Bellegarde-en-Marche: chaque semaine, un binôme de médecin volontaire se passe le relais.

Des « Médecins solidaires » se déploient dans la Creuse pour assurer un accès aux soins

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Dans la salle d’attente du centre de santé de Bellegarde-en-Marche, seuls les visages des patients sont familiers, pas ceux des médecins. Ici, l’accès aux soins repose sur l’association Médecins solidaires. Chaque semaine, un binôme volontaire se passe le relais. Le système, présenté comme un filet de sécurité à la désertification médicale en milieu rural, a influencé la mission de solidarité des médecins récemment proposée par le gouvernement.

Bastien Doudaine (Photos et textes)

23 juillet 2025 à 11h47 https://www.mediapart.fr/studio/portfolios/des-medecins-solidaires-se-deploient-dans-la-creuse-pour-assurer-un-acces-aux-soins?utm_source=quotidienne-20250727-181649&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-%5BQUOTIDIENNE%5D-quotidienne-20250727-181649&M_BT=115359655566

Illustration 1© Bastien Doudaine

Saint-Alpinien (Creuse), février 2025. Le docteur Dominique Mazingarbe, médecin généraliste récemment retraité, continue d’exercer. Il raconte ne pas réussir à s’arrêter totalement, surtout « quand on voit la misère de la santé en France ». Maire d’une petite commune rurale ardéchoise, il a connu Médecins solidaires* par l’intermédiaire du mouvement de dynamisation rurale Bouge ton coq, et il n’a pas hésité longtemps à être volontaire, comme près de 800 médecins.

* Après la publication de ce portfolio, Mediapart a été alerté sur le fait que l’association a bénéficié d’un financement de la « Nuit du bien commun », une structure du milliardaired’extrême droite Pierre‐Édouard Stérin. Elle figure en effet parmi les lauréats de la 8e édition, comme le signale également le rapport financier de la structure.

Illustration 2© Bastien Doudaine Saint-Alpinien, février 2025. Le cabinet où étaient suivis M. et Mme Denhaut, à Aubusson, a fermé brutalement il y a plusieurs mois. Leur médecin a été contraint de s’arrêter pour cause de maladie grave, laissant près de 3 000 patient·es sans solutions. Le centre Médecins solidaires reprend certains dossiers, et se déplace à domicile pour les plus fragiles. À chaque visite, c’est un nouveau médecin qui porte un regard sur leur santé.

MIllustration 3© Bastien Doudaine. M. D’en haut, agriculteur, a besoin d’un suivi particulier pour son diabète, et Mme Denhaut, agricultrice, a d’importants troubles de la mémoire. Pour Colette, la fille de ce couple désormais retraité, retrouver un médecin était impératif. Dominique Mazingarbe se déplace avec plaisir, nostalgique d’une époque où les visites représentaient plus de la moitié de l’activité des généralistes, pour adapter les traitements et discuter des solutions possibles « au plus proche des conditions de vie » de leurs patient·es.

Illustration 4© Bastien Doudaine

Le modèle de Médecins solidaires a semble-t-il inspiré Yannick Neuder, le ministre de la santé, pour sa mission de solidarité obligatoire qui doit débuter en septembre avec des volontaires, dans un premier temps. Ainsi, la communauté de communes Marche et Combraille, en Aquitaine, fait partie des 151 intercommunalités référencées comme zones rouges à l’issue de l’analyse de l’offre et des besoins de santé sur ces territoires. La zone est toujours considérée comme déficitaire, malgré la présence hebdomadaire de deux médecins solidaires.

