Agrément d’Anticor : la « faute » de l’Etat reconnue par le tribunal administratif
Le tribunal administratif de Paris a considéré, mardi 5 août, que l’« illégalité » dont était « entaché l’arrêté du 2 avril 2021 » du premier ministre, sur l’agrément de l’association anticorruption est « constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ».
C’est une nouvelle victoire judiciaire et politique pour Anticor. Onze mois après avoir retrouvé son agrément gouvernemental, précieux sésame lui permettant de se constituer partie civile et d’avoir accès à un juge dans les affaires d’atteinte à la probité, l’association anticorruption a vu, mardi 5 août, la responsabilité de l’Etat reconnue par le tribunal administratif de Paris dans la perte dudit agrément, en 2023, comme l’a appris Le Monde.
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Dans une ordonnance de référé, la juridiction a considéré que « l’illégalité dont était entaché l’arrêté du 2 avril 2021 » du premier ministre d’alors, Jean Castex, délivrant l’agrément à Anticor, « est constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ». Le 23 juin 2023, saisi par d’anciens adhérents de l’association, le tribunal administratif de Paris avait annulé cet arrêté de 2021 « au motif que le premier ministre avait commis une erreur de droit » en attribuant à Anticor son agrément « tout en constatant », de manière contradictoire, « qu’elle ne remplissait pas toutes les conditions requises à cet effet ».
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Anticor avait donc perdu son agrément avant de le retrouver, au prix d’une âpre bataille politico-judiciaire, le 5 septembre 2024, lorsque Gabriel Attal, premier ministre en partance, avait été contraint par la justice administrative, à deux reprises, de prendre un arrêté en ce sens. M. Attal avait alors estimé qu’Anticor remplissait « toutes les conditions prévues », « considérant », entre autres faits, « le caractère désintéressé et indépendant de ses activités, apprécié notamment au regard de la provenance de ses ressources (…) et des mesures de transparence mises en place conformément aux nouveaux statuts adoptés le 26 mars 2022 ».
Le tribunal administratif de Paris a décidé, le 5 août, de condamner l’Etat à « verser à l’association Anticor une provision de 10 800 euros ». La juridiction estime que « l’obligation de réparer les préjudices causés à l’association Anticor à raison des préjudices directs et certains qui ont pu en résulter n’est, par suite, pas sérieusement contestable dans son principe », cette « obligation » étant « en lien direct avec la faute mentionnée ».
Sollicité, le cabinet d’avocats SCP Foussard-Froger, qui représente le garde des sceaux, Gérald Darmanin, n’a pas encore réagi.
Refus « illégal »
« La décision est plus qu’importante puisqu’elle insiste sur le caractère fautif du comportement de l’Etat et le renvoie à ses responsabilités vis-à-vis de l’association Anticor et de ses membres, en espérant que cela suffise à décourager toute instrumentalisation des demandes d’agrément dans le futur », souligne l’avocat d’Anticor, Jean-Baptiste Soufron.
« La reconnaissance de la responsabilité exclusive de l’Etat permet de réparer une injustice et un préjudice moral et financier importants pour l’association, salue la présidente de l’association, Emma Taillefer. Elle questionne également les réelles intentions qui animaient le gouvernement au moment où il a rédigé l’agrément octroyé en 2021. »
« Cette décision vient confirmer ce que de nombreux citoyens ont pressenti lorsque l’association a perdu son agrément : ce qui était en cause était la volonté d’empêcher Anticor d’agir dans des dossiers politico-financiers extrêmement sensibles, estime Elise Van Beneden, vice-présidente d’Anticor. Lorsqu’une association, qui expose au grand jour les abus de pouvoir, est attaquée, il faut la défendre, car c’est en réalité la démocratie qui est menacée. L’association a récupéré un agrément en septembre [2024] et continue sans relâche son combat contre la corruption. »
Cette ordonnance de référé a été rendue quatre mois après le dernier succès judiciaire en date de l’association. Le 11 avril, le tribunal administratif de Paris avait annulé, la « décision implicite » du gouvernement dirigé par Elisabeth Borne, le 26 décembre 2023, de ne pas renouveler l’agrément de l’association anticorruption. Pour la juridiction, ce refus « du gouvernement » était « illégal ».
Pour le professeur de droit public Paul Cassia, ex-président et actuel administrateur d’Anticor, « au-delà, cette affaire souligne une fois de plus la nécessité de confier l’agrément anticorruption à une institution indépendante de l’exécutif ».
Anticor est engagée dans 163 procédures judiciaires en cours en France, dont l’affaire Alexis Kohler, dans laquelle l’ex-secrétaire général de l’Elysée est mis en examen pour prise illégale d’intérêts.
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