ÉCONOMIE ET SOCIAL ANALYSE
L’Union européenne capitule pour éviter une guerre commerciale avec Trump
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a conclu dimanche soir un accord avec Donald Trump qui fait la part belle aux exigences de Washington. Un droit de douane global de 15 % sera appliqué, mais Bruxelles promet aussi de financer massivement l’économie états-unienne.
Une défaite en rase campagne. Concédée sans combattre. Dimanche 27 juillet, entre quelques parties sur son golf de Turnberry en Écosse (Royaume-Uni), le président états-unien Donald Trump a annoncé la finalisation d’un accord commercial avec l’Union européenne (UE). Tout le week-end, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait négocié aux abords du green écossais avec une seule idée en tête : échapper aux 30 % de droits de douane que Washington avait menacé d’instaurer aux produits européens en cas d’absence d’accord au 1er août.
Vu depuis cette menace, l’UE peut juger qu’elle s’en sort bien. Un droit de douane global de 15 % sera ainsi imposé aux produits européens sur le territoire états-unien. Mais ce soulagement ne doit pas faire oublier trois éléments très défavorables aux Européens.
D’abord, ce droit de douane est asymétrique et s’accompagne d’une absence de droits de douane réciproques pour les produits états-uniens qui, partant, vont venir concurrencer les produits européens sur leurs marchés sans contrainte.
Ensuite, ce droit de douane est plus élevé que le niveau de 10 % appliqué depuis le 2 avril. Il y aura donc bien un renchérissement des produits européens sur le marché états-unien. Ceci est d’autant plus vrai que le niveau d’il y a un an était inférieur à 5 %. Certes, les droits sur les automobiles reculent de 25 à 15 %, mais Donald Trump a bien précisé que cette taxe douanière ne s’appliquerait pas aux produits pharmaceutiques et à la métallurgie. L’acier et l’aluminium européens resteront frappés au niveau actuel de 50 % qui ferme de facto le marché états-unien aux produits européens.

Enfin, l’accord inclut des engagements considérables de la part de l’UE. Le bloc s’engage ainsi à investir 600 milliards de dollars supplémentaires aux États-Unis, c’est-à-dire trois fois le montant de l’excédent commercial bilatéral de 2024 réalisé par les Européens. C’est d’autant plus difficile à accepter que la zone euro souffre d’un sous-investissement chronique depuis des années et que c’est là un des problèmes de la faiblesse relative de la croissance de la région.
Mais à cela s’ajoutera un montant de 750 milliards de dollars de dépenses en « produits énergétiques » états-uniens. Là aussi, la pilule est difficile à avaler pour une Union européenne qui, il n’y a pas si longtemps, se prétendait pionnière de la lutte contre le réchauffement climatique. Car les « produits énergétiques » états-uniens sont principalement des produits fossiles : pétrole, gaz de schiste et gaz liquéfié. Ces importations viendront mécaniquement freiner l’usage des énergies renouvelables sur le Vieux Continent.
Enfin, Donald Trump a assuré que l’UE avait pris l’engagement d’acheter de « vastes montants » d’armes états-uniennes. Et là encore, c’est un mauvais coup. L’UE, mais surtout les États membres, ont lancé de larges programmes de réarmement au nom de « la souveraineté européenne ». Cela aurait pu être l’occasion de recréer et renforcer des filières en Europe. Mais l’UE a décidé de continuer à faire dépendre très largement le Vieux Continent de la fourniture d’armes des États-Unis. Autrement dit : les plans de réarmement, que beaucoup de pays, à commencer par la France, vont financer avec des baisses de dépenses sociales et redistributives, vont permettre de transférer des fonds vers les États-Unis. Si l’on veut être encore plus clair, on peut résumer ainsi : l’austérité européenne va financer la croissance états-unienne.
Accord de vassalisation
Dimanche soir, la presse économique anglophone se réjouissait qu’un accord ait pu éviter « une guerre commerciale », mais en réalité, la façon qu’a eue l’UE d’éviter la guerre a été de capituler. Ursula von der Leyen pouvait affirmer tout sourire que cet accord était un « bon accord » et qu’il avait été « dur » de le négocier. La réalité est qu’elle a cédé sous la pression des industriels européens qui ne voulaient pas prendre le risque de se voir exclus du marché états-unien.
Vendredi 25 juillet dans Le Figaro, Bernard Arnault affirmait préférer un « accord facialement déséquilibré » à un « bras de fer ». De fait, ces industriels ne roulent que pour eux-mêmes : ils ne sont que peu concernés par la concurrence états-unienne et par le modèle social européen, seuls leurs accès aux marchés extérieurs les occupent.
« L’accord commercial négocié par la Commission européenne avec les États-Unis apportera une stabilité temporaire aux acteurs économiques menacés par l’escalade douanière américaine, mais il est déséquilibré », a prévenu sur le réseau social X le ministre français délégué chargé de l’Europe Benjamin Haddad, qui a mis en garde contre le risque d’un « décrochage » des Européens si ces derniers « ne se réveillent pas ».
Un tel accord asymétrique confirme que l’UE d’Ursula von der Leyen n’a pas d’autres ambitions que de rester arrimée au géant états-unien. Cet accord vient apporter un démenti cinglant à plusieurs mois de discours sur la construction d’une souveraineté européenne et sur l’idée que le bloc, en tant que première puissance économique mondiale potentielle, aurait les moyens de bâtir une puissance géopolitique équivalente.
