Une rapport officiel qui vise à nier ou à euphémiser les risques encourus par les Etats-Unis du fait du changement climatique.

Un rapport climatosceptique commandé par l’administration Trump révolte la communauté scientifique américaine

Le ministère de l’énergie américain a publié, fin juillet, un rapport truffé de manipulations de données, qui doit servir de fondement à la dérégulation des émissions de gaz à effet de serre. 

Par Publié hier à 05h00, modifié hier à 15h29 https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/08/06/les-scientifiques-revoltes-par-un-rapport-climatosceptique-commande-par-l-administration-trump_6626955_3244.html

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COLCANOPA

L’indignation de la communauté scientifique américaine ne retombe pas. Depuis la publication, le 29 juillet, d’un rapport du ministère de l’énergie américain sur « les impacts des émissions de gaz à effet de serre sur le climat des Etats-Unis », de nombreux chercheurs dénoncent l’accumulation d’erreurs, d’omissions et de falsifications qui émaillent, selon eux, les 150 pages de ce texte.

Celui-ci, commandé en mars par le secrétaire à l’énergie, Chris Wright, un ancien dirigeant d’entreprises d’exploitation de gaz de schiste, vise à nier ou à euphémiser les risques encourus par les Etats-Unis du fait du changement climatique. « Le réchauffement est un défi, pas une catastrophe », résume M. Wright en préambule. Selon nos informations, la communauté des sciences du climat prépare une réfutation collective du texte, pour l’heure encore théoriquement ouvert aux commentaires.

La publication du rapport est intervenue quelques heures après que Lee Zeldin, l’administrateur de l’Agence de protection de l’environnement (EPA), a annoncé sa volonté de révoquer le « constat de mise en danger » (Endangerment Finding) qu’elle avait établi en 2009, consécutivement à un arrêt rendu par la Cour suprême des Etats-Unis qui enjoignait à l’agence de réguler les gaz à effet de serre. Ce constat est un ensemble de faits scientifiques caractérisant les risques du réchauffement pour la population américaine ; il forme le fondement juridique de la faculté de l’EPA à réguler les gaz à effet de serre.

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Pour qu’elle puisse révoquer aujourd’hui les éléments qu’elle avait elle-même établis en 2009, l’EPA doit pouvoir s’appuyer sur une documentation scientifique ad hoc, dont la première pierre est le rapport du département de l’énergie. L’administration américaine le dit d’ailleurs sans détour : « Le rapport a été publié dans le cadre de la proposition de l’EPA d’abroger le constat de mise en danger de 2009indique le ministère dans un communiquéSi elle est adoptée, cette proposition de l’EPA marquera une avancée décisive dans la réalisation de l’engagement pris par le président Trump de libérer la domination énergétique américaine. »

La conséquence serait l’écroulement de l’ensemble des politiques publiques destinées à contraindre les industriels et les énergéticiens à réduire leurs émissions, à promouvoir les voitures électriques ou encore à renforcer les normes d’émissions des véhicules. La révocation du constat de mise en danger de l’EPA serait « la plus vaste action de dérégulation de l’histoire des Etats-Unis »a déclaré M. Zeldin au micro du podcast « Ruthless ».

« Un document politique et pseudo-scientifique »

« Le rapport du département de l’énergie est utilisé pour renverser la régulation des gaz délétères pour le climat, mais ce n’est pas un rapport scientifique, prévient l’hydrologue et climatologue américain Peter Gleick (Pacific Institute à Oakland, Californie), membre de l’Académie des sciences américaine. C’est un document politique et pseudo-scientifique farci de fausses références, de données judicieusement sélectionnées, de présentations trompeuses des faits et d’affirmations erronées. » L’équipe de Chris Wright a sélectionné cinq scientifiques pour rédiger le texte : un économiste, trois climatologues et un physicien théoricien en retraite, tous connus de longue date pour leurs prises de position climatosceptiques.

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Le climatologue Michael Mann, professeur à l’université de Pennsylvanie, estime qu’« à peu près tout dans ce rapport relève du mensonge ou de la distorsion des faits »« Ils travestissent grossièrement la manière dont fonctionnent les modèles climatiques, ainsi que les conclusions de la communauté scientifique publiées dans des milliers d’articles scientifiques et les nombreux rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [GIEC], ajoute M. Gleick. De nombreux experts dont les travaux sont cités dans ce document ont déjà dit publiquement que leur travail avait été déformé ou mal interprété. »

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Le climatologue Zeke Hausfather (centre d’analyses Berkeley Earth) a ainsi expliqué sur son blog que ses travaux, cités dans le rapport comme une critique des modèles de climat, concluaient en réalité à l’exact inverse, indiquant que « les anciens modèles avaient globalement donné de bons résultats ». De son côté, Michael Mann cite en exemple des données thermométriques utilisées dans le rapport pour suggérer que les températures maximales journalières sont orientées à la baisse. Or, ces données, explique le climatologue américain, n’ont pas été corrigées des effets des interventions sur les stations de mesure, ou de leur relocalisation. « Les températures moyennes quotidiennes, corrigées des biais d’intervention sur les sites de mesure, ne sont curieusement pas mentionnées, ajoute M. Mann. C’est de la pure tromperie et le rapport est truffé de ce genre de tours de passe-passe. »

Plusieurs chercheurs interrogés par Le Monde – qui ne souhaitent pas être cités nommément – rapportent de nombreux autres exemples. Le niveau d’acidification des océans, dû à la dissolution du dioxyde de carbone atmosphérique, est présenté dans le rapport comme « compris dans la fourchette de variabilité naturelle à l’échelle des derniers millénaires ». Mais le rythme auquel cette acidification se produit, sans précédent depuis cinquante-cinq millions d’années selon le sixième rapport du GIEC, n’est pas mentionné. Les mots utilisés pour décrire le phénomène sont, eux aussi, euphémisants : le rapport préfère évoquer des « océans moins alcalins », pour décrire leur acidification.

Celle-ci, ajoute le rapport, est certes « possiblement préjudiciable aux récifs coralliens, mais le récent rebond de la Grande Barrière de corail [australienne] suggère le contraire ». Un « rebond » en réalité contredit par les autorités australiennes, qui ont rapporté, mardi 5 août, qu’entre août 2024 et mai 2025, le blanchissement de la Grande Barrière a été « le plus étendu » jamais relevé, causé par un « stress thermique sans précédent ».

Affirmations opposées à celle du GIEC

De même, le rythme d’élévation du niveau moyen des océans cité dans le rapport (0,12 pouce/an, soit 3,05 millimètres [mm]/an) est non seulement en deçà de l’estimation consensuelle du GIEC (3,7 mm/an) établie en 2021, mais les chiffres les plus récents (4,5 mm/an en 2023) indiquant une accélération du phénomène, sont passés sous silence.

Le rapport assure en outre que « l’augmentation des niveaux de CO2 bénéficie aux plantes, dont les variétés agricoles » et que « le réchauffement induit aura un bénéfice net pour l’agriculture américaine ». Une conclusion frontalement opposée à celle du GIEC qui précise dans son dernier rapport qu’« à travers l’Amérique du Nord, le changement climatique a généralement réduit la productivité agricole de 12,5 % depuis 1961 », les perspectives étant plus sévères en raison de la multiplication attendue des sécheresses, des canicules ou des précipitations extrêmes favorisées par le réchauffement.

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Pis, des chercheurs soupçonnent que des segments du rapport ont été rédigés grâce à une intelligence artificielle. L’une des références citées dans le texte est en effet fictive, construite par assemblage d’un titre d’article et de noms d’auteurs sans lien avec celui-ci, assortie d’un identifiant fantaisiste. Interrogée, la coautrice du rapport et climatologue retraitée Judith Curry assure « attendre avec impatience un dialogue constructif sur les critiques sérieuses »« Presque aucun des commentaires rapportés dans les médias jusqu’à présent n’a dépassé le stade de la crise de nerfs », relativise-t-elle.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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