« La classe politique déserte l’écologie au moment même où celle-ci s’installe dans le quotidien des Français »
Tribune
Arnaud GillesSpécialiste des politiques environnementales
La stratégie de désertion de l’écologie, qui intervient alors que les effets du dérèglement climatique sont de plus en plus concrets dans le quotidien des Français, pourrait se retourner contre les élites, juge Arnaud Gilles, spécialiste des politiques environnementales, dans une tribune au « Monde ».
Au moment où les Français commençaient à affronter une canicule précoce et record, les députés décidaient, le 19 juin, de stopper par un moratoire l’installation d’énergies renouvelables censées permettre la production d’énergie décarbonée sur le sol français. Si la proposition de loi contenant ce moratoire a finalement été rejetée le 24 juin, elle sera bientôt rediscutée par l’Assemblée nationale en deuxième lecture.
Pour le moins déroutante, cette proposition s’inscrit dans une tendance de désertion de l’écologie par les responsables politiques de tous bords. Face à l’accélération du réchauffement climatique et aux menaces internationales, cette volonté d’abandonner les politiques écologiques relève d’une étrange défaite, qu’un sursaut politique peut encore empêcher pour éviter à l’Etat français de saborder son économie, de décrédibiliser sa diplomatie et d’abandonner ses citoyens les plus démunis.
Bâti en moins de deux ans dans tous les secteurs, du développement des énergies renouvelables à la transition agricole en passant par la rénovation des bâtiments, le plan écologique lancé en septembre 2023 par le président Macron devait permettre de réduire les émissions françaises et de freiner l’effondrement de la biodiversité en offrant aux entreprises un environnement économique stable et prévisible. Deux ans plus tard, ce chantier a été déserté. Et déshérité : si l’administration tente en vain d’animer son déploiement, ni le gouvernement ni les députés du camp présidentiel ne s’y attellent ni ne s’en revendiquent.
Spirale assumée d’autodestruction
Pour ralentir sans le dire, les gouvernements Attal et Barnier avaient déjà trafiqué les indicateurs gouvernementaux censés suivre la réduction des pesticides et des passoires thermiques. Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, la classe politique recomposée se laisse entraîner dans une spirale assumée d’autodestruction qui consiste à supprimer tour à tour les objectifs et dispositifs écologiques portés ces dernières années.
null
En quelques mois, la lutte contre la pollution de l’air a disparu avec la suppression des zones à faibles émissions, le combat contre la bétonisation des campagnes [par le dispositif zéro artificialisation nette] a été abandonné par le gouvernement malgré son efficacité contre les inondations et les canicules, et la réduction des pesticides dangereux pour la santé balayée par la réautorisation, votée dans la loi Duplomb [adoptée par l’Assemblée nationale le 8 juillet] par une grande majorité des députés macronistes, d’un néonicotinoïde interdit depuis 2018 [l’acétamipride].
Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Fabrice DeClerck, chercheur : « La loi Duplomb ignore les liens entre agriculture, santé, climat et biodiversité »Lire plus tard
Si [le premier ministre] Lionel Jospin ou [le président de la République] François Mitterrand s’étaient par le passé avoués désemparés dans la lutte contre le chômage, déclarant qu’« il ne faut pas attendre tout de l’Etat » [le premier, en 1999] ou « on a tout essayé » [le second, en 1993], la classe politique française assume aujourd’hui de dire, en matière de protection de l’environnement, « n’attendez plus rien de l’Etat » et « on ne veut plus essayer ». Cette démarche se trompe, et la classe politique française déserte l’écologie au moment même où le réchauffement climatique s’installe concrètement dans le quotidien des Français.
L’économie pénalisée
Les canicules de juin ont battu le record de la journée et de la nuit les plus chaudes jamais enregistrées sur ce mois. La Méditerranée n’a jamais été aussi chaude pour un début d’été, et les ostréiculteurs craignent de voir leur production d’huîtres et de moules mourir de chaud. Des villages entiers, comme La Bérarde [Isère], sont engloutis par des pluies diluviennes ou l’effondrement de glaciers, et 6 millions de Français en précarité énergétique se retrouvent piégés dans des logements mal isolés, qui deviennent des bouilloires en période de canicule.
Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Canicule : visualisez les températures maximales et la précocité de la vague de chaleur de juin 2025 en FranceLire plus tard
Ce mépris d’un quotidien déjà bouleversé par le dérèglement climatique pourrait bientôt pénaliser, dans les urnes, des élites anti-écologiques de plus en plus déconnectées de ces réalités. D’autant que l’économie sera pénalisée par une politique anticlimatique : l’arrêt des renouvelables priverait la France d’une industrie de 80 000 emplois, dont la production doit réduire la facture énergétique de 40 milliards d’euros par an, dans un contexte où la multiplication des conflits promet de faire payer à la France le prix fort pour l’énergie qu’elle importe.
Alors que 2025 marque les dix ans de l’accord de Paris sur le climat, la France joue aussi sa crédibilité diplomatique : la désertion écologique à l’œuvre à Paris agira probablement comme une épine dans le pied de la diplomatie française lors de la COP30 qui se tiendra cet automne au Brésil.
Arnaud Gilles est spécialiste des politiques environnementales, ancien porte-parole du WWF et marin engagé pour la protection de l’environnement.