L’accord conclu dimanche soir est, de facto, un accord de vassalisation. Donald Trump n’a jamais caché ses intentions et l’accord signé voici quelques jours avec le Japon avait confirmé son objectif. Pour l’administration états-unienne, il s’agit à la fois de capter une partie de la valeur créée dans les pays alliés, de sécuriser l’accès des entreprises états-uniennes aux marchés et aux ressources de ces derniers et, enfin, de les rendre dépendants des produits états-uniens.
L’accord entre l’UE et les États-Unis répond à chacun de ses objectifs : l’UE viendra soutenir la croissance états-unienne, dépendra du pétrole et des armes d’outre-Atlantique et ne touchera pas aux rentes numériques des géants technologiques états-uniens. La victoire pour Washington est totale.
De son côté, Bruxelles peut uniquement se prévaloir d’avoir limité la casse. Certes, il y aura une levée réciproque des droits de douane sur certains produits comme l’aéronautique, la chimie ou certains produits agricoles. Mais la réalité reste la même : le marché européen n’est pas protégé. Alors même que Donald Trump enterre, dans son pays, la croyance en les bienfaits de la mondialisation, l’Union européenne sacrifie son marché intérieur et sa souveraineté aux intérêts de ses exportateurs. Il n’est donc pas étonnant que le premier chef de gouvernement à avoir réagi soit Friedrich Merz, le chancelier allemand, qui s’est félicité d’un accord qui « évite une escalade inutile ».
L’UE, plus que jamais un nain politique
Mais là encore, ce récit qui va, dans les jours prochains, tenter de dissimuler le désastre que représente cet accord, ne tient guère. L’escalade a été menée par Donald Trump lui-même, qui a menacé l’UE de taxes de 25 % et de 30 %, sans que l’UE n’ose réellement répondre et ne cherche à répondre par des menaces équivalentes. Et on comprend pourquoi : un conflit avec les États-Unis est, en réalité, inenvisageable pour l’actuel exécutif européen et pour la plupart de ses gouvernements. Et l’UE reste l’UE : un bloc commercial centré sur le soutien à ses exportateurs au détriment de la demande intérieure.
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Car que peut-il se passer à présent ? Les exportateurs européens vont devoir faire pression sur leurs coûts pour rester compétitifs aux États-Unis, tandis que le marché européen va être pris d’assaut par les produits états-uniens. Pour financer les achats d’armes aux États-Unis, il faudra faire des économies massives sur les dépenses sociales, alors même que les dépenses militaires ne favoriseront que modestement la croissance intérieure.
En conséquence : les entreprises européennes qui dépendent de leur marché intérieur vont souffrir, tandis que les exportateurs vont en profiter pour justifier des économies d’échelle. La demande intérieure européenne ne peut donc que s’affaiblir. Et c’est d’ailleurs ce que cherche Donald Trump, qui est dans une logique prédatrice : son but est de transférer de la valeur de l’UE vers les États-Unis. Une telle logique appliquée à une zone déjà en croissance anémique ne peut qu’avoir des effets négatifs à moyen ou long terme. D’autant qu’il faudra investir de l’autre côté de l’Atlantique plutôt qu’en Europe.
En résumé, cet accord trahit bien le fait que l’UE n’a aucune volonté réelle d’apparaître comme une « puissance » indépendante. Elle cherche à rester avant tout ce qu’elle est : une machine à exporter sous la protection militaire et politique des États-Unis. C’est un nain politique qui, pour continuer à vendre des machines-outils et des automobiles à l’étranger, est prêt à ignorer autant ses problèmes sociaux que la crise écologique ou la pratique autoritaire du pouvoir par Donald Trump. Le soulagement de ce dimanche soir des dirigeants européens avait quelque chose de lâche.
Pourquoi l’UE s’est couchée devant les États-Unis
La capitulation commerciale face aux États-Unis est le fruit d’une incapacité de l’UE à remettre en cause son modèle exportateur délétère et, plus généralement, d’une volonté de protéger un statu quo à l’origine de la stagnation du Vieux Continent.
LaLa meilleure façon de ne pas gagner une guerre est sans doute de ne pas combattre. Cette étrange philosophie est au cœur de la capitulation inconditionnelle que l’Union européenne (UE) a acceptée dans ses négociations commerciales avec les États-Unis. « C’est ce que l’on pouvait avoir de mieux », a résumé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Est-ce vraiment le cas ?
Depuis des années, et en particulier depuis l’élection de Donald Trump en octobre 2024, l’Union européenne prétend être une puissance indépendante, capable d’affirmer sa souveraineté. Les discours en ce sens des dirigeants européens se sont multipliés ces derniers mois.
À peine sorti victorieux des élections fédérales du 23 février, le futur chancelier allemand Friedrich Merz proclamait qu’il voulait une « Europe indépendante des États-Unis ». Il en faisait même une « priorité absolue » et rejoignait ainsi un des leitmotive qu’Emmanuel Macron répétait depuis 2021 à propos de la « souveraineté européenne ». À Bruxelles, on assurait que l’UE était, cette fois, prête à faire face aux pressions de Washington, à la différence de 2017. Une équipe dédiée préparait même un plan pour engager le bras de fer.
L’âge de la naïveté semblait derrière nous. Les revues savantes et les « bruxellologues » ne cessaient de répéter que « le moment européen » était venu et que « l’Europe était face à son destin ». Pris entre une administration états-unienne hostile et brutale et le danger de l’impérialisme russe, le Vieux Continent devait se lever comme un acteur géopolitique autonome. Pour cela, il fallait que l’Europe cessât de se considérer avant tout comme un marché et une simple zone économique.

