Loi Duplomb : le Conseil constitutionnel censure les dispositions autorisant la réintroduction de l’acétamipride
L’Elysée a fait savoir qu’Emmanuel Macron « a pris bonne note de la décision du Conseil constitutionnel » et « promulguera » le texte « tel [qu’il] résulte de cette décision », c’est-à-dire sans ce pesticide contenant des néonicotinoïdes.

Le Conseil constitutionnel a estimé, jeudi 7 août, que la loi dite « Duplomb », visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, a été adoptée dans les règles. Toutefois, « au regard des exigences de la charte de l’environnement », il a censuré les dispositions de l’article 2 autorisant à déroger à l’interdiction d’utiliser des produits phytopharmaceutiques contenant « des néonicotinoïdes ou autres substances assimilées, ainsi que des semences traitées avec ces produits ». Parmi eux, l’acétamipride, banni en France depuis 2020, comme tous les produits de cette famille, en raison de leur impact délétère sur les insectes pollinisateurs, devait être à nouveau autorisé pour certaines cultures (betterave à sucre, noisette…).
Selon cette charte, « le législateur doit, lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé, veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard », précise le communiqué.
Le Conseil constitutionnel a également opéré deux réserves d’interprétation des dispositions « facilitant l’implantation de certains ouvrages de stockage d’eau », et a validé les autres dispositions contestées, à l’exception d’un « cavalier législatif ».
Emmanuel Macron « promulguera » le texte
L’Elysée a fait savoir qu’Emmanuel Macron « a pris bonne note de la décision du Conseil constitutionnel » et « promulguera » le texte « tel [qu’il] résulte de cette décision dans les meilleurs délais ».
Adoptée le 8 juillet à l’Assemblée nationale, après un parcours législatif qualifié de « chaotique » par certains députés et marqué par le rejet en bloc des amendements de l’opposition – grâce à une motion de rejet préalable soutenue de manière inédite par les défenseurs du texte –, la loi Duplomb a provoqué ensuite une très grande mobilisation.
Tout d’abord de la part de parlementaires qui ont demandé au Conseil constitutionnel de trancher la question de la compatibilité de la loi Duplomb avec certains principes fondamentaux. Mais aussi de la part de la société civile : une pétition citoyenne demandant son abrogation a recueilli plus de 2 millions de signatures. Une demande relayée par des scientifiques dans une tribune exhortant le Conseil constitutionnel à censurer la loi Duplomb « au nom du principe de précaution ».
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Réaction des syndicats agricoles
La censure par le Conseil constitutionnel est « un choc, inacceptable et incompréhensible », a déclaré jeudi à l’Agence France-Presse (AFP) la FNSEA, qui demandait le retour de ce pesticide interdit pour protéger des filières agricoles « en danger ». « C’est inacceptable que le Conseil constitutionnel continue à permettre des surtranspositions » du droit européen, qui autorise l’acétamipride jusqu’en 2033 dans l’Union européenne, s’est insurgé Jérôme Despey, vice-président du puissant syndicat agricole. Il a toutefois salué la validation des « allègements administratifs » pour construire des bâtiments d’élevage et des ouvrages de stockage de l’eau.
La Coordination rurale, deuxième syndicat agricole, a également vivement réagi dans un communiqué : « L’agriculture n’est rien pour eux [les juges du Conseil constitutionnel] par rapport à l’environnement. Les 400 000 agriculteurs ne sont rien par rapport à 2 millions de pétitionnaires. (…) Peu importe pour eux si les standards sanitaires, sociaux et environnementaux des produits étrangers que nous consommerons demain sont largement inférieurs à ceux imposés à l’agriculture française », ajoute la Coordination rurale, appelant à « favoriser les produits français ».
En revanche, la Confédération paysanne, troisième syndicat agricole, a salué une « victoire d’étape », appelant à « continuer de mettre la pression pour obtenir une réorientation des politiques agricoles ». « On espère que la mobilisation ne s’éteindra pas », a déclaré Stéphane Galais, porte-parole du syndicat qui défend une « réelle » transition agroécologique, à l’AFP, devant le Conseil constitutionnel, à Paris.
Commentaire : Léon Chambeaud
C’est peu de dire que cette décision était attendue ! Et elle ne manquera pas d’être discutée, commentée, contestée ou applaudie…
Mais il reste 3 points majeurs que j’aimerais partager, en mettant en avant une logique de santé publique:
- d’une part, le fait de ne pas autoriser la réintroduction d’un produit néfaste pour l’environnement et notamment pour les abeilles (sentinelles de nos vulnérabilités) , mais qui pose de graves questions sur la santé humaine est une victoire et surtout c’est la reconnaissance de l’avancée du concept one health qui commence à passer dans le droit. Ainsi la santé publique doit avancer et changer d’échelle pour mieux expliquer ce concept d’une seule santé, aux côtés d’autres secteurs de la science.
- d’autre part, on ne peut se satisfaire que le reste de l’Europe continue à employer l’acetamipride et mette ainsi en danger une large portion du territoire et de la population européenne. Comment ne pas penser au Nutriscore, que l’Europe n’est pas capable d’assumer ? Nous devons construire une véritable Europe de la santé publique et le chemin est parsemé d’embûches et de lobbies néfastes…
- enfin, on ne peut se satisfaire que ce débat, nécessaire, tourne à l’affrontement entre celles et ceux qui prennent son de la terre et de nos aliments et celles et ceux qui prennent soin de la santé et de nos environnements. Pour le bien de la planète, il faut définir une nouvelle trajectoire qui permette sinon de réconcilier les deux camps, du moins d’installer un debat approfondi et respectueux.
Les pouvoirs publics sont-ils prêts à entamer une telle démarche ? En tous les cas la santé publique se doit de la réclamer.
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