Illustration 5© Bastien Doudaine. Bellegarde-en-Marche (Creuse), février 2025. Le centre de Bellegarde compte trois assistantes médicales. Seules salariées sédentaires avec une infirmière de l’association Asalée, elles en sont le visage et en assurent la continuité. Elles ont vu passer près de 200 médecins en deux ans, dont chacun·e a sa photo sur le mur ! Initialement, elles se chargeaient aussi des préconsultations. Ce n’est plus possible aujourd’hui : « On a dépassé les 2 500 patients pour qui on est médecin référent, raconte Emmanuelle, et on doit s’occuper de tout pour assurer le relais entre les médecins. »

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Une demi-heure de voiture sépare le domicile de Mme Jean du centre de soins. C’est la deuxième fois de la semaine qu’elle y conduit son fils, fébrile. Elle s’interroge : « Pourquoi les médecins ne veulent pas venir chez nous ? On est des bouseux ? » Dans la Creuse, l’accès aux soins est une histoire de temps de trajet qui ne finit pas de s’allonger et de décourager celles et ceux qui n’ont pas de symptômes invalidants.

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« Voir des médecins différents ça ne me dérange pas du tout. Au contraire ! »,confie Mado, 79 ans, inquiète du changement de valve cardiaque qu’elle doit subir. Cette fois, elle fait la connaissance de Marine Perrot, l’autre médecin de la semaine. Elle est ravie :« On a fait le tour et elle m’a gardée trente-cinq minutes. » À en croire certains médecins, les patient·es seraient même plus enclin·es à se confier sur des histoires traumatiques comme les violences intrafamiliales ou sexuelles.

Agrandir l’image : Illustration 8© Bastien Doudaine. Bellegarde-en-Marche, février 2025.Marine Perrot a connu Médecins solidaires car elle a de « bonnes copines […] à fond dans le projet ». En réflexion sur son avenir professionnel, elle a été attirée par la flexibilité de ce dispositif qu’elle trouve très intéressant. Son conjoint a pu la suivre et télétravailler. Le volontariat est essentiel pour le Dr Martial Jardel, fondateur du mouvement, qui se dit « fier de pouvoir inspirer une nouvelle politique publique qui pourrait être décisive, à condition d’être bien conduite », dans l’attente et la vigilance par rapport aux conditions d’exercice proposées aux médecins pour la mission dite de solidarité.

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Camille Deschamps est l’autre visage du centre de Bellegarde. Infirmière Asalée, formée à l’éducation thérapeutique, elle accompagne les personnes atteintes de maladies chroniques comme le diabète mais aussi de troubles mnésiques ou psychiques. Elle est confrontée à la « misère sociale, l’isolement géographique et une population vieillissante ». Alors elle s’adapte « à leurs besoins », tout « en jouant collectif même si les médecins sont tous différents ».

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Bellegarde-en-Marche, février 2025.Retraité depuis le 30 juin 2022, Jean-François Brousse est l’ancien médecin du village. Après une carrière à un rythme effréné, il a essayé d’anticiper sa retraite : « J’en avais parlé aux deux communes, qui se sont associées pour monter un centre de santé. »« On avait trouvé un médecin algérien, un type très bien, très bon médecin. » Originaire de l’extérieur de l’Union européenne, il n’a pas pu s’installer et personne d’autre n’était motivé malgré le projet de centre de santé.

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Bellegarde-en-Marche est un petit bourg, littéralement englobé par la commune voisine de Saint-Silvain-Bellegarde. Comme ailleurs dans la Creuse, la population de 600 personnes décroit progressivement. Les spécialistes ont presque toutes et tous déserté l’hôpital local d’Aubusson, la petite ville voisine. Ils consultent désormais à Guéret ou La Souterraine, voire au CHU de Clermont-Ferrand, dans le Puy-de-Dôme, à une heure et demie de route.

MAgrandir l’image : Illustration 12© Bastien Doudaine. Ouvrir le centre de santé était une priorité et « d’abord une initiative populaire », raconte Jean-Pierre Bonnaud, maire de Bellegarde-en-Marche. « À l’époque, le vent qui soufflait, c’était de salarier des médecins. » Personne n’est venu. C’est l’ouverture du centre Médecins solidaires d’Ajain, un autre village creusois, qui a permis le choix de cette solution inhabituelle, censée être temporaire jusqu’à l’installation d’autres professionnel·les.