Les négociations avec les États-Unis étaient l’occasion rêvée de poser la première pierre de cette évolution. En refusant de placer les intérêts des secteurs exportateurs au-dessus de ses intérêts politiques, l’UE pouvait engager un mouvement de transformation majeur : pour compenser les pertes sur le marché états-unien, on pouvait lancer des investissements communs autour d’un intérêt européen. C’était l’occasion d’investir vraiment et massivement dans l’outil productif du continent, de mettre sur pied une industrie de défense européenne qui réponde aux besoins de l’UE, de bâtir une technologie autonome et de soutenir la demande européenne, anémique.
La construction européenne aurait alors pris un nouveau chemin : celui d’une zone devant faire face à des défis considérables, existentiels, capables de penser une réponse dans l’intérêt de ses peuples. Autrement dit, c’était l’occasion de politiser cette guerre commerciale pour façonner cette fameuse « indépendance ». En cela, l’argument selon lequel « l’Europe ne pouvait pas se permettre une guerre commerciale » est fallacieux. C’eût été, au contraire, l’occasion de mettre à plat les limites actuelles de l’organisation européenne.
Des négociations dominées par la peur
En réalité, nul n’était prêt à prendre cette voie. Comme le remarque le Financial Times, c’était clair dès le mois d’avril 2025, lorsque l’UE, sous la menace de Trump, a abandonné la feuille de route préparée par l’équipe dédiée et a revu à la baisse ses éventuelles mesures de rétorsion. Pendant les semaines qui ont suivi, l’Union a tenté de discuter du poids de ses futures chaînes avec les États-Unis, face à une administration états-unienne qui est forte avec les faibles et faible avec les forts.
La comparaison avec l’attitude chinoise est frappante. Après le « jour de la libération », le 2 avril, Donald Trump a fait de la République populaire sa cible principale. Mais Pékin n’a pas cédé, chaque annonce de nouveaux droits de douane étant suivie d’une réplique chinoise, jusqu’à ce que les montants en vigueur n’aient plus de sens. La Chine a alors ciblé le talon d’Achille états-unien en limitant les exportations de terres rares, ces métaux indispensables aux technologies modernes qui sont principalement produites dans la République populaire.
La stratégie de fermeté n’a jamais été défendue par la Commission.
Rapidement, Donald Trump s’est retrouvé sous des pressions immenses : les marchés financiers s’inquiétaient de la rupture des relations commerciales avec Pékin, et les industriels, notamment dans la technologie, tremblaient. En mai, les deux pays décidaient de lever les droits de douane les plus élevés et les principales mesures de rétorsion.
Ironie du sort, les deux pays se sont mis d’accord ce week-end en Suède, selon le South China Morning Post, pour prolonger la trêve de quatre-vingt-dix jours. Et, en parallèle, le Financial Times a annoncé que Washington suspendait les restrictions aux exportations de technologie vers la Chine pour ne pas « nuire aux négociations en cours ».
Le cas chinois prouve que la fermeté paie avec Donald Trump. Ce dernier agit de fait comme un chef de bande dans une cour de récréation : il montre ses muscles pour extorquer ceux qui se laissent impressionner. Mais il sonne la retraite lorsqu’il faut réellement engager le combat. La Commission européenne n’a pas voulu prendre ce risque. Elle a eu peur d’emblée et c’est cette peur qui a mené au désastre de l’accord du 27 juillet.
Pourtant, l’UE avait les moyens de faire pression sur Washington. L’importance du marché européen pour les géants de la technologie et de la finance outre-Atlantique ouvrait la possibilité d’une riposte vigoureuse, qui aurait pu passer par la réglementation ou la taxation. La force de l’économie états-unienne, ce sont ses services et c’était sur ce point qu’il fallait frapper immédiatement pour peser sur les négociations.
Cette option, pompeusement baptisée « bazooka commercial », avait été évoquée dans les conseils européens, notamment par la France. Mais elle n’a jamais été crédible. D’abord parce que ceux qui la prônaient faisaient, en parallèle, en sorte d’échapper aux droits de douane pour certaines de leurs exportations. La France voulait la fermeté en public, alors qu’en coulisses, elle négociait pour retirer les spiritueux des mesures de rétorsion potentielles.
Ensuite, parce que cette stratégie n’a jamais été défendue par la Commission elle-même, qui s’est contentée d’une menace classique ciblant des importations de biens états-uniens. Enfin, parce que cette stratégie de la fermeté n’a jamais fait l’unanimité au sein de l’UE. Pour le camp Trump, cet étalage de faiblesse a été l’occasion de doubler la mise et de relever la menace de taxes douanières de 20 % à 30 %. La peur européenne se mue alors en terreur et ouvre la voie à la capitulation.
Mais si l’Europe a eu peur, c’est parce qu’elle est incapable de se projeter en dehors de son présent. Elle ne peut se concevoir autrement qu’en une puissance exportatrice dépendante de la protection géopolitique des États-Unis. On peut blâmer la Commission européenne et Ursula von der Leyen, mais on doit aussi saisir que sa stratégie correspondait au consensus minimum au sein des gouvernements de l’UE.
Ainsi, les pays d’Europe du Nord et de l’Est ne conçoivent pas leur défense indépendamment du soutien des États-Unis. Entrer en conflit avec Washington sur le plan commercial, c’était s’exposer à des mesures de représailles sur la défense qui, de leur point de vue, aurait directement montré leur vulnérabilité au regard de la Russie. Cette vision prouve qu’au sein même de l’UE, on ne croit guère à la possibilité d’une défense européenne crédible en dehors de l’alliance avec Washington. Payer des droits de douane de 15 % pour continuer de bénéficier de la protection états-unienne semblait un bon compromis pour ces pays.
