Des boomers, ils font table rase !
Le 02-08-2025
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Par Michèle Dessenne, présidente du Pardem
Ah qu’il est bon de trouver son bouc émissaire pour tenter d’échapper au triste réel guerrier et au terrible budget de classe de la France, dominé par la dette (par le recul du PIB, de l’industrie, de l’emploi, des cotisations sociales et gangrené par les milliards financés par l’État aux grandes entreprises, sans contrôle ni utilité sauf pour les actionnaires). Mais ça, c’est déjà trop demander à ceux qui passent leur haine sur les « boomers » plutôt que contre le système néolibéral, le gouvernement et l’Union européenne… Et finalement ça tombe bien. C’est même particulièrement adéquat avec le « récit » dominant. Peu importe, que les fameux boomers soient ceux qui ont financé les études de leurs enfants, emmènent les petits enfants en vacances, les gardent quand ils sont malades. Des vieux qui animent bénévolement des milliers d’associations, qui ré-hébergent leurs enfants quand ils sont en galère, des années après leur majorité, quand précarité, CDD ou chômage frappent, ou encore un divorce conflictuel. Hop, passés à la trappe les boomers, la version riches comme Crésus triomphe sur toutes les ondes qui ressassent dès que possible que les boomers se gavent de pensions de retraite indécentes. Il faudrait leur apprendre à vivre (ou à mourir plus tôt en diminuant notamment les remboursements de la Sécu et en ne résolvant pas le problème des déserts médicaux). Mais le jeune excité contre les boomers égoïstes et maltraitant la planète, c’est-à-dire en fait contre ses grand-parents, voire ses parents, ne crachera pas dans la soupe à l’heure de l’héritage de la maison ou de l’appartement, de l’assurance vie ou du Livret A (quand ils existent et ce n’est pas toujours le cas) ! Pauvres hères mais riches héritiers de capital immobilier acquis par leurs boomers familiaux, qui leur permettra de vivre aisément et peut-être, eux aussi, d’assurer une transmission fondée sur le « marché immobilier » et les spéculations qu’il engendre.
Il fut un temps où les boomers (enfin certains) reprenaient l’expression « Familles, je vous hais ». Ben ils n’avaient peut-être pas tort finalement ! Ceux que cela intéressent n’auront qu’à chercher d’où vient cette expression et ce qu’elle signifie, car le descendant du boomer est habile sur les claviers, les réseaux et autres technologies que des boomers, par leur travail et leur appétit de progrès technologique, ont permis de faire naître. Ah Ah !
Fils, petits-fils, filles et petites-filles de boomers, écolos qui veulent sauver la planète, n’oubliez pas vos classiques. Le premier candidat écolo en 1974 à la présidentielle s’appelait René Dumont et il définissait les bases de l’écologie sur lesquelles Les Verts se sont appuyés pour naître en 1984.
Bref, haïr les boomers, en faire une caricature de pollueurs, beaufs, productivistes, les désigner comme responsable de tous les malheurs du monde et de la France est d’une telle bêtise qu’elle pue la manipulation politicienne. Car pour qu’augmentation du profit et régression sociale se conjuguent sans remous ni rébellion, il faut bien « flécher » des responsables. Le boomer, quelle que soit sa classe sociale, est parfait. Il tombe à point dans la période actuelle de division de la population, de l’individualisme et du « mérite », du mépris du collectif et de l’intérêt général et de l’opération de décrédibilisation de la Sécurité sociale issue du Conseil national de la Résistance.
Le vieux et la vieille de Mai 68, de la libération sexuelle et du féminisme comme de l’augmentation de 30% du SMIC et moultes nouveaux droits sociaux en juin de la même année, ne se retournent pas encore tous dans leur tombe. Ils sont même nombreux dans les manif ! Les descendants boomers ne manqueront pas en temps utile de faire mine de lâcher quelques larmes de crocodile avant d’aller « cracher sur leurs tombes »…
Ah ! Fils et filles de Boomers de tous les pays, unissez-vous, du passé faites table rase et surtout, surtout, arrêtez immédiatement d’écouter les musiques boomeriennes, notamment le rock, le disco. Mettez aussi au panier Brassens, Ferrat, Brel, Leforestier et tant d’autres. Ne lisez pas d’ouvrages pernicieux, ceux de Marx, de Proudhon, ni même de Zola, de Simone de Beauvoir et de Sartre. Jouissez sans entrave de la guerre des générations plutôt que dans la lutte de classes et le combat pour la Paix. C’est moins compliqué, moins risqué et plus pratique à l’occasion des échanges « entre soi ».
Mais attention, votre temps glorieux et médiatique de génération sacrifiée ne durera que le temps de la rose qui éclot et se meurt sitôt. Demain, vous serez à votre tour les générations dénoncées par vos rejetons vous accusant de laisser-faire, d’indifférence aux causes communes et à l’égalité. Chassés et enfouis dans les poubelles de l’histoire à votre tour. Mais Ferrat, même mort, continuera de chanter la France des travailleurs !
Nous vous recommandons la lecture du très bon texte que Denis Collin a publié sur La sociale, intitulé La haine des Boomers.