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Bellegarde-en-Marche, mai 2025. Erwan Pedel est l’infirmier libéral du village. Lui et ses deux collègues, Stéphanie Colman et Nadège Laurenson, travaillent main dans la main avec les assistantes du centre de santé Médecins solidaires, mais ils ont moins de lien avec les médecins. « Le Dr Brousse était dispo à des heures très larges. Les week-ends, c’est orientation vers les urgences, point barre. »

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Erwan connaît tout le monde : « La Creuse, c’est un grand village », dit-il. Son secteur est assez étendu, il ne fait pas moins de 220 kilomètres chaque jour pour se rendre aux domiciles de ses patient·es. « Moi, si je pfais ce métier-là, c’est parce que j’aime bien discuter avec les gens. » Il confie aussi qu’il a de moins en moins de temps pour cela, tant la charge de travail a augmenté ces dernières années.

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Erwan passe tous les jours voir Mme Dumas, la pharmacienne. L’installation de deux médecins solidaires n’empêchera pas la fermeture prochaine de l’officine du village. « C’est dommage. Il y a les médecins et des infirmiers, et moi je vais devoir retirer un barreau de l’échelle ! » Même pour « 1 euro symbolique », elle ne trouve aucun repreneur alors que son officine fonctionne bien.

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Sortie il y a un peu plus d’un mois de la maternité, Laure a reçu la visite de l’infirmier ou des infirmières tous les jours pour les soins de sa cicatrice. « Les soins ont beaucoup changé ces dernières années. On a beaucoup de post-op [soins post-opératoires – ndlr] qu’on n’avait pas avant. […] Ça ne se limite pas aux prises de sang, bobologie et distribution de médicaments. » En cas de problème, Erwan et les infirmières sont en première ligne pour expliquer l’évolution des patient·es aux médecins, qui ne connaissent pas l’antériorité exacte des pathologies, malgré un dossier médical bien tenu.

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Comme le centre médical, Erwan, Stéphanie et Nadège sont en tension constante. « Il y a quatre ans, on avait trente patients par jour. Maintenant trente par jour, c’est les vacances ! On est plus à quarante, quarante-cinq. On a par exemple des sorties d’hôpital plus rapides… On a trop de patients pour s’en sortir à trois mais pas assez pour passer à quatre. » Et financièrement aussi, ça se complique :« Nous, c’est le gazole surtout, nos revenus baissent d’année en année. »

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Saint-Domet (Creuse), mai 2025. M. Devalle, atteint d’un cancer avec métastases cérébrales, assure que son dossier est bien suivi par Erwan et les médecins solidaires. Il apprécie leur « œil extérieur », le fait qu’ils puissent « être attentifs à des choses auxquelles un médecin de famille ne le serait pas spécialement ». Il se dit bien soigné, avec « la dernière génération de radiothérapie » « Est-ce que j’aurais eu mieux à Paris ? Sans l’avoir appris, je n’aurais pas eu le côté humain que j’ai ici. »

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Lupersat (Creuse), mai 2025. Les interrogations persistent sur la continuité des soins psychiques avec des médecins tournants : comment assurer une continuité en ne connaissant pas l’histoire et le contexte de vie, la famille des gens ? Erwan Pedel et ses collègues viennent quotidiennement à la rencontre de Frédéric P., d’abord pour l’accompagner dans la prise de son traitement et assurer un soutien après une période difficile. Lui est suivi par un autre médecin du secteur.

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Champagnat (Creuse), mai 2025.

Beaucoup plus nombreux et nombreuses et mieux réparti·es sur les territoires que les médecins, les 560 000 infirmières et infirmiers sont au plus proche de la population. Face aux évolutions de la démographie médicale et pour répondre aux besoins de soins grandissants en France, notamment en campagne, l’élargissement de leurs compétences fait partie des pistes pour l’amélioration de l’accès aux soins. Erwan dit que « [s]on métier [lui] plaît comme ça », mais il veut témoigner de son quotidien pour tenir sur le long terme.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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