Le PIB européen était jadis le premier du monde, il est désormais dépassé de plus de 9 000 milliards de dollars par les États-Unis et en passe d’être doublé par la Chine.
À ce groupe s’ajoute un autre : celui des États exportateurs – les Pays-Bas, l’Italie et l’Allemagne, notamment –, qui auraient été les plus touchés par une guerre commerciale. Dans ces pays, les secteurs exportateurs représentent un poids politique majeur. Or, pour eux, l’essentiel était de conserver un accès au marché états-unien : une taxe de 15 % pourra être compensée par des réductions des coûts et par des subventions ou des baisses d’impôts. Et peu importe si l’accord est asymétrique et ouvre le marché européen sans protection aux États-Unis par ailleurs.
Ce sont ces intérêts qui ont fait en sorte dans les années 1990 et 2000 que l’UE soit le « dindon » de la farce de la mondialisation et s’ouvre aux quatre vents. Ce sont eux qui, désormais, prônent la capitulation pour préserver leurs taux de profit. Il ne faudra pas s’étonner si une partie de ses exportateurs délocalisent vers les États-Unis pour venir vendre en Europe ensuite.
L’idéologie exportatrice, source de la faiblesse européenne
Cela nous amène à la principale faiblesse structurelle de l’UE, qui aurait pu être sa force : son excédent commercial. En 2024, l’excédent commercial européen en biens avec les États-Unis a atteint 197,5 milliards d’euros. En théorie, cet excédent aurait dû être un atout : il est la preuve que l’économie états-unienne a davantage besoin des produits européens que l’inverse. En coupant, avec des droits de douane gigantesques, l’accès à ces produits, l’administration Trump prenait le risque de déstabiliser son propre marché.
Mais par la magie de l’UE, cette force s’est changée en faiblesse. Alors que la croissance européenne est au point mort et que les Européens sont incapables d’envisager des alternatives, il est devenu crucial de préserver les exportations et cet excédent. Et pour ce faire, on est prêt à sacrifier le reste de l’économie.
En réalité, il n’y a là rien de nouveau. L’obsession de l’UE pour les exportations trahit une vision déformée de l’économie qui laisse sur le carreau la majeure partie des activités européennes. C’est une stratégie menée depuis des années par l’UE ; depuis la stratégie de Lisbonne dans les années 2000 jusqu’à cet accord de 2025, en passant par les politiques d’austérité des années 2010, la logique a toujours été de sacrifier la demande intérieure pour favoriser la « compétitivité » des exportations.
Le résultat a été désastreux. Le PIB européen était jadis le premier du monde, il est désormais dépassé de plus de 9 000 milliards de dollars par les États-Unis et en passe d’être surpassé par la Chine. Plus l’Europe préservait ses excédents commerciaux, plus son économie s’affaiblissait. Cette protection a fini par nuire aux exportateurs eux-mêmes, qui ont sous-investi dans leur outil de production. En dix ans, la part de l’UE dans les exportations mondiales est passée de 15,8 % à 14,5 %.
La logique économique européenne est un échec. Mais les dirigeants européens n’en connaissent pas d’autres et continuent de construire leurs politiques dans l’intérêt des groupes industriels exportateurs. C’est là la vraie entrave au développement d’une politique authentiquement européenne, c’est-à-dire favorable aux populations européennes.
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L’accord du 27 juillet trahit cette faiblesse fondamentale : obsédée par sa compétitivité extérieure, l’Europe est prête à oublier son intérêt général. Mais il ne faut pas s’y tromper : cette stratégie est le reflet de rapports de force sociaux. L’accumulation du capital est concentrée sur une poignée de secteurs, alors que le reste de la société doit s’ajuster avec des salaires faibles et une réduction de la protection sociale. Et ceux qui détiennent le pouvoir feront payer les effets de l’accord au reste de la société.
Déjà, le ministre français chargé du budget et des comptes publics, Laurent Saint-Martin, a prévenu dans un post de réaction à l’accord sur LinkedIn : « Il est urgent de renforcer la compétitivité européenne afin de continuer à gagner des parts de marché. »
L’histoire est écrite : la guerre commerciale est peut-être évitée, mais la guerre sociale, elle, n’en sera que renforcée. L’occasion de construire, enfin, une autre Europe a été décidément manquée. Mais, à la vérité, cette option n’a jamais été sérieusement envisagée par le consensus qui dirige l’UE et qui s’accroche, en dépit des échecs répétés, à maintenir un statu quo nécrosant pour le Vieux Continent.
BILLET DE BLOG 28 JUILLET 2025
Accord UE-Etats-Unis : un Munich économique au profit de l’extrême droite
Il y a de quoi être effaré. Bruxelles cède aux exigences léonines de D. Trump : claironnée sur tous les tons, « l’autonomie stratégique européenne » vient de voler en éclats, dévoilant à la fois une vacuité géostratégique, le refus idéologique de restreindre nos dépendances extérieures et, par ricochet, la faiblesse d’E. Macron et de la France à Bruxelles.
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Economiste, travaillant sur les politiques climatiques, commerciales et d’investissement
Abonné·e de Mediapart
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Le 10 avril dernier, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait affirmé « vouloir donner une chance aux négociations ». Moins de quatre mois plus tard, le verdict est sans appel : l’UE ne s’est donné aucune chance de résister au diktat de D. Trump, préférant céder plutôt que livrer bataille, capituler plutôt qu’ouvrir une voie alternative, accepter l’inacceptable plutôt que réduire nos dépendances extérieures et construire une véritable autonomie stratégique et politique.

