Accueil dégradé aux urgences, le tube lancinant de l’été
Quentin Haroche | 29 Juillet 2025 https://www.jim.fr/viewarticle/accueil-d%C3%A9grad%C3%A9-aux-urgences-tube-lancinant-2025a1000k20
Comme chaque été, de nombreux services urgences sont obligés de modifier leurs conditions d’accueil voire de fermer leurs portes, faute de médecins.
C’était le 17 avril 2023. En pleine tempête sociale autour de la réforme des retraites, le Président de la République Emmanuel Macron formulait cette promesse : désengorger les services d’urgences d’ici la fin de l’année 2024. Nous sommes en juillet 2025 et c’est peu dire que la promesse n’a pas été tenue. Comme chaque été depuis de longues années maintenant, plusieurs hôpitaux sont mêmes contraints de faire fonctionner leurs services d’urgence « en mode dégradé », quand ils ne les ferment tout simplement pas.
Toulon, Laval, Hyères, Manosque, Digne-les-Bains, Nice, Agen… : la liste des services d’urgences en difficulté est longue. Ces hôpitaux sont pris en tenaille entre d’une part un manque de bras dus aux congés estivaux des soignants et de l’autre, pour les communes de villégiature, une hausse de la population durant les vacances. Dans le meilleur des cas, l’hôpital se contente d’imposer la régulation, en n’accueillant uniquement les patients qui ont préalablement été orientés par le 15. Mais dans certains cas, il est tout simplement décidé de fermer le service des urgences durant la nuit, par manque de bras (et de cerveaux).
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SAMU Urgences de France veut revoir la carte des services d’urgence
Lorsque tous les hôpitaux d’une même région sont en difficulté, la situation devient difficilement tenable. « Il arrive régulièrement la nuit que Digne soit le seul service ouvert du département. Avec deux médecins de garde, comment croire qu’on peut maintenir une prise en charge de qualité sur l’ensemble de notre territoire ? » explique au journal Le Monde le Dr Hugues Breton, délégué syndical de l’association des médecins urgentistes de France. Une nuit de juillet, tous les services d’urgence du département ont été fermés simultanément. « La question n’est pas de savoir si une mort évitable ou une complication va arriver, mais quand» poursuit l’urgentiste.
« La problématique des ressources humaines médicales est toujours aussi aiguë à l’échelle nationale » commente le Dr Marc Noizet, président du syndicat SAMU Urgences de France. « Sur le terrain, on a l’impression de se répéter, on est en surchauffe. C’est devenu tout le temps très dur, parfois, c’est juste un peu moins dur ». Le syndicat préconise de revoir la carte des services des urgences. « La répartition de nos 700 services a été dessinée il y a plus de vingt-cinq ans»rappelle Marc Noizet.« Depuis, les difficultés de recrutement se sont généralisées, et on en reste, toujours, à 700 services, sans oser remettre en question le maillage territorial ». Mais cela devrait passer par la fermeture des petits services d’urgence, ce qui est souvent politiquement très sensible.
Yannick Neuder minimise et sort le carnet de chèques (ambulant)
Sans nier les difficultés que rencontrent les services d’urgence, le ministère de la Santé préfère minimiser l’ampleur de la crise. « La situation actuelle est plutôt maîtrisée » commentait ainsi mardi dernier le ministre Yannick Neuder lors d’une visite à l’hôpital Necker (à quelques encablures de son ministère). « Les tensions estivales que connaît chaque année notre système de santé nécessitent des ajustements et ont été anticipées » poursuit le ministère, précisant que « la situation est globalement identique, à date, à celle de 2024 ». Pour le gouvernement, la mise en place progressive, sur l’ensemble du territoire, depuis l’été 2022, du service d’accès aux soins (SAS), a permis de juguler l’engorgement des urgences. Mais si la plupart des acteurs saluent la mise en place de ce dispositif, qui renforce la collaboration entre les urgentistes et les médecins libéraux et permet une meilleure orientation des patients, ils estiment qu’il est loin de résoudre la question de l’engorgement des urgences.
Le département de la Mayenne est devenu le symbole des difficultés rencontrées par les hôpitaux pour maintenir l’accès aux soins. A l’hôpital de Laval, un anesthésiste a ainsi accepté de faire trois gardes en quatre jours pour éviter la fermeture de la maternité et du bloc opératoire ce week-end. Plus au nord, à l’hôpital de Mayenne, la maternité est fermée jusqu’à mercredi par manque de médecins. Et il arrive certains jours qu’il n’y ait aucune ligne de SMUR (service mobile d’urgence et de réanimation) en activité dans le département, c’est-à-dire aucune équipe médicale disponible pour venir en aide aux personnes en urgence vitale.
