L’inactivité physique coûte 140 milliards d’euros par an à notre société et nourrit Big Pharma.

« Avec la sédentarité et ses méfaits, nous assistons à l’émergence d’une nouvelle condition sociale »

Tribune

95 % des Français sont exposés à un risque de détérioration de leur santé faute d’une activité physique suffisante. L’immobilité est devenue une crise sanitaire et un nouveau marqueur de classe, alerte l’expert Paul Klotz, dans une tribune au « Monde ».

Publié le 25 juillet 2025 à 05h00, modifié le 28 juillet 2025 à 10h19  https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/07/25/avec-la-sedentarite-et-ses-mefaits-nous-assistons-a-l-emergence-d-une-nouvelle-condition-sociale_6623625_3232.html

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L’été 2024 restera gravé dans nos mémoires comme un moment de grâce collective. Les exploits de nos athlètes lors des Jeux olympiques, l’enthousiasme populaire et la beauté des cérémonies semblaient annoncer une profonde mutation de nos habitudes de vie. Il était légitime d’espérer que cette effervescence sportive inciterait massivement les Français à chausser leurs baskets et à renouer avec l’activité physique. Les chiffres de la rentrée 2024 ont dissipé ces illusions : les licences sportives n’ont progressé que de 5 %, selon l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep). Un frémissement, certes, mais dérisoire face à l’ampleur d’une crise sanitaire majeure que nous peinons encore à mesurer.

Les données de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) sont sans appel : 95 % de la population adulte française est exposée à un risque de détérioration de sa santé faute d’une activité physique suffisante. Alors même que nous n’avons jamais disposé d’autant de temps libre, les taux d’activité physique stagnent depuis plusieurs décennies. Cette sédentarité massive constitue un facteur déterminant dans l’apparition de maladies cardio-vasculaires, de cancers, de diabète de type 2, d’obésité et de troubles mentaux, selon l’Injep.

En réalité, nous assistons à l’émergence d’une nouvelle condition sociale. Hier, la brutalisation du corps concernait principalement l’ouvrier dans son usine ; aujourd’hui, elle frappe l’ensemble des citoyens. Nos modes de vie exercent une violence inédite sur nos organismes, épuisant nos corps dans l’immobilité comme jadis dans l’effort physique.

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Cette nouvelle condition reproduit et amplifie les inégalités traditionnelles : les adultes à faible niveau d’études et les moins de 45 ans sont les plus touchés par la sédentarité, tandis que les diplômés du supérieur parviennent plus souvent à maintenir un niveau d’activité conforme aux recommandations. La sédentarité devient un marqueur de classe, révélant une fracture entre ceux qui ont les moyens culturels et économiques de préserver leur santé et les autres.

Trois facteurs principaux expliquent cette dérive aux dimensions anthropologiques. L’écran, d’abord, a colonisé nos existences : un Français passe désormais dix-neuf heures par semaine sur Internet et six heures à regarder des vidéos en ligne. Chez les collégiens, le temps d’écran dépasse même celui passé à l’école. Les transformations du monde du travail et l’évolution culturelle constituent les deux autres ressorts de cette mutation. Un tiers des salariés travaillent désormais derrière un bureau, passant jusqu’à douze heures par jour en position assise, dans des open spaces où la sédentarité est devenue la règle. Parallèlement, un changement culturel profond a dévalorisé l’activité physique : le mode de vie idéal privilégie l’optimisation du temps et la réduction de l’effort, reléguant l’activité physique au rang de contrainte optionnelle.

Absurdité économique

Cette immobilité généralisée profite à certains secteurs économiques. Les plateformes numériques prospèrent en rendant inutile tout déplacement : Uber Eats, Deliveroo et leurs concurrents ont créé une économie d’assistance à domicile qui marchandise nos penchants naturels à l’inactivité. Les services de streaming maximisent délibérément notre temps d’écran grâce à des stratégies comme l’autoplay [lecture automatique]. L’industrie pharmaceutique, enfin, tire des bénéfices substantiels de l’explosion des maladies chroniques liées à l’inactivité. Le diabète, l’hypertension ou encore l’obésité sont autant de pathologies qui alimentent un marché florissant, financé par le contribuable.

Car c’est bien l’Etat qui supporte l’essentiel du coût de notre immobilisme. Selon France Stratégie, l’inactivité physique coûte 140 milliards d’euros par an à notre société, provoquant plus de 38 000 décès prématurés et 62 000 pathologies annuelles. Cette facture colossale pèse d’abord sur les finances publiques via les dépenses de Sécurité sociale et les coûts de prise en charge médicale. Cette situation révèle une absurdité économique : tandis que des secteurs privés accumulent les profits de notre sédentarité, la puissance publique voit exploser les dépenses de santé. Les bénéfices privés de l’immobilisme sont ainsi indirectement subventionnés par les ressources publiques.

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Un an après l’euphorie des Jeux olympiques et paralympiques de Paris, il convient donc de constater que cette magie n’a pas suffi à transformer durablement nos comportements. Mais l’héritage sportif des Jeux ne se décrète pas : il doit se construire par des politiques publiques concrètes et une mobilisation citoyenne durable. Dans ce contexte, reprendre une activité physique devient un authentique acte de résistance citoyenne, et les élections municipales de 2026 représentent une opportunité historique de matérialiser enfin l’héritage olympique.

Les candidats aux municipales disposent de leviers considérables pour faire de leurs communes des territoires de mouvement : construction d’infrastructures sportives, promotion d’activités parascolaires, aménagement urbain favorable à la mobilité douce, réinstallation de commerces de proximité, développement massif des pistes cyclables et création de cœurs piétons sont autant d’exemples de mesures qui peuvent être mises en place. La végétalisation des espaces publics mérite également une attention particulière, toutes les études démontrant que la proximité de la nature incite à sortir davantage et réduit les symptômes dépressifs aggravés par la sédentarité.

Faire de la lutte contre l’immobilisme une priorité absolue, c’est honorer véritablement l’esprit des Jeux olympiques et paralympiques de Paris, c’est assumer que bouger n’est plus seulement une question de bien-être individuel, mais un impératif démocratique.

Paul Klotz est haut fonctionnaire, expert associé à la Fondation Jean Jaurès, et auteur de la note « Inégalités sociales, dépenses publiques, effondrement écologique : les ravages de la condition sédentaire » (publiée le 8 juillet 2025).

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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