En mode rapide, voici quelques commentaires :
1. Un accord léonin, brutal et asymétrique
Les termes de cet accord politique sont connus : des droits de douane de 15 % avec quelques exceptions (aéronautique, spiritueux, médicaments), dont une sur l’acier et l’aluminium taxés à 50 %, un marché européen qui doit s’ouvrir davantage aux produits US, un engagement de 600 Mds de $ d’investissements sur le sol US, l’achat de 750 Mds $ de gaz fossile US sur les 3 prochaines années, ainsi que l’acquisition d’une « grande quantité d’équipements militaires [américains] ».
En contrepartie de quoi ? De la promesse de l’UE de ne pas engager de rétorsions commerciales. C’est un accord totalement asymétrique, au seul bénéfice politique de D. Trump. Pour le justifier, U. Von der Leyen et les défenseurs de cet accord affirment que c’est en échange de la « stabilité », de l’absence de « guerre commerciale » et de la possibilité laissée aux entreprises UE de continuer à exporter sur le sol US : de quelle « stabilité » parle-t-on quand les droits de douane sont multipliés par 7 en 6 moisi, et quand il n’y a aucune garantie que D. Trump, fort de ce premier succès politique, ne revienne rapidement à la charge ?
2. Le prix de notre dépendance aux exportations
Pour ne pas fermer le marché US aux entreprises multinationales européennes, Ursula Von der Leyen accepte, en notre nom, nous les 450 millions d’Européennes et Européens, de financer au prix cher les choix économiques de D. Trump, à savoir réduire les impôts des plus riches américains et rapatrier sur le sol US des activités économiques et industrielles. Si cet accord devait être validé par les instances européennes, ce serait l’une des plus grandes extorsions économiques librement consentie de l’Histoire.
Il faut rappeler ici que, loin de l’image que l’on s’en fait habituellement, l’économie étasunienne est moins dépendante des marchés mondiaux pour son approvisionnement et ses débouchés que d’autres régions du monde. Si l’UE importe et exporte pour l’équivalent de 22% et 23% du PIB européen (respectivement 1,8 et 2,8 % avec les Etats-Unis), et si ces chiffres sont de 18% et 20% pour la Chine, ils ne sont que de 14% et 11% pour les États-Unis. S’il en découle un déficit commercial de l’équivalent de 3% du PIB, l’économie américaine est néanmoins moins sensible aux augmentations des droits de douane que les deux autres puissances économiques mondiales.
En revanche, notre dépendance économique aux exportations nous coûte cher : pour que LVMH et Volkswagen continuent à exporter aux US, l’UE va de fait devoir s’acquitter d’une taxe exorbitante qui va peser sur l’économie européenne. Le refus de la Commission européenne de profiter de l’occasion pour réduire notre exposition aux marchés mondiaux est économiquement et politiquement coûteux à court terme, mais aussi à long terme : nombreuses sont les entreprises qui seront ainsi financièrement incitées à localiser leurs activités directement aux US.
3. Un espoir vain : une nouvelle ère, pas une parenthèse
Depuis l’élection de D. Trump, la Commission européennes et de nombreux Etats européens font comme si l’élection de D. Trump n’était qu’un mauvais moment et qu’il fallait laisser la tempête passer pour envisager un « retour à la normale ». Ainsi, depuis des mois, Bruxelles cède devant Trump, tant sur la taxation des GAFAM que sur l’impôt minimum mondial dont les multinationales US ont été exonérées avec l’assentiment européen. Il ne faut pas braquer « Trump » ont-ils dit pour tempérer les velléités de rétorsions commerciales et enterrer toute possibilité de construction d’un rapport de force. C’est manifestement une stratégie économiquement et politiquement perdante.
De plus, il n’y aura pas de retour à la normale. « L’âge d’or de la mondialisation », période où les échanges croissaient plus vite que la production, n’est plus. A l’heure où Donald Trump a décidé, au nom de la « sécurité nationale », de s’affirmer comme seule super-puissance internationale désireuse de redéfinir les règles et les contours de la mondialisation à l’avantage de l’économie UE, tout retour en arrière paraît impossible. Nul ne sait si la Maison Blanche parviendra à ses fins, mais les contours de la mondialisation ont définitivement changé. Seul Bruxelles pense le contraire, refusant d’envisager une voie alternative.
4. Une victoire politique pour les extrêmes-droites
Cet accord Trump-Von der Leyen est clairement une victoire politique pour D. Trump qui obtient de l’UE qu’elle s’aligne sur ses desiderata. Mais c’est aussi une victoire pour les extrêmes-droites en Europe : alors que Bruxelles disait que l’accord US-Royaume-Uni (10 % de droits de douanes) était un mauvais accord et que l’UE en obtiendrait un bien meilleur, cette dernière va devoir ramer pour en faire la démonstration.
Quand tous les discours sur l’autonomie stratégique européenne, l’Europe puissance, la réindustrialisation européenne s’effondrent comme un château de cartes au premier souffle, il fait peu de doutes que ce n’est pas la construction européenne, pas plus que les gauches, qui devraient tirer profit d’une telle reddition : capituler face à Trump pour sauver, quoiqu’il en coûte, les parts de marché de quelques multinationales européennes, c’est lui donner le point et, à travers lui, donner le point aux extrêmes-droites qui en font un exemple à suivre.
