Une droitisation déjà consommée de l’Eglise catholique mais aussi de nouvelles émergences

Droitisation de l’Église catholique : la messe est-elle dite ?

Face aux miroirs déformants des médias Bolloré donnant à voir une institution dominée par les courants les plus conservateurs, Mediapart donne la parole aux chercheurs et aux militants d’une vision progressiste du catholicisme.

Nicolas Cheviron

21 juillet 2025 à 13h01 https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/07/22/loi-duplomb-des-associations-demandent-au-president-emmanuel-macron-de-solliciter-un-reexamen_6623001_3244.html

21 juillet 2025 à 13h01

Le 8 juin, CNews, la chaîne du milliardaire d’extrême droite Vincent Bolloré, a diffusé en direct pour la deuxième année consécutive la messe de Pentecôte du pèlerinage traditionaliste de Chartres (Eure-et-Loir). Petit putsch médiatique et symbolique, cette diffusion toute en bannières, ors et commentaires sur le nécessaire retour aux valeurs et liturgies d’antan, est venue concurrencer – et tenter de ringardiser – la plus ancienne émission de la télévision française, « Le Jour du Seigneur », porteuse d’un catholicisme bien plus consensuel.

Derrière ce coup d’éclat télévisuel, mais aussi derrière les chèques distribués par Pierre-Édouard Stérin, un autre milliardaire ultraconservateur, aux associations désireuses de promouvoir une vision de la France profondément conservatrice, faut-il voir une tentative d’OPA réactionnaire sur l’Église catholique française ? Et ainsi attirer les fidèles et leurs suffrages vers la droite la plus dure ? Ou bien faut-il y voir la conséquence d’une droitisation déjà consommée de l’institution ?

Pour répondre à ces questions, Mediapart s’est adressé à des chercheurs ainsi qu’à des fidèles militant pour une vision sociale et progressiste du catholicisme.


Lors d’une messe à la cathédrale de Luçon (Vendée). © Photo Loïc Venance / AFP

Premier constat, asséné par Christine Pedotti, directrice de la publication de Témoignage chrétien : « Le fait majeur du catholicisme, c’est sa disparition. L’effondrement est cataclysmique. »« Les gens ne se marient plus à l’église, les gosses ne vont plus au catéchisme, il n’y a plus de prêtres », poursuit la patronne du journal de gauche fondé par la Résistance en 1941. Entre 2000 et 2019, indique-t-elle, le nombre de baptêmes a chuté de 400 000 à 200 000 par an. La pratique hebdomadaire est quant à elle devenue archi-minoritaire.

Le catholicisme est entré dans une phase de transition minoritaire, confirme le sociologue bordelais Yann Raison du Cleuziou, « entre un régime majoritaire où la religion bénéficie d’une hégémonie culturelle, où les actes religieux – se marier à l’église, être baptisé – sont socialement intégrateurs dans l’ensemble de la société, et un stade minoritaire, où ces mêmes actes deviennent une marque de différence avec les valeurs sociales dominantes ».

Fracture générationnelle

Cette mutation fait que « le catholicisme se recompose autour de ceux qui restent, et ceux qui restent ce sont tendanciellement ceux qui ont le système de valeurs le plus conservateur, poursuit le sociologue du catholicismeC’est-à-dire ceux qui, depuis les années 1960, résistent à la sécularisation interne [de l’Église] ». Des fidèles « observants » qui « ne cherchent plus l’ajustement de consensus avec les valeurs sociales dominantes », mais revendiquent un retour à l’autorité verticale des prêtres, à un style liturgique ancien ou encore au culte des saints.

Pour le chercheur, les nouveaux prêtres sont ainsi pour la plupart issus de familles pieuses, souvent nombreuses, éduqués dans des écoles catholiques privées, passés par les scouts d’Europe ou les scouts unitaires de France. Avec leurs parents, ils ont fréquenté des communautés nouvelles nées dans les années 1970 en résistance à la sécularisation du reste de l’Église.

L’autre grande conséquence de la transition minoritaire du catholicisme est une fracture générationnelle entre des fidèles plus âgés, « qui continuent de vivre dans un monde où le catholicisme est majoritaire, parce que dans leur tranche d’âge, il reste majoritaire et dominant », et des plus jeunes qui, eux, « vivent déjà dans un catholicisme devenu minoritaire, dans des générations où plus aucune religion n’est dominante », explique Yann Raison du Cleuziou.

Quand les premiers privilégient l’inclusion à la prescription, dans « un esprit de consensus avec les valeurs sociales dominantes », les seconds « sont dans une demande forte de règles, de prescription », car ils « ont besoin de re-créditer le caractère religieux du catholicisme, en s’appropriant des manières de faire plus que des manières de croire », et ce d’autant plus, affirme le sociologue, qu’ils vivent « une forme de rivalité mimétique, d’imitation et de distinction » par rapport à l’islam.

Les cathos de gauche sont en voie de disparition.

