La lente agonie des piscines du Tarn
La piscine est un service public presque toujours déficitaire. Avec l’augmentation des coûts de l’énergie et des infrastructures vieillissantes, les collectivités sont nombreuses à décider de les fermer. Comme dans le Tarn, qui a perdu une dizaine de bassins.
10 août 2025 à 12h19 https://www.mediapart.fr/journal/france/100825/la-lente-agonie-des-piscines-du-tarn?utm_source=quotidienne-20250810-172005&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-%5BQUOTIDIENNE%5D-quotidienne-20250810-172005&M_BT=115359655566
Graulhet, Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn).–« Il y a des crapauds et des canards », rigole Rabab, 11 ans. Dans le bassin extérieur de la piscine de Graulhet, quatrième commune du Tarn avec 13 000 habitant·es, la faune s’est substituée aux adolescent·es du quartier. Un fond d’eau verdâtre et quelques déchets composent désormais le fond de la piscine, définitivement fermée depuis le début de l’année 2023. De quoi dépiter Rabab et ses copines. « En été, on y allait presque tous les jours pour sauter, nager, bronzer, s’éclater », racontent-elles. L’été, désormais, elles mangent des glaces et s’amusent à trois sur une unique trottinette électrique.
Juste à côté, Ilyes, 17 ans, seul sur sa trottinette, traverse à toute vitesse le quartier de Crins, classé en politique de la ville. Il s’arrête net pour parler de la piscine : lui aussi avait l’habitude d’y passer tout l’été avec ses copains, de l’ouverture à la fermeture. « C’était soit ça, soit on mourait de chaud dehors. »
Maintenant, il va de temps en temps au centre aquatique Aquaval, à Lautrec, « mais c’est plus loin et plus cher », regrette-t-il : il faut parcourir 15 kilomètres et dépenser 6 euros au lieu de 2. Même désolation pour Salim, 14 ans, qui dit sa tristesse de ne plus pouvoir se rafraîchir dans le bassin extérieur et piqueniquer en famille ou avec ses amis. Car « il n’y a pas grand-chose à faire à Graulhet ».
En décembre 2022, la mairie (socialiste) valide un budget dédié à une première phase de réparations de la piscine, qui date de 1968, pour près de 500 000 euros, rapporte La Dépêche. Sauf qu’après le passage d’une commission de sécurité faisant état de non-conformités du bâtiment (dont certaines avaient déjà été signalées), la mairie opère un revirement, optant pour « un changement d’échelle : non plus des rustines coûteuses mais une restructuration de fond », explique-t-elle à Mediapart.

La piscine de Saint-Sulpice-la-Pointe (Renaissance) en 2025. © Photo Adèle Cailleteau pour Mediapart
Début 2023 est annoncée la fermeture définitive du bassin intérieur, qui était ouvert toute l’année aux établissements scolaires, au club de natation de Graulhet et à ses 300 licencié·es ainsi qu’au grand public. Le bassin estival de 50 mètres (le dernier d’une telle longueur dans le département) est déjà fermé depuis quatre ans et a été vidé de son eau.
Des choix « politiques »
À la place, des bassins mobiles de 10 mètres par 5 ont été installés pour permettre aux enfants de continuer le « savoir nager » à l’école, parce que « l’aisance aquatique n’est pas un luxe, c’est une nécessité pour prévenir les noyades », explique la mairie. Du côté du collectif « Nous gardons nos piscines » , qui s’est formé à Graulhet, cela ne passe pas : « Dix mètres de long, c’est bien trop petit pour apprendre correctement à nager ! », s’insurge Jean-François Le Borgne. D’autant plus que les plus de 540 000 euros hors taxes investis dans ce projet éphémère, pour la location des bassins à la Fédération française de natation et l’installation du chapiteau qui les abrite, auraient pu être investis dans l’ancienne piscine, estime le collectif.