La haine des boomers…
ou comment se débarrasser des vieux.
mercredi 18 juin 2025, https://www.la-sociale.online/spip.php?article1264
par Denis COLLIN
La haine des boomers est un passage obligé dans toutes sortes de milieux. Les charlatans (souvent jeunes ou friqués, ou les deux) qui veulent sauver le capital moribond ont trouvé le pelé et le galeux responsable de tous nos maux. C’est le boomer (« Ok, boomer ? »), celui qui appartient aux cohortes nombreuses nées entre 1941-42 et 1963-64, ce boomer qui bénéficie d’une grasse retraite qui serait la cause de la faiblesse des salaires nets et pomperait le pognon des « actifs » (principalement le pognon de tous les parasites qui font dans le management, le marketing, la com et autres plaies de notre monde).
Pour se débarrasser des boomers, on vient de voter une loi légalisant l’euthanasie : les vieux n’encombreront plus les hôpitaux et les cabinets médicaux, ils céderont la place de bonne grâce en avalant la pilule « mourir dans la dignité ». Dans Un bonheur insoutenable, une excellente dystopie, Ira Levin imagine une société où on pique les vieux à 64 ans, afin qu’ils ne connaissent pas les souffrances de la vieillesse…
Je vais commencer par rassurer tous les anxieux de nous voir six pieds sous terre – car, pour sauver la planète on évitera la crémation. Les boomers sont en train de mourir. Chose curieuse : en janvier 2025, il y a plus de morts qu’en janvier 2021, au plus fort du COVID. Comment se fait-ce ? Les classes nombreuses arrivent à l’instant fatal. C’est aussi bête que ça. Mais la nouvelle n’a pas fait beaucoup de bruit. Et le mouvement ne pourra que continuer. Les discours sur les retraites insoutenables sont de purs mensonges. C’est en ce moment que les retraites coûtent cher, mais à moyen terme, ce coût va baisser et même sérieusement.
Les boomers sont censés rouler sur l’or. Exemple : le montant minimal de retraite avoisinait les 749 € nets/mois en 2024 pour une carrière complète à temps plein au Smic… Je vous le disais, le boomer est un gros plein de fric. Passons aux plus riches : En 2025, la retraite moyenne en France s’établit autour de 1 661 euros bruts par mois (1 545 euros nets) avec des inégalités persistantes entre les genres et les régimes et les secteurs. Malgré les revalorisations, le pouvoir d’achat des retraités reste insuffisant pour faire face au coût de la vie. En gros la retraite de la Sécu, c’est un bon SMIC. Il y a les retraites complémentaires qui peuvent augmenter sérieusement cette maigre pitance. Mais l’idée de riches retraités est parfaitement fallacieuse.
On nous dit : « oui, mais les boomers ont du patrimoine, notamment immobilier, bien plus que les jeunes de moins de 25 ans. » La belle affaire ! Rassurez vous, à 25 ans les boomers n’avait pas non plus de patrimoine immobilier. En fait ce patrimoine tombe et tombera encore plus demain dans les mains des générations suivantes qui seront les plus riches que la France ait connues ! Loin de laisser une génération de pauvres derrière eux, les boomers laissent une génération de nantis.
Les boomers dit-on se sont gavés et laissent des dettes… Nouvelle erreur ! Dans leur grande masse, les boomers n’ont pas fait de longues études, ils sont souvent allés au boulot à l’âge de 14 ans. Les plus vieux des boomers avaient commencé leur vie aux tickets de rationnement, dans des logements insalubres. Ce qui ne les a pas empêchés d’avoir des enfants. En revanche les post-boomers, qui font peu d’enfants (c’est encombrant) et ont fait de longues études ont eu une vie bien meilleure et ont joui tôt de tous les gadgets de la société de consommation inventée… par les boomers.
Toutes ces arguties haineuses que l’on peut entendre sur France Cul ou lire dans le Figaro (la bêtise des salauds est bien partagée) n’ont pas d’autre but que raboter les salaires et préparer des ponctions sur les retraites (à la sauce grecque, version « troïka » des années 2010). Ponction sur les salaires : on diminuerait les cotisations de retraite qui sont du salaire différé et ponction sur les retraites pour accélérer le ruissellement de l’argent dans la poche des riches – 250 milliards d’aide annuelle aux entreprises, c’est-à-dire d’aide aux dividendes versés à ceux qui s’enrichissent en dormant.
Derrière cette opération d’intoxication sur les « boomers », il y a beaucoup plus grave. Non seulement il s’agit de pousser les jeunes à se débarrasser des vieux, mais encore de refuser la dette, c’est-à-dire le principe généalogique lui-même : les jeunes naissent avec une dette envers leurs parents. Les parents doivent éduquer leurs enfants avec amour et travailler pour subvenir à leurs besoins. En prenant soin des plus âgés, en les respectant et parfois même en les écoutant, les jeunes devenus adultes tentent de s’acquitter d’une dette, que leurs propres enfants contracteront à leur tour. La haine de la dette des jeunes envers les plus âgés, c’est rien d’autre que la haine de la vie. « No kid » qu’ils disent maintenant. Une fois de plus se vérifie que le mode de production capitaliste n’est que la pulsion de mort.
Le 18 juin 2025 – Denis Collin