« Les politiques de santé mentale doivent aller au-delà de l’offre de soins »
Tribune
Le plan psychiatrie et santé mentale annoncé le 11 juin par le gouvernement manque d’une approche globale, estime, dans une tribune au « Monde », un collectif de professionnels de santé et de personnes concernées par un trouble psychique, qui plaide pour une stratégie interministérielle dotée de moyens pérennes.
Publié hier à 07h00, modifié hier à 09h03 https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/08/08/les-politiques-de-sante-mentale-doivent-aller-au-dela-de-l-offre-de-soins_6627397_3232.html
Temps de Lecture 3 min.
Notre collectif Santé mentale grande cause nationale représente plus de 3 400 organisations mobilisées de longue date pour faire de la santé mentale une priorité politique. Face à l’urgence, nous prenons acte des récentes annonces du gouvernement, mais appelons à aller plus loin pour porter une vision ambitieuse, pluriannuelle et transversale.
Le plan santé mentale et psychiatrie, annoncé le 11 juin par le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins, Yannick Neuder, constitue un signal fort : repérage et intervention précoces, dès l’école ; investissements dans les centres médico-psychologiques ; soutien aux équipes mobiles ; ou encore suivi post-crise. Ce sont des réponses concrètes qui redonnent du souffle à une psychiatrie publique en grande tension.
Mais la santé mentale ne peut être une simple politique de filière. Elle concerne l’école, le travail, le logement, la justice, le numérique et exige une réponse publique dans toutes ses dimensions. Alors que le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026 est en gestation, il est urgent de passer d’un plan ministériel à une stratégie interministérielle dotée de moyens pérennes, d’une gouvernance claire et d’une vision de long terme. Trois orientations nous paraissent fondamentales.
D’abord, une prise en compte des déterminants sociaux et environnementaux. Le plan reste silencieux sur ce qui influence la vulnérabilité psychique et accroît les inégalités de santé mentale : logement, travail, précarité, violences… De nombreux acteurs agissent déjà localement dans une logique de rétablissement, souvent sans reconnaissance ni coordination. Il est temps de les inclure pleinement à la réponse publique.
Une prévention impérative
Une articulation claire doit être faite avec les politiques de jeunesse, de handicap et de justice. D’autres pays ont intégré la santé mentale dans tous les pans de l’action publique : Nouvelle-Zélande, Canada, Danemark. Inspirons-nous de ces approches. C’est une véritable écologie de la santé mentale qu’il faut penser, au-delà de l’offre de soins.
Ensuite, une gouvernance interministérielle est nécessaire. La santé mentale a été érigée en grande cause nationale 2025, mais le comité interministériel annoncé en juin a été repoussé. Aucun dispositif de concertation à long terme n’est prévu, alors que les défis sont globaux et ne peuvent être pilotés d’un seul ministère. Sur ce point, nous proposons la transformation de la délégation ministérielle actuelle en délégation interministérielle, pour coordonner l’ensemble des ministères ; la réunion régulière du comité interministériel pour assurer une mobilisation au plus haut niveau autour des politiques de santé mentale ; la création d’un comité national de dialogue permanent avec les professionnels, personnes concernées, aidants, familles, chercheurs et collectivités pour offrir une gouvernance coconstruite, ouverte, et l’adaptation des réponses dans le respect des dynamiques locales.
Enfin, il faut des moyens clairs et pérennes. Le plan ne mentionne ni budget ni articulation avec le futur projet de loi de financement de la Sécurité sociale, alors que le coût sanitaire et social de la santé mentale dépasse 160 milliards d’euros par an [en 2018, d’après une étude de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris].
Agir en prévention est impératif. La littérature montre que 1 euro investi peut générer 2 à 4 euros d’économies à moyen terme [notamment selon une étude de l’Organisation mondiale de la santé, publiée en 2016]. Ces arbitrages doivent être posés dans le débat public : voulons-nous continuer à payer les conséquences de l’absence de prévention et du retard à la prise en charge ? Ou engager une stratégie de prévention universelle, structurée et soutenue dans le temps ?
Lire aussi le reportage | Article réservé à nos abonnés « J’espère qu’on pourra dire, un jour, que tout cela est derrière nous » : ces familles à la recherche de « clés » pour aider leur adolescent en souffranceLire plus tard
La dynamique de la grande cause nationale 2025 est féconde : elle lève les tabous et ouvre des espaces de débat. Faire de la santé mentale une cause politique, c’est la traiter à la hauteur des enjeux humains, sociaux et économiques ; c’est bâtir une société fondée sur les droits et la dignité. L’Organisation mondiale de la santé recommande d’intégrer la santé mentale dans toutes les politiques publiques. Saisissons l’occasion de la grande cause pour le faire.
Liste des premiers signataires : Sandrine Broutin, directrice générale de la Fondation Falret ; Aude Caria, directrice de l’organisme public Psycom ; Dominique Guillot, président de l’association Argos 2001 ; Marie-Odile Krebs, présidente du réseau Transition ; Pierrick Le Loeuff, délégué général du Collectif national des groupes d’entraide mutuelle (Cnigem) ; Denis Leguay, président de Santé mentale France ; Angèle Malâtre-Lansac, déléguée générale d’Alliance pour la santé mentale ; Clémence Monvoisin, présidente de l’Innovation citoyenne en santé mentale (ICSM) et du festival Facette ; Maéva Musso, présidente de l’Association des jeunes psychiatres et des jeunes addictologues (AJPJA) ; Déborah Sebbane, directrice du Centre collaborateur OMS pour la recherche et la formation en santé mentale (CCOMS). Liste complète à retrouver sur ce site.
L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.S’abonner