5. Un accord qui saborde la politique climatique européenne
Entériner l’achat de 750 Mds $ de gaz naturel liquéfié aux Etats-Unis, au nom de la réduction des importations européennes de gaz russe, a plusieurs implications :
- cela revient à renoncer à réduire nos importations globales de gaz, et à remplacer une dépendance par un autre ;
- cela revient à entériner qu’il faille continuer à investir des dizaines de milliards d’euros dans des infrastructures permettant de réceptionner du GNL dans les ports européens ;
- cela revient à confier à Washington une part de la politique énergétique européenne, comme nous l’avons fait auparavant avec Moscou ;
- cela revient à s’asseoir sur la politique climatique européenne alors qu’il faudrait drastiquement réduire nos besoins en énergies fossiles ;
6. « Un accord hors-la loi » ?
Ce point est peu commenté. A ce stade, l’accord n’est qu’une vague communication conjointe entre D. Trump et U. Von der Leyen. En aucun cas un accord international. A ce stade, cet accord n’a pas d’existence légale. Pire, à l’échelle européenne, la Commission européenne n’a pas de mandat en bonne et due forme pour négocier avec les Etats-Unis : il n’y a pas de décision fondant la base légale avec laquelle la Commission peut négocier avec des pays tiers au nom des 27 Etats-membres. Hallucinant, qui plus est alors que 80 % des Européens réclament des rétorsions commerciales envers les Etats-Unis (Eurobaromètre 2025).

Quant aux annonces qui sont faites, elles sont manifestement contraires au droit de l’OMC (droits de douane différenciés entre les pays, non réciprocité etc). Alors que l’UE ne cesse d’affirmer depuis des années qu’elle veut se situer dans le cadre commercial de l’OMC, par l’annonce de cet accord, Ursula Von der Leyen désobéit aux règles de l’OMC. Si les règles de l’OMC ne sont plus une contrainte, alors il est possible de revoir des pans entiers de la politique commerciale européenne. Ce serait plus pertinent que se soumettre aux diktats de D. Trump.
Conclusion : que pèsent et que font E. Macron et le gouvernement ?
Il y a des jours qui comptent. Des jours qui révèlent ce qui se cache derrière les discours grandiloquents et qui éparpillent façon puzzle les faux semblants d’une communication de façade. Ce dimanche 27 juillet en est un. Un jour qui va compter dans la jeune histoire de la construction européenne. Un jour qui met en lumière l’impuissance politique de l’UE à l’échelle internationale. Un jour qui illustre aussi la faiblesse politique d’E. Macron et de la France à Bruxelles. En six mois, Ursula Von der Leyen a conclu l’accord UE-Mercosur et cet accord avec Trump. Les deux contre l’avis de Paris. Que font Emmanuel Macron et le gouvernement ? Des tweets.
iPondéré par les échanges commerciaux, le tarif douanier américain préexistant à l’élection de D. Trump sur les importations en provenance de l’UE n’était que de 1,6 %.
Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil, 2015) et co-auteur de « Un pognon de dingue mais pour qui ? L’argent magique de la pandémie » (Seuil, 2022).
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Droits de douane : François Bayrou dénonce une « soumission » après l’accord commercial entre Donald Trump et Ursula von der Leyen
La présidente de la Commission européenne et le président des Etats-Unis ont annoncé, dimanche 27 juillet, avoir conclu un accord imposant 15 % de taxes sur la plupart des produits européens importés aux Etats-Unis. Cet accord a suscité de vives protestations en France.
François Bayrou, a dénoncé, lundi 28 juillet, un « jour sombre » après l’accord commercial entre les Etats-Unis et l’Union européenne (UE) établissant à 15 % les droits de douane américains sur les produits européens. « C’est un jour sombre que celui où une alliance de peuples libres, rassemblés pour affirmer leurs valeurs et défendre leurs intérêts, se résout à la soumission », a écrit le premier ministre français sur le réseau social X.
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Les Etats-Unis et l’UE sont parvenus à un accord commercial prévoyant des droits de douane de 15 % sur les exportations européennes à l’issue d’une rencontre entre le président américain, Donald Trump, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à Turnberry, en Ecosse. L’UE s’est également engagée à 750 milliards de dollars (638 milliards d’euros) d’achats d’énergie sur trois ans et à investir 600 milliards de dollars (515 milliards d’euros) supplémentaires aux Etats-Unis.
Lundi matin, le ministre délégué chargé de l’Europe, Benjamin Haddad, avait déjà déploré un accord « déséquilibré », qui apportera néanmoins « une stabilité temporaire aux acteurs économiques menacés par l’escalade douanière américaine », a-t-il écrit sur X. Il a cependant mis en garde contre le risque d’un « décrochage » des Européens si ces derniers « ne se réveillent pas » face à des Etats-Unis qui font « le choix de la coercition économique et du mépris complet des règles de l’Organisation mondiale du commerce ».
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Interrogé sur France Inter le ministre délégué au commerce extérieur français, Laurent Saint-Martin, a, lui, appelé à un« rééquilibrage ». « Moi, je ne veux pas qu’on s’arrête à ce qui s’est passé hier [dimanche]. Ce serait effectivement assumer que l’Europe n’est pas une puissance économique », a-t-il prévenu. « Est-ce que l’Union européenne est une force ? Si on veut que la réponse soit oui, alors la messe ne doit pas être dite », a conclu le ministre.