Le 4 juillet dernier, le ministre de la Santé s’est rendu dans ce département pour tenter d’apporter quelques réponses à cette problématique locale, symbole d’une crise nationale de l’hôpital public. Il y a promis la mise en place permanente d’une équipe de SMUR depuis Laval ainsi que l’envoi en renfort dans le département de sept médecins venus des CHU d’Angers, Le Mans et Rennes. Il a également promis des investissements de 24 millions d’euros en faveur des trois hôpitaux du département. Avant de conclure, sous les sifflets de quelques soignants : « Je ne suis pas un carnet de chèques ambulant ».
Tensions aux urgences pendant l’été : « Notre crainte, c’est que ce fonctionnement dégradé se banalise »
De nombreux services sont sous forte pression depuis le début des vacances. A Toulon, le premier niveau du plan blanc a été déclenché, tandis que, à Rennes, la régulation par le 15 a été généralisée, une pratique mise en place pour la première fois à Digne-les-Bains et à Manosque.

C’est devenu un exercice saisonnier : identifier, au fil de l’été, les hôpitaux dont les services d’urgences ferment – quelques heures, un jour, une nuit ou plusieurs d’affilée. Comparer avec l’année précédente, mais aussi avec l’avant-Covid, l’après-Covid…
La saison estivale, pour les urgences, est une période tendue, parce que les bras manquent un peu plus, du fait des congés des soignants, et que des lits ferment à tous les étages de l’hôpital. Parce que, dans beaucoup de villes touristiques, aussi, la population s’accroît alors que les températures grimpent.
L’été 2025 n’échappe pas à la règle, avec, depuis plusieurs jours déjà, des services sous forte pression. C’est le cas dans le département du Var, où, le 8 juillet, le premier niveau du plan blanc – ce système de crise permettant aux établissements de se réorganiser, de rappeler des soignants… – a été activé au centre hospitalier intercommunal de Toulon – La Seyne-sur-Mer et au centre hospitalier d’Hyères, deux établissements sous direction commune.
« [En 2024], c’étaient des hôpitaux de l’est du Var qui avaient dû diminuer leur accueil et nous renvoyer des patients,décrit l’urgentiste toulonnaise Muriel Vergne, porte-parole départementale du syndicat SAMU Urgences de France. Cet été, c’est à l’ouest que cela coince, et ça majore notre activité, même avec les heures supplémentaires qu’aucun de nous ne compte plus. »
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A la mi-juillet, quelque 220 passages quotidiens étaient décomptés dans son service, contre 140 à 150 à la même période habituellement. Même envol précoce du nombre de sollicitations au SAMU, avec des « volumes d’appels », en vingt-quatre heures, qui dépassent ceux généralement atteints au 15 août. « La situation est fragile, reprend Muriel Vergne. Notre crainte, c’est que ce fonctionnement dégradé se banalise. Qu’on cède à une forme de fatalité. »
« C’est devenu tout le temps très dur »
A ce jour, des tensions sont signalées dans le Var, mais aussi dans le Morbihan, le Cher, le Nord ou encore en Mayenne. Avec, certains jours, « zéro ligne de SMUR » dans ce dernier département, de source syndicale. C’est l’un des points les plus alarmants d’une crise qui s’éternise : la fermeture, ponctuelle, de ces services mobiles d’urgence et de réanimation, envoyés pour répondre aux urgences vitales, intervient dans plusieurs départements depuis au moins deux étés.