Dans la commune, l’annonce de la fermeture a d’abord fait réagir les jeunes mères qui avaient l’habitude de fréquenter le « baby plouf », un créneau dédié aux enfants de moins de 3 ans pour qu’ils se familiarisent avec l’eau. « C’est un soutien à la parentalité important, insiste Stéphanie Alvarez, installée à Saint-Sulpice-la-Pointe depuis 2022. La piscine m’a permis de rencontrer beaucoup de personnes ici. »
À 30 kilomètres de là, la majorité municipale de Saint-Sulpice-la-Pointe (Renaissance) a elle aussi décidé la fermeture définitive de sa piscine, en janvier 2025. Le maire, Raphaël Bernardin, justifiait cette décision par le « contexte financier national », la hausse des prix de l’énergie et la vétusté de cet équipement inauguré en 1972. Sur place, la méthode heurte : « On aurait aimé avoir une discussion sur le fond », indique Julien Lassalle, élu d’opposition qui a appris la fermeture de la piscine par la presse, sans débat préalable. « Beaucoup d’habitants n’ont pas de piscine chez eux et le bassin extérieur permet de se rafraîchir à moindre coût », insiste l’élu de gauche.
Au total, huit bassins ont été fermés dans les 30 kilomètres à la ronde au cours des cinq dernières années.
Dans la commune, l’annonce de la fermeture a d’abord fait réagir les jeunes mères qui avaient l’habitude de fréquenter le « baby plouf », un créneau dédié aux enfants de moins de 3 ans pour qu’ils se familiarisent avec l’eau. « C’est un soutien à la parentalité important, insiste Stéphanie Alvarez, installée à Saint-Sulpice-la-Pointe depuis 2022. La piscine m’a permis de rencontrer beaucoup de personnes ici. »
Elles sont un petit groupe à se mobiliser et lancent une pétition, signée par près de 1 000 personnes (près de 10 % de la population de la commune). Les usagers et usagères de la piscine rappellent notamment l’importance d’apprendre à nager : avec 1 000 morts par an, la noyade est la première cause de mortalité par accident de la vie courante chez les moins de 25 ans en France.
Finalement, avec l’aide financière de la communauté de communes Tarn-Agout, la piscine a pu rouvrir pour l’été. La mairie assure que ce revirement n’a rien à voir avec la contestation en période préélectorale. À la fin de l’été, l’établissement, qui accueillait aussi des cours de natation, de l’aquagym et les scolaires fermera pour une réouverture à une date incertaine. Peut-être même le bassin extérieur pourra-t-il rester utilisable durant les étés de travaux.
Durant un live sur Facebook, le maire expliquait ce choix « déchirant » par la nécessité de « sortir les services déficitaires non essentiels » en cette période de contraintes budgétaires. « On a fait le choix de ne pas augmenter les impôts, parce qu’ils ne ciblent que les propriétaires et on les trouve inégalitaires », continue l’élu. Pas de quoi convaincre Stéphanie Alvarez : « Le coût de fonctionnement ne représente que 2 % du budget de la ville… C’est un choix politique ! », proteste-t-elle.

La piscine de Saint-Sulpice-la-Pointe (Renaissance) en 2025. © Photo Adèle Cailleteau pour Mediapart
Dans les communes voisines de Bessières et Rabastens, les piscines sont aussi fermées cet été, pour une durée indéterminée et en raison de travaux qui devraient être finis l’année prochaine. Au total, huit bassins ont été fermés dans les 30 kilomètres à la ronde au cours des cinq dernières années (aussi à Lisle-sur-Tarn et à Gaillac). Pendant ce temps, dans les zones commerciales, les affichages publicitaires de piscinistes proposant l’installation de piscines privées chez des particuliers ne sont pas rares.
De la piscine au centre aquatique
À Albi, préfecture du Tarn, l’argent ne manque pas pour les piscines : la communauté d’agglomération du Grand Albigeois prévoit d’investir près de 37 millions d’euros dans la rénovation des centres aquatiques Atlantis à Albi et Taranis dans la commune voisine de Saint-Juéry, mais aussi dans la construction de deux bassins extérieurs et chauffés toute l’année, dits bassins nordiques, de 50 et 25 mètres de long.