« Le produit d’une faiblesse politique et morale »
Ursula von der Leyen a néamoins trouvé du soutien auprès de Stéphane Séjourné, vice-président exécutif à la prospérité et la stratégie industrielle de la Commission. « La protection des intérêts européens a été la seule boussole d’Ursula von der Leyen. (…) L’accord permet d’éviter une guerre commerciale dont les conséquences économiques auraient été désastreuses », a réagi l’ancien ministre de l’Europe du gouvernement de Gabriel Attal.
Du côté des oppositions, la tonalité est, en revanche, largement à la condamnation. Sur X, le président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, a ainsi dénoncé un « accord de la honte ». « Ursula von der Leyen a accepté hier la reddition commerciale de l’Europe (…). Ce matin, la gêne des macronistes, le silence sidéral des Républicains en disent long sur l’humiliation imposée par une présidente de la Commission qu’ils ont obstinément soutenue », a-t-il écrit, avant de fustiger une « Europe de la capitulation ».
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Dimanche, plusieurs représentants « insoumis » avaient aussi réagi. Manuel Bompard, le coordinateur national du parti, avait sobrement écrit, sur X : « Quelle honte. » Jean-Luc Mélenchon, pour sa part, avait dit, sur la même plateforme : « Tout a été cédé à Trump avec le droit de changer les règles du jeu établies en soixante-quinze ans de relations bilatérales. Droits de douane, obligation d’achat, taxe de 5 % sur le PIB : le libéralisme, la concurrence libre et non faussée et autres règles du traité de Lisbonne sont une mauvaise blague. »
Le premier secrétaire du Parti socialiste a, lui aussi, dénoncé cet accord. « Il donne le point à Trump en se soumettant à ses conditions et démontre qu’une fois encore les Européens privilégient leurs intérêts nationaux à toute logique européenne », a posté Olivier Faure sur X. Quant au député européen Place publique Raphael Glucksmann, il a déclaré :« Ce deal perdant avec Trump est le produit d’une faiblesse politique et morale désespérante. »
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Réunion mercredi à Bercy
Le Medef, première organisation patronale française, a appelé lundi l’UE à renforcer sa puissance économique, estimant que l’Europe ne pouvait pas « être la variable d’ajustement » des politiques commerciales américaine et chinoise dans une réaction écrite transmise à l’Agence France-Presse (AFP). La CPME, deuxième organisation patronale, a pour sa part estimé que l’accord apportait « une forme de visibilité » aux entreprises, mais qu’il aurait « des répercussions désastreuses pour les PME, qu’elle représente.
Le ministre de l’économie, Eric Lombard, et celui des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, réuniront mercredi à Bercy « les filières économiques » pour évoquer « les conséquences » de l’accord, a annoncé le ministère de l’économie lundi à l’AFP. La réunion, qui se tiendra en début d’après-midi, rassemblera les organisations patronales ainsi que les fédérations représentant les filières industrielles « impactées par les droits de douane américains », a précisé le ministère dans un communiqué. « Lors de cette réunion, les ministres aborderont avec les représentants des secteurs économiques les conséquences de l’accord USA-UE sur les différentes filières ainsi que la suite des négociations sur l’application des droits de douane. »
Le Monde avec AF
L’accord UE – États-Unis brade les ambitions climatiques européennes
L’Europe s’est engagée à acheter pour 750 milliards de dollars de « produits énergétiques » aux États-Unis dans le cadre des négociations sur les droits de douane. Mais cette promesse est irréaliste et dévoile à quel point Bruxelles fait fi de l’urgence climatique.
29 juillet 2025 à 15h43
29 juillet 2025 à 15h43
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a conclu dimanche 27 juillet un accord commercial avec le président américain, Donald Trump, imposant 15 % de taxes sur la plupart des produits européens importés aux États-Unis. Cet engagement inclut notamment l’achat par l’Union européenne (UE) de « produits énergétiques » – principalement du pétrole, du gaz naturel liquéfié (GNL) et des combustibles nucléaires – auprès de son partenaire américain pour une valeur de 750 milliards de dollars sur trois ans.
Ursula von der Leyen argue que cet accord permettrait de définitivement sevrer à l’horizon 2028 l’UE de ses approvisionnements énergétiques russes. Mais cette promesse est en dehors de toute réalité industrielle et économique.
Comme l’explique à Mediapart Patrice Geoffron, professeur d’économie à Paris-Dauphine et directeur du Centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières : « Grosso modo, l’UE importe chaque année pour environ 400 milliards de dollars de produits énergétiques, dont 70 milliards de dollars en provenance des États-Unis – composés de deux tiers de pétrole, et d’un tiers de gaz. »
En d’autres termes, pour atteindre les 250 milliards de dollars annuels comme s’est engagée l’UE, il faudrait quasiment « multiplier par quatre » les importations américaines, précise le chercheur. Sachant que les États-Unis sont déjà le premier fournisseur de GNL et de pétrole de l’UE.

Ainsi, soit l’industrie pétrogazière états-unienne devra produire beaucoup plus, soit elle devra vendre à l’UE son pétrole et son gaz beaucoup plus cher. « Dans les deux cas, c’est matériellement ou économiquement intenable », estime Patrice Geoffron.
Par ailleurs, selon l’Agence d’information sur l’énergie, les États-Unis exportent à travers le globe environ 30 milliards de dollars de marchandises énergétiques par mois. « Cela voudrait dire que les trois prochaines années, plus des deux tiers des exportations énergétiques américaines iraient uniquement vers l’UE, cela ne fait aucun sens ! », indique de son côté Bastien Cuq, responsable énergie au Réseau Action Climat.