Christine Pedotti, directrice de la publication de « Témoignage chrétien »

Il résulte de ces lignes de fracture une emprise des courants conservateurs qui n’est pas uniforme dans les différentes strates de l’Église. « Ils sont majoritaires chez les jeunes prêtres, à au moins 70 ou 75 %, parce qu’il n’y a plus que dans ces milieux qu’on recrute. Je pense qu’ils sont encore minoritaires chez les évêques, même si petit à petit cela se retourne puisqu’on fabrique les évêques avec des prêtres, évalue Christine Pedotti. En revanche, ils sont encore largement minoritaires dans la plupart des paroisses, à l’exception des grosses paroisses du centre-ville. À la campagne, les gens, quand il en reste, ne sont pas du tout “réacs”. »

S’il bute sur le terme « réacs », Yann Raison du Cleuziou dresse un même constat des rapports de force au sein de l’Église, avec toutefois une mise en garde. « Ce catholicisme observant, il ne faut pas le penser comme un lobby, explique-t-il. C’est un univers complexe, qui a sa diversité interne. Les traditionalistes, c’est vraiment la minorité de la minorité. Ils sont très visibles et très remuants, mais selon moi leur influence ecclésiale est plutôt faible. »


Photo Sébastien Calvet / Mediapart

Ces groupes « remuants » sont toutefois ceux qui disposent du plus grand écho médiatique et politique, notamment grâce au soutien de leurs puissants mécènes. « Bolloré vient donner une audience à une certaine forme de catholicisme, et surtout, une audience populaire, ce qui est totalement nouveau », estime le sociologue. Tandis que « Stérin, lui, donne des moyens à toute une base conservatrice pour mener leurs projets, très souvent orientés vers une reconquête de la culture ».

Cette exposition a des effets de boucle. « Dans une presse qui connaît moins bien le catholicisme qu’avant, on décrit ce qu’on voit le plus, et ce qu’on voit le plus ce sont ceux qui sont contre le mariage pour tous ou qui fricotent avec Marion Maréchal ou Éric Zemmour, commente pour sa part Denis Pelletier, historien des religionsOn ne voit plus les autres, ce qui permet aux militants de la droite catholique de tirer la conclusion qu’ils sont les seuls vrais catholiques. »

Et face, que reste-t-il des « cathos de gauche », défenseurs d’une doctrine sociale de l’Église, omniprésents à partir des années 1960 dans les organisations caritatives, d’éducation populaire ou d’aide au développement ? « Ils sont en voie de disparition », constate, désabusée, Christine Pedotti.

Une nouvelle vision « radicalement progressiste »

Entre les mobilisations de La Manif pour tous contre le droit au mariage des couples de même sexe et la crise des violences et agressions sexuelles au sein de l’Église, « il devient de plus en plus difficile de trouver une place dans le catholicisme français quand on a cette sensibilité », poursuit la journaliste. « Les gens ont voté avec leurs pieds, ils sont ailleurs. J’ai accompagné des cohortes de séminaristes, des jeunes hommes qui ont maintenant la quarantaine. Aujourd’hui, sur douze ou treize, il en reste deux. Si vous n’êtes pas réac, vous n’avez rien à faire là-dedans. »

Denis Pelletier tempère toutefois cette analyse. « Le terme de “cathos de gauche” renvoie vraiment à une génération, qui a vieilli comme les gauchistes ont vieilli, déclare l’historien. Mais il y a toujours un petit 15-20 % des électeurs catholiques qui votent à gauche. Ils ont toujours été minoritaires dans le catholicisme et ils continuent à l’être, dans un catholicisme qui lui-même devient de plus en plus minoritaire. »

L’historien souligne en outre l’émergence d’une nouvelle génération de militant·es. Ils et elles n’affichent pas forcément leur ancrage à gauche, mais défendent une vision radicalement progressiste du catholicisme. Tout en affirmant une spiritualité que leurs aîné·es reléguaient plutôt dans la sphère privée. On les retrouve à la manœuvre derrière la tribune de « 10 000 chrétiens » et une manifestation de plusieurs centaines de personnes appelant à voter contre l’extrême droite lors des législatives 2024.

Olivier Perret est l’un d’entre eux. Devenu catholique en 2018, à l’âge de 22 ans, l’étudiant en master s’est jeté à corps perdu dans la foi, allant à la messe deux fois par semaine. Mais très vite, il a déchanté : « J’ai senti un écart très important entre ce que les prêtres disaient et ce qu’on vivait vraiment : l’amour inconditionnel, oui, mais pas pour les homosexuels, pas pour les divorcés, pas pour les femmes avortées. Je me suis dit qu’il fallait créer quelque chose pour des gens comme moi, pour faire converger nos luttes. »

C’est ainsi qu’a vu le jour, en février 2024, le Collectif catholique pour un accueil inconditionnel dans l’Église (P.A.I.X.), qui compte aujourd’hui 80 membres dans toute la France« Des étudiants, des actifs, des retraités, des hommes, des femmes, des trans, des non-binaires, on est à l’image du peuple de Dieu », commente Thomas Mandroux, l’un d’entre eux.

Le groupe revendique la suppression du lien entre péché et homosexualité, l’accès des femmes à tous les postes de responsabilité de l’Église, le droit des femmes catholiques à accéder sans entrave religieuse à l’avortement ou encore un positionnement clair des évêques contre le racisme et l’islamophobie.

Je suis l’homme que je suis parce qu’il y a eu le pontificat de François, qui a légitimé nos luttes.

Adrien Louandre, du collectif Lutte et contemplation

Un des points névralgiques de cette petite renaissance d’un catholicisme progressiste est situé dans le XXarrondissement de Paris. Créé en 2017, le café solidaire Dorothy propose un accueil aux personnes en précarité cinq jours sur sept, héberge les ateliers d’une quinzaine d’artistes ou organise des conférences sur la théologie et sur des sujets plus profanes, « le tout porté dans la foi par