La Cour Internationale de Justice a reconnu l’obligation des États de prévenir les dommages significatifs à l’environnement.

Climat : la Cour internationale de justice rend un avis consultatif sans précédent

Le 23 juillet 2025 est un jour à marquer d’une pierre blanche pour la justice climatique. Dans son avis consultatif, la CIJ a reconnu l’obligation des États de prévenir les dommages significatifs à l’environnement.

Gouvernance  |  24.07.2025  |  https://www.actu-environnement.com/ae/news/cij-avis-consultatif-obligations-etats-changement-climatique-46551.php4#ntrack=cXVvdGlkaWVubmV8MzgyMA%3D%3D%5BNDExMDgz%5D

C. Girardin Lang

Climat : la Cour internationale de justice rend un avis consultatif sans précédent

© Dorka BauerRassemblement devant la Cour internationale de justice, le 23 juillet 2025, jour du rendu de l’avis.

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« Cet avis excède nos attentes », a déclaré ému, Ralph Regenvanu, le ministre vanuatais de l’Environnement, à la sortie de la lecture de l’avis par la Cour. Depuis La Haye, siège de la « Cour mondiale », un avis qualifié d’ « historique » relatif aux obligations des États en matière de changement climatique a été rendu (1) . Tout d’abord, la Cour internationale de justice (CIJ) a reconnu sa compétence pour répondre aux deux questions qui lui ont été posées par l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU), à savoir :

  • En droit international, quelles sont les obligations incombant aux États en ce qui concerne la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement ? (question A)
  • Et quelles sont, au regard de ces obligations, les conséquences juridiques pour les États qui, par leurs actions ou omissions, ont causé des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement ? (question B)

Enfin, c’est à l’unanimité des quinze juges qui la compose qu’elle a reconnu que les États parties aux diverses conventions mentionnées dans son avis, ont une obligation d’assurer la protection du système climatique et d’autres parties de l’environnement contre les émissions anthropiques de gaz à effet de serre (GES), et qu’un État se rendait coupable d’un fait internationalement illicite engageant sa responsabilité, dans le cas où il violait ces obligations. “ L’unanimité de la Cour est historique. Elle pointe l’urgence cruciale de la question climatique ”Ralph Regenvanu, ministre de l’Environnement du Vanuatu

L’avis est non seulement fort par les obligations qu’il reconnaît aux États, mais également par son caractère unanime. « L’unanimité de la Cour est historique. Elle pointe l’urgence cruciale de la question climatique, et démontre que la population mondiale est également unanime sur cette question », a soutenu le ministre de l’Environnement du Vanuatu, l’État où tout a commencé.

En 2019, le collectif Pacific Islands Students Fighting Climate Change (PISFCC) a lancé une campagne visant à persuader les dirigeants du Forum des îles du Pacifique de porter la question du changement climatique et des droits de l’homme devant la CIJ. L’État du Vanuatu a repris l’idée, et a ambitionné de soumettre à la CIJ une demande d’avis consultatif viaune résolution de l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU), qu’il a rendu en mars 2023.

Une pléthore de textes, principes et obligations sont applicables

En premier lieu, la Cour s’est consacrée à définir quel était le droit applicable, et les obligations en découlant, en matière de changement climatique (question A).

Lors de la session d’audiences orales, qui a eu lieu en fin d’année 2024, les deux groupes d’États dit « gros pollueurs » et ceux « plus vulnérables » aux changements climatiques étaient en désaccord quant à l’ensemble des règles qui s’imposaient aux États. Le premier groupe défendait l’existence d’un socle de « lex specialis », c’est-à-dire des règles spécifiques qui prévalent sur les règles ordinaires. Selon ces États, le socle serait composé des trois traités relatifs aux changements climatiques, à savoir la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (Ccnucc), la Convention de Kyoto et l’Accord de Paris. Le deuxième groupe d’États réfutait ce raisonnement, en considérant que l’existence d’un socle de lex specialis excluait la prise en compte d’autres composantes du régime climatique, comme les règles coutumières, ou les principes établis en droit international, comme celui des responsabilités communes mais différenciés (CBDR-RC).

Si la Cour affirme que ces trois textes, qui sont complémentaires, constituent les « principaux instruments juridiques régissant la riposte internationale au problème mondial des changements climatiques » et qu’ils « font partie du droit applicable le plus directement pertinent », il en est de même pour la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM ou Unclos), en rappelant qu’en mai 2024, le Tribunal international du droit de la mer a rendu un avis consultatif sur le changement climatique et a conclu que de nombreuses dispositions de la CNUDM prescrivaient des obligations aux États en matière de changement climatique.

Compte tenu de leur lien étroit avec la question des changements climatiques et de leur complémentarité à cet égard, la Cour a également considéré que les traités relatifs à la couche d’ozone (2) , la convention sur la biodiversité et la convention sur la désertification font partie du droit applicable le plus directement pertinent. Rappelant sa jurisprudence (3) , la Cour retient qu’en matière de droit coutumier, l’obligation faite aux États de prévenir les dommages significatifs à l’environnement et la due diligence requise pour prévenir de ces dommages, ainsi que l’obligation de coopérer pour protéger l’environnement sont des obligations qui font partie du droit applicable le plus directement pertinent. Enfin, concernant les autres principes, comme celui d’équité intergénérationnelle, ou encore des CBDR-RC, elle reconnaît que ces derniers sont mentionnés dans la Ccnucc, et font donc partis du droit applicable le plus directement pertinent.