Une demande gazière en baisse
Cet accord portant sur 750 milliards de dollars d’achats énergétiques va également à l’encontre de la demande du marché européen. En effet, à la suite de la crise énergétique enclenchée par la guerre en Ukraine, l’UE est parvenue à réduire sa consommation de gaz de 15,6 % entre mi-2024 et mi-2025, par rapport à sa consommation annuelle moyenne entre 2017 et 2022, notamment grâce au déploiement des énergies renouvelables.
Selon le groupe de réflexion indépendant Institute for Energy Economics and Financial Analysis, les importations européennes de gaz pourraient même baisser de 25 % d’ici à 2030.
Un piège tendu par Washington
Peut-on s’engager sur des objectifs qui ne dépendent pas de nous ? Lundi 28 juillet, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a affirmé qu’elle ne pouvait pas « garantir » les 600 milliards de dollars d’investissements supplémentaires aux États-Unis compris dans l’accord commercial signé avec les États-Unis, puisque ces décisions dépendent d’acteurs privés. On pourrait, d’ailleurs, dire la même chose des dépenses liées aux « produits énergétiques ».
En réalité, les choses sont plus complexes. D’abord, parce que les États membres et l’UE ont évidemment des moyens de pression sur les acteurs privés quant à leurs choix d’investissement. Ensuite, parce que ces chiffres astronomiques compris dans l’accord seront une aubaine pour l’administration Trump et l’occasion de faire à nouveau pression sur l’UE. Car, puisque l’UE s’est engagée sur ces objectifs, Washington pourra se prévaloir de leur non-respect pour demander de nouvelles concessions, notamment sur les droits de douane. Ces objectifs difficilement réalisables apparaissent comme un piège.
Romaric Godin
Toutefois, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a surtout conclu un accord fossile à contre-courant de l’urgence climatique. Et ce, alors que l’Europe est le continent qui se réchauffe le plus au monde, et qu’il a enregistré en 2024 son année la plus chaude jamais mesurée.
Lancé fin 2019 par Ursula von der Leyen, le Pacte vert (ou Green Deal) a pour ambition de réduire d’ici à 2030 de 55 % les émissions de gaz à effet de serre de l’UE, par rapport aux niveaux de 1990, et de faire du continent le premier de la planète à atteindre la neutralité carbone en 2050.
Cette feuille de route climatique européenne donne depuis 2023 de sérieux signes d’essoufflement.
Et au Parlement de Strasbourg, la droite alliée à l’extrême droite parlementaire ambitionne clairement de détricoter le plan climat des vingt-sept États membres.
Signer un accord commercial illusoire avec Washington imposant d’importer plus d’énergies fossiles états-uniennes démontre à quel point la présidente de la Commission européenne a décidé de brader les ambitions climatiques de l’UE, malgré ses promesses d’un nouvel objectif visant à réduire de 90 % les émissions européennes en 2040.
Le GNL consommé par les Européens et Européennes est de surcroît particulièrement néfaste pour le climat. Sa production et son transport émettent des volumes importants de méthane, un gaz à effet de serre qui a un potentiel de réchauffement 84 fois plus important que le CO2 sur une période de vingt ans. Le GNL pourrait ainsi être au moins aussi nocif pour la surchauffe planétaire que le charbon.
Pis, le GNL produit par les États-Unis était en 2023 à 78 % issu de gaz de schiste, dont l’extraction est désastreuse pour les écosystèmes, notamment les nappes phréatiques. Son exploitation est interdite dans nombre de pays européens, dont la France depuis 2011.
Aveuglement écologique
« Ce deal ne va pas de suite freiner nos objectifs de décarbonation, puisque la production d’énergies renouvelables reste très rentable et le coût de l’électricité verte est notablement bas, tempère Bastien Cuq. Mais c’est un signal politique désastreux, qui souligne comment l’Europe reste profondément dépendante aux énergies fossiles. » Deux tiers de l’énergie consommée dans l’Union européenne sont encore aujourd’hui d’origine fossile.
« Cela permet surtout à Washington de maintenir le récit trumpien de l’Amérique qui triomphe. Côté UE, Ursula von der Leyen sait très bien que de toute façon cette annonce tonitruante sera irréalisable. Selon moi, c’est du décorum pour valoriser l’accord autour du droit de douane global de 15 % », analyse pour sa part Patrice Geoffron.
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28 juillet 2025
En novembre 2024, Ursula von der Leyen avait déjà proposé à Donald Trump, avant même qu’il soit élu, que les États-Unis fournissent à l’UE plus de GNL. « Nous recevons encore beaucoup de GNL de Russie alors pourquoi ne pas le remplacer par du GNL américain, qui est moins cher pour nous et fait baisser nos prix de l’énergie ? », s’était alors interrogée la présidente de la Commission européenne.
« Cette annonce s’inscrivait dans un contexte où von der Leyen commençait à parler de plus en plus de souveraineté énergétique européenne non plus comme une forme d’autonomie stratégique, mais comme une diversification des approvisionnements. Avec cet accord signé dimanche, la dépendance de l’Europe aux États-Unis serait unilatérale, se désole Marie Toussaint, eurodéputée et vice-présidente du groupe écologiste au Parlement européen.
Et de conclure : « La vassalisation de l’Europe est inscrite dans son aveuglement écologique. Ainsi va l’Europe libérale : elle a toujours besoin de se trouver de nouveaux maîtres, un jour soumise au gaz russe, le lendemain aux fossiles américains. »