumet l’installation des nouveaux médecins « exerçant à titre libéral ou salarié » à une « autorisation préalable de directeur général de l’agence régionale de santé compétente, après un avis du conseil départemental de l’ordre ». Sans ce tampon, impossible de s’installer dans une zone bien dotée en soignants.
À l’instar du gouvernement, Nicolas Revel, le directeur général des Hôpitaux de Paris (AP-HP) n’est pas non plus favorable à ce texte. « Je ne crois pas que la solution soit dans l’idée apparemment simple mais à mes yeux simpliste et surtout inefficace, d’une limitation des possibilités d’installation dans des zones jugées surdotées », écrit-il dans une note intitulée « La santé des Français : sortir de l’impasse » et publiée ce lundi 26 mai par le think tank progressiste Terra Nova, proche du Parti socialiste.
blob:https://jeansantepolitiqueenvironnement.wordpress.com/7d719d4f-629e-46bd-b35b-c0feeaf97a53
Et l’ancien directeur de cabinet de Jean Castex à Matignon de citer trois raisons pour justifier sa position : le conditionnement à l’installation d’un jeune médecin au départ en retraite d’un confrère âgé « n’aura quasiment aucun effet en médecine générale tant les départs seront nombreux dans les dix prochaines années », explique le haut fonctionnaire. Et la régulation ne pourra être « circonscrite aux seuls libéraux », elle devra aussi s’appliquer au secteur public « par équité », ce qui fait peser des « risques systémiques pour nos grands hôpitaux », ajoute-t-il.
Dernier argument invoqué : le retour d’expérience des infirmiers libéraux. Selon Nicolas Revel, les règles d’installation contraignantes pour les infirmiers libéraux en place depuis plusieurs années n’ont pas provoqué d’exode rural, mais plutôt un afflux de praticiens dans les périphéries urbaines, aux limites de zones très bien dotées en soignants.
Transport des malades : les chauffeurs de taxis n’excluent pas de nouvelles actions
La solution de Bayrou plébiscitée
Pour le directeur général de l’AP-HP, la solution est ailleurs pour régler l’épineux problème des déserts médicaux : « La seule réponse efficace consiste à mettre en place un système obligatoire de consultations avancées dans les zones sous-denses : tout médecin installé en secteur 2 (qui peut effectuer des dépassements d’honoraires, NDLR) devrait consacrer quelques jours dans le mois à des consultations dans un site choisi par l’Agence régionale de santé, évidemment équipé en fonction de sa spécialité, à tarif opposable et avec une garantie minimale de revenus », développe-t-il.
Ce mécanisme n’est pas sans rappeler la proposition formulée par François Bayrou le 25 avril lors de présentation de son « Pacte de lutte contre les déserts médicaux ». Le locataire de Matignon indiquait alors vouloir imposer deux jours de travail par mois aux médecins dans des zones sous-dotées en soignants.
Cette idée, le sénateur Les Républicains Philippe Mouiller en défend le principe dans une proposition de loi dont l’objet est d’« améliorer l’accès aux soins dans les territoires ». Le texte – adopté au Sénat le 13 mai et transmis au Palais Bourbon en procédure accélérée -, permet la liberté d’installation des médecins en l’échange d’un exercice à « à temps partiel » dans un désert médical.
Augmenter le nombre de soignants
Au-delà de la question des déserts médicaux, Nicolas Revel préconise d’augmenter le nombre de soignants en ouvrant « davantage de places dans les formations médicales et paramédicales ». Et ce, pour faire face au défi « de l’offre de soins au sens des moyens humains et des compétences professionnelles ».
Pour rappel, la France compte 945 infirmiers et 319 médecins pour 100 000 habitants, selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) rattachée au ministère de la Santé. À titre de comparaison, l’Allemagne dénombre 1 200 infirmiers et 450 habitants pour 100 000 habitants. Face à ce constat, François Bayrou a d’ores et déjà indiqué que l’exécutif compte former davantage de médecins dans les prochaines années. Aujourd’hui, environ 11 000 étudiants en médecine sont diplômés chaque année.
Déjà, en avril 2024, l’ancien Premier ministre Gabriel Attal annonçait l’objectif de 16 000 étudiants - en deuxième année de médecine après le concours de la première année -, à l’horizon 2027. Mais là encore, le directeur de l’AP-HP met en garde. « L’objectif annoncé de former jusqu’à 16 000 nouveaux médecins chaque année (…) justifierait d’être sérieusement étayé », avertit-il.
D’autant que trois écueils liés à la hausse du nombre de soignants sont possibles, selon lui : « ouvrir les vannes de la formation initiale sans réflexion in fine sur ce que sera la réalité des besoins dans les décennies à venir » ; « augmenter le nombre de professionnels de santé en s’exonérant de la question difficile du choix de leur discipline, dans leur cadre d’exercice et de leur territoire d’implantation » et « considérer que former plus de professionnels suffirait » au regard des conditions de travail dégradées notamment à l’hôpital public.
Monter en compétences
Pour décharger les médecins et améliorer la prise en charge des patients, Nicolas Revel plaide pour « avancer sans attendre et de manière très volontariste dans la voie de la délégation médicale et de la pratique avancée dans les métiers infirmier et de rééducation ». Objectif : faire monter en compétence les infirmiers via un « plan massif de développement professionnel ».
Autre réforme indispensable aux yeux du directeur de l’AP-HP : l’amélioration des conditions de travail, particulièrement à l’hôpital public. « Nous n’aurons le nombre de soignants nécessaires pour soigner demain plus de malades qu’aujourd’hui qu’à la condition de leur donner envie de choisir cette carrière (…) », met en garde l’expert. « À titre d’exemple, l’AP-HP a perdu 12 % de ses infirmières entre 2019 et début 2023, et ainsi dû fermer jusqu’à 19 % de ses lits », rappelle-t-il.
Mais pour mettre en place de telles mesures, il faut de l’argent. Et le système de santé en manque cruellement. Pis, la Sécurité sociale a fait afficher un déficit de 15,3 milliards d’euros en 2024. Et la situation devrait encore se dégrader à 22,1 milliards d’euros cette année, selon un rapport de la Cour des comptes. Des perspectives d’autant plus sombres pour Nicolas Revel qui redoute le « mur démographique et épidémiologique » qui « se profile à l’horizon ».
La santé des Français : sortir de l’impasse
Alors que l’on célèbre cette année les 80 ans de la Sécurité sociale, les inquiétudes sur la soutenabilité de notre système de soins se multiplient. Le déficit de la branche maladie atteint un niveau record hors crise sanitaire, alors qu’un mur démographique et épidémiologique se profile à l’horizon. Les solutions purement comptables et les facilités de court terme ne permettront ni de résoudre l’équation financière ni de relever les défis qui se présentent. Un autre modèle est à inventer. Selon Nicolas Revel, il doit se construire autour d’une nouvelle organisation du suivi des pathologies chroniques et faire le pari de la qualité des soins comme vecteur essentiel d’attractivité pour les soignants et de maîtrise des dépenses de santé.
Par
Publié le 26 mai 2025 https://tnova.fr/societe/sante/la-sante-des-francais-sortir-de-limpasse/
SOMMAIRE
- Premier objectif : attirer et fidéliser des professionnels en nombre suffisant
- Un système de santé structurellement et durablement déséquilibré
- Sortir des logiques de régulation comptable
- Faire le pari de la qualité des soins : comment passer des discours aux actes ?
- Agir enfin en matière de prévention ou comment sortir de la schizophrénie à la française
- Le cœur de la bataille : transformer le suivi des pathologies chroniques