En ce sens, elle reconnaît une pléthore de textes, obligations et principes pour répondre à sa question. Les États « gros pollueurs » doivent faire le deuil du socle de « lex specialis », qui excluait l’application d’autres composantes du régime climatique.

L’ère de l’impunité est révolue

Après avoir établi le droit applicable, la Cour devait se prononcer quant aux obligations incombant aux États (question B).

Elle a conclu que les États ont l’obligation de prévenir les dommages significatifs à l’environnement en agissant avec la diligence requise, et de mettre en œuvre tous les moyens à leur disposition pour empêcher que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle causent des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement, conformément à leurs responsabilités communes mais différenciées et à leurs capacités respectives.

La Cour, en se basant sur les travaux scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), qu’elle cite à plusieurs reprises, a retenu que les dommages résultant des effets du changement climatique étaient « plus élevés en cas de réchauffement planétaire de 1,5 °C qu’actuellement, et plus encore à 2 °C ». Selon elle, si l’Accord de Paris définit l’objectif de contenir la hausse de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et, de manière plus ambitieuse, de la limiter à 1,5 °C, c’est cet objectif de 1,5 °C qui est considéré par tous, et sur la base des données scientifiques. Par conséquent, la Cour considère que le plafond de 1,5 °C représente le principal objectif de température à atteindre convenu par les parties pour limiter la hausse de la température moyenne mondiale en vertu de l’Accord de Paris. Ainsi, un État commet un fait illicite s’il n’atteint pas ce résultat. Et ce fait illicite engage la responsabilité de l’État, qui doit être tenu de le faire cesser et d’en réparer les conséquences.

« L’ère de l’impunité est révolue. Les gouvernements et les entreprises ont désormais l’obligation légale de prévenir les catastrophes climatiques et de réparer les décennies de pollution inconsidérée. Cette décision ne pouvait pas mieux tomber, juste avant la prochaine COP climat, où nos demandes seront soutenues non seulement par les voix du peuple et le poids des preuves scientifiques, mais aussi, désormais, par le droit international », s’est réjouie Tasneem Essop, directrice exécutive du Réseau Action Climat International.

Enfin, si elle reconnaît que toutes les parties sont tenues d’adopter des politiques, des mesures et des programmes nationaux de lutte contre les changements climatiques et d’en rendre compte, elle rappelle qu’en vertu du principe des CBDR-RC, les pays développés sont soumis à des obligations supplémentaires, notamment celle d’adopter des politiques nationales et de prendre les mesures voulues pour limiter les émissions de GES. Elle admet d’ailleurs que les États les plus développés ont grandement contribué à la quantité globale d’émissions de GES depuis la révolution industrielle et disposent des ressources et des capacités techniques nécessaires pour mettre en œuvre de vastes réductions des émissions. Tandis que les États les moins développés, qui n’ont contribué que de manière marginale aux émissions passées, ont des capacités limitées pour transformer leurs économies. Elle reconnaît que certains États, en particulier les petits États insulaires en développement, ont subi et sont susceptibles de subir des dommages liés aux changements climatiques plus importants en raison de leur situation géographique et de leur niveau de développement. « Cette décision constitue un soutien crucial pour les communautés du Pacifique, qui sont en première ligne des effets du changement climatique », s’est félicité Vishal Prasad, directeur de campagne du collectif PISFCC.

L’avis pourrait être utilisé très prochainement

Pour Andres Del Castillo, avocat en droit de l’environnement au Center for International Environnemental Law (Ciel), le traité plastiquepourrait être la première utilisation concrète de cet avis. En effet, la Cour a reconnu que le fait pour un État « de ne pas prendre les mesures appropriées pour protéger le système climatique des émissions de GES – notamment par la production de combustibles fossiles, la consommation de combustibles fossiles, l’octroi de licences de prospection de combustibles fossiles ou l’octroi de subventions aux combustibles fossiles – pouvait constituer un fait internationalement illicite attribuable à cet État ». Il faut rappeler que les plastiques sont à l’origine d’environ 4,5 % des émissions mondiales de GES, et pourrait atteindre 15 % de ces émissions en 2050. En sachant qu’ils pourront être tenus responsables de ne pas avoir fait suffisamment pour maintenir, voire réduire leurs émissions de GES, les États qui négocieront prochainement à Genève sur le traité plastique pourraient être incités à soutenir un texte ambitieux, qui limiterait la production de plastiques, et donc, l’émission de GES.

Enfin, l’avis devrait également influencer les échanges qui auront lieu lors de la prochaine COP climat, qui aura en décembre. « Nous souhaitons qu’à la COP 30 de Belem, les principaux émetteurs s’engagent eux aussi à la hauteur de leur responsabilité. La Chine et les États-Unis représentent à eux deux plus de 40 % des émissions mondiales », a dénoncé Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique. La ministre salue d’ailleurs la décision qu’elle qualifie d’historique, et d’une victoire pour la France et pour le climat.1. Consulter l’avis
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-46551-Avis-consultatif-CIJ-obligations-etats-changement-climatique.pdf2. Comme le Protocole de Montréal.3. Elle cite notamment ses arrêts « Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay » ou « Détroit de Corfou ».

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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