« La problématique des ressources humaines médicales est toujours aussi aiguë à l’échelle nationale, observe Marc Noizet, président du syndicat SAMU Urgences de France. Sur le terrain, on a l’impression de se répéter, on est en surchauffe. C’est devenu tout le temps très dur ; parfois, c’est juste un peu moins dur… »
Le syndicat préconise de revoir la carte des urgences, en concentrant au mieux les forces médicales, quitte à fermer de petits services en grande difficulté. « La répartition de nos 700 services a été dessinée il y a plus de vingt-cinq ans,rappelle Marc Noizet. Depuis, les difficultés de recrutement se sont généralisées, et on en reste, toujours, à 700 services, sans oser remettre en question le maillage territorial. L’enjeu politique est celui-là. »
Lire aussi (2022) : Article réservé à nos abonnés A l’entrée des services d’urgences, la régulation par le SAMU s’étend sur le territoireLire plus tard
Au ministère de la santé, on l’assure : « La situation est globalement identique, à date, à celle de [2024] », annonce-t-on dans l’entourage du ministre, Yannick Neuder, mercredi 23 juillet, sans communiquer sur le nombre de services fermés ou les plans blancs activés. « Les tensions estivales que connaît chaque année notre système de santé nécessitent des ajustements et ont été anticipées », ajoute-t-on Avenue de Ségur. La veille, le 22 juillet, en déplacement au SAMU de l’hôpital Necker, à Paris, Yannick Neuder s’est voulu rassurant : « La situation actuelle est plutôt maîtrisée », a-t-il dit.
Un message politique qui revient, été après été, depuis le déploiement du « pack Braun », soit ces 40 mesures décidées par le gouvernement et portées par l’ex-ministre de la santé François Braun (2022-2023), dans l’urgence, en juillet 2022, face à la crise, et pérennisées depuis. Les années passent et les leviers restent les mêmes, telle la possibilité de recourir à une régulation (ou filtrage) à l’entrée des urgences par un appel au 15. Ou encore le déploiement des services d’accès aux soins qui permettent aux SAMU de mieux s’organiser avec les médecins libéraux pour répondre aux urgences non vitales.
« Antenne de médecine urgence »
A 800 kilomètres à vol d’oiseau de Toulon, Louis Soulat, patron des urgences rennaises et membre du même syndicat, se plie lui aussi à l’exercice de comparaison. « Ce mois d’août s’annonce sans doute plus compliqué qu’il y a un an », dit-il. Avec deux évolutions désormais actées : une généralisation à la plupart des sites de la régulation, par le biais de l’appel au 15, la nuit – pour éviter aux patients de trouver porte close. Et l’expérimentation à Cesson-Sévigné (Ille-et-Vilaine) dans un hôpital privé, depuis le 20 juillet, d’une « antenne de médecine urgence », avec une amplitude horaire réduite à une douzaine d’heures par jour, contre, théoriquement, une ouverture vingt-quatre heures sur vingt-quatre précédemment. « Le flux des passages, sur les différents établissements, n’a pas baissé de tout le mois de juillet, relève-t-il encore, et les sollicitations du SAMU et du service d’accès aux soins ont bondi. Cela n’augure rien de bon. »
A Digne-les-Bains et à Manosque, dans les Alpes-de-Haute-Provence, le passage par le 15 a été décidé, pour la première fois, pour accéder aux urgences. « Le système fonctionne à l’entrée de nos deux services depuis juillet », rapporte Hugues Breton, délégué syndical de l’Association des médecins urgentistes de France. La situation est, pour lui, bien pire qu’en 2024 : « Nous sommes encore moins de médecins à Digne, en raison d’arrêts maladie, de congés maternité et de départs. » Cet été-là, déjà, des soignants s’étaient mis en grève – symboliquement, puisqu’ils sont assignés à travailler – pour alerter sur la situation.
Cette régulation n’empêche pas, pour autant, des fermetures au fil de l’eau. « Il arrive régulièrement la nuit que Digne soit le seul service ouvert du département. Avec deux médecins de garde, comment croire qu’on peut maintenir une prise en charge de qualité sur l’ensemble de notre territoire ? », questionne l’urgentiste. Et de citer des moments extrêmes, telle la fermeture, durant une nuit en juillet, des trois services du département (Digne, Manosque et Sisteron) en même temps. « On se raconte que l’hôpital tient… La question n’est pas de savoir si une mort évitable ou une complication va arriver, mais quand. »
Même dans d’autres hôpitaux où les plannings sont complets et tous les postes d’urgentistes pourvus, la pression s’avère très forte. « On a atteint 15 % de passages supplémentaires, depuis un mois », rapporte Pierre-Marie Tardieux, chef du pôle des urgences à Nice, l’un des plus gros services de France, où quelque 300 patients défilent au quotidien actuellement. « Chaque jour, on se retrouve avec une centaine de patients qui restent sur des brancards, nous n’avions jamais atteint ce chiffre, décrit l’urgentiste. La vraie difficulté, c’est de trouver des lits d’hospitalisation. Et on n’est encore qu’au milieu de l’été. »
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