Un investissement démesuré et qui ne bénéficiera pas aux habitant·es, estime Jean-Laurent Tonicello, élu d’opposition au conseil municipal d’Albi et au conseil d’agglomération, s’appuyant sur l’étude de faisabilité. Cette dernière suggère en particulier de « réfléchir à un dimensionnement de l’offre moins important » : selon l’étude, un bassin si grand n’est pas adapté au grand public « loisirs » ni aux scolaires, tandis qu’un bassin de 25 mètres suffirait à répondre à la demande en créneaux sportifs supplémentaires.
« La municipalité mise sur le tourisme et l’image de la ville, analyse l’élu de gauche. Ces bassins nordiques rentrent dans la stratégie de marketing territorial qui passe par le sport. » Les bassins extérieurs de 50 mètres ne peuvent pas accueillir de compétitions qualificatives pour les championnats d’Europe ou du monde mais permettent l’organisation d’« opens » ou de stages sportifs destinés aux nageurs et nageuses de haut niveau : un « marché compétitif », selon l’étude.
Outre le projet en lui-même, l’élu d’opposition dénonce le passage en force de la municipalité d’Albi, largement majoritaire au conseil d’agglomération : en 2022, quatorze maires sur les seize qui composent le Grand Albigeois votaient une motion pour ajourner le projet de création des bassins nordiques. Mis un temps en pause et très légèrement revu, il a finalement refait surface et devrait être mis à exécution dès septembre.
La Fédération française de natation promeut un modèle alliant grandes infrastructures et « petites piscines pas chères ».
Entre Saint-Sulpice-la-Pointe et Albi, il n’y a même pas 50 kilomètres mais des moyens et des choix opposés en matière de piscines. Ces équipements structurants des territoires, très coûteux et déficitaires, entraînent aussi des tensions entre les différents échelons territoriaux. C’est par exemple le cas à Graulhet : la municipalité estime qu’elle ne doit pas être seule à investir dans cet équipement qui bénéficie aux communes alentour, mais la communauté de communes de Gaillac-Graulhet ne veut pas en prendre la charge.
« Le bon échelon de gestion de ces équipements est l’intercommunalité, parce qu’ils servent aux habitants de tout un bassin de vie et non pas juste d’une commune », assure aussi Alaric Berlureau, directeur des services municipaux à Saint-Sulpice-la-Pointe. La communauté de communes de Tarn-Agout se penche déjà sur la reconstruction – ou rénovation – de la piscine, qui pourra être amorcée pour de bon quand les clés lui seront transmises, début 2026. Des usagers et usagères craignent toutefois qu’un changement politique, par exemple une fois les élections municipales de l’an prochain passées, n’enterre le projet.
Du côté de la Fédération française de natation, on promeut un modèle alliant une grande infrastructure pour un public de sportifs et sportives et de loisirs associée à deux ou trois PPPC, « petites piscines pas chères », accessibles et permettant l’apprentissage de la natation.
Plus que de l’argent venant de l’État, le chef du service équipement à la fédération souhaite qu’il devienne possible de déroger au Code des marchés publics, parce que le processus actuel de mise en concurrence des offres « fait tomber plein de super projets ». Basile Gazeaud plaide pour un nouveau concours d’idées avec quelques lauréats, comme à l’époque de l’opération « Mille piscines » dans les années 1970 : « Il faut qu’une collectivité qui veut s’équiper avec une petite piscine puisse choisir dans un catalogue et payer un coût forfaitaire. »
En attendant, pour maintenir l’existant, la petite commune de La Chèze (Côtes-d’Armor) innove avec une solution qui illustre l’attachement des Chézien·nes à leur piscine d’été : une cagnotte a récolté plusieurs centaines d’euros et servira à changer une pompe à chlore. Les habitant·es ont aussi mis la main à la pâte pour que la piscine, principale attraction de ce village de 600 habitant·es, puisse ouvrir cet été : début mai, huit retraités bénévoles ont fait un peu de maçonnerie pour consolider la piscine. « Les enfants viennent à vélo de toutes les communes environnantes pour la piscine », se réjouit la maire de La Chèze, Marie-Gwénola Hollebecq.