GReconnaissance de la Palestine : pour Hubert Védrine, « il devenait déshonorant de ne rien faire »
L’ancien conseiller diplomatique de François Mitterrand et ancien ministre des affaires étrangères de Jacques Chirac salue, dans un entretien au « Monde », la décision d’Emmanuel Macron. La France, dit-il, se devait d’agir face à la tragédie humanitaire qui se déroule à Gaza.

Emmanuel Macron a annoncé, jeudi 24 juillet, que la France allait reconnaître l’Etat de Palestine en septembre, lors de l’Assemblée générale des Nations unies (ONU), à New York. Le chef de l’Etat espère ainsi « apporter une contribution décisive à la paix au Proche-Orient », alors que la souffrance de la population civile dans la bande de Gaza n’en finit pas d’atteindre des niveaux paroxystiques.
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Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères sous Jacques Chirac, qui fut aussi le conseiller diplomatique de François Mitterrand, soutient la décision de l’actuel locataire de l’Elysée. Face à ceux qui critiquent le geste d’Emmanuel Macron, il interroge, dans un entretien au Monde : « En quoi aurait-il été utile de ne rien faire ? » Et il assure que « c’est l’Israël de Nétanyahou qui (…) est de plus en plus isolé, pas la France ».
Emmanuel Macron s’est engagé à reconnaître l’Etat palestinien, mais Gaza est détruite et le pouvoir israélien a tourné la page de la solution à deux Etats. Le président de la République n’arrive-t-il pas trop tard ?
Compte tenu de la situation abominable à Gaza, et de l’absence de perspectives, il devenait déshonorant de ne rien faire. On ne peut plus s’en tenir à des lamentations face à la famine comme arme de guerre. Cette reconnaissance de l’Etat palestinien aura une grande dimension morale, mais aussi politique.
Maintenant, personne ne découvre la position de Benyamin Nétanyahou : il a toujours dit qu’avec lui il n’y aurait jamais d’Etat palestinien. Et ses alliés, Bezalel Smotrich [le ministre des finances, à la tête du Parti sioniste religieux] ou Itamar Ben Gvir [ministre de la sécurité nationale et dirigeant du mouvement Force juive], raisonnent comme les Américains dans les guerres indiennes du XIXe siècle. A ceux qui s’interrogent, sincèrement ou non, sur l’utilité de cette démarche, je pose la question : en quoi aurait-il été utile de ne rien faire ?

Emmanuel Macron avait initialement posé des conditions à la reconnaissance de l’Etat de Palestine, comme celle d’obtenir des pays arabes une normalisation de leurs relations avec Israël. Or, ces conditions ne sont pas remplies…
Il serait préférable qu’il y ait une coordination entre la France et l’Arabie saoudite à même de jouer un rôle-clé par la suite. Les dirigeants arabes souhaiteraient faire un pas vers Israël. Mais le faire maintenant est impossible à assumer devant leurs populations, révulsées par ce qui se passe à Gaza, même pour celles qui rejettent les Frères musulmans. Mais, d’ici à septembre, Paris réussira peut-être à mettre Riyad et d’autres capitales de la région dans l’initiative pour que cette décision entraîne quelque chose.
Que faudrait-il faire ?
Eviter que cette reconnaissance soit perçue comme opposée à une relance des accords d’Abraham, sinon elle sera sans suite. Par ces accords [de paix conclus en 2020 entre Israël et les Emirats arabes unis et Israël et Bahreïn], Benyamin Nétanyahou avait cru enterrer définitivement la question palestinienne. Or elle est à nouveau centrale.
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Si Donald Trump veut les relancer pour normaliser les relations entre l’Etat hébreu et l’Arabie saoudite, Riyad ne pourra suivre que si sa démarche est compensée par une initiative politique qui redonne une perspective et un peu d’espérance aux Palestiniens. Une solution innovante pourrait être de faire d’une Autorité palestinienne radicalement nouvelle, dotée de gros moyens financiers, et archisécurisée contre le Hamas, un partenaire de ces accords.
La France plaide pour le désarmement du Hamas. Est-ce réaliste à moyen terme ?
Tous les Israéliens le demandent, même les moins extrémistes. Mais comment y parvenir ? Après 60 000 morts dans la bande de Gaza et des milliers de kilomètres de tunnels détruits, l’armée de l’Etat hébreu n’est pas complètement venue à bout des groupes armés du Hamas ! Comment voulez-vous qu’une Autorité palestinienne à bout de souffle, systématiquement affaiblie par le gouvernement israélien, y arrive ?
La seule chose qui mettrait le Hamas sur la défensive et le neutraliserait, ce serait une Autorité palestinienne radicalement nouvelle et relégitimée avec des leaders qu’il faudra peut-être aller chercher à l’extérieur ou parmi les Palestiniens prisonniers en Israël.
Reconnaître la Palestine, sans reconnaître ses frontières, sa capitale, ni prendre de sanctions contre les colons, n’est-ce pas purement symbolique ?
Ce n’est pas à la France ni à un autre pays étranger de fixer les frontières d’un Etat. Cela devra être le fruit de discussions entre les deux parties quand celles-ci redeviendront possibles. Cela a été le cas dans le passé entre des Israéliens et des Palestiniens courageux, mais très minoritaires.
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Quant aux sanctions, elles seraient pleinement justifiées contre des Bezalel Smotrich ou des Itamar Ben Gvir. Si des Etats avaient le courage de les sanctionner, de telles mesures ne seraient utiles que si elles ne contribuaient pas à rassembler la majorité des Israéliens derrière eux ! Il faudra trouver le bon timing.
Israël et ses soutiens comme les Etats-Unis interprètent le geste d’Emmanuel Macron comme une récompense faite au Hamas, l’organisation à l’origine de l’attaque terroriste du 7-Octobre. La France risque-t-elle d’être isolée sur la scène internationale ?
C’est l’Israël de Benyamin Nétanyahou qui, même soutenu par Donald Trump, est de plus en plus isolé, pas la France. Ceux qui, dans les pays occidentaux, auront fait preuve d’un consentement aveugle ou de lâcheté à son égard, ce qui n’a rien à voir avec le soutien à l’existence et à la sécurité d’Israël, auront du mal à s’en remettre.
Quant à prétendre que reconnaître la Palestine, ce serait récompenser le terrorisme, c’est l’argument mensonger, le sophisme numéro un. C’est comme si on disait que l’indépendance de l’Algérie avait été une récompense pour les terroristes du FLN. L’origine du terrorisme, et du drame du Proche-Orient en général, ce n’est pas l’Etat palestinien, c’est notamment l’absence d’Etat palestinien. Relisons les déclarations extraordinaires de courage et d’intelligence de Yitzhak Rabin, Shimon Pérès, Ehoud Olmert, Ehoud Barak, et même Ariel Sharon à la fin. Sortons le Proche-Orient du piège conceptuel de Nétanyahou.
La paix au Proche-Orient est-elle envisageable tant que le gouvernement israélien actuel, qui défend le « Grand Israël », sera en place ?
Sans doute pas, à moins que, voulant entrer dans l’histoire, Benyamin Nétanyahou change de coalition et de politique. L’histoire n’est pas finie. Les grands Israéliens qui s’étaient résignés à la solution à deux Etats n’étaient pas des idéalistes éthérés. Sans attendre, il faut sortir de la « logique mortifère » pour reprendre l’expression d’Emmanuel Macron. La reconnaissance combinée à la mise sur pied d’une nouvelle Autorité palestinienne mérite d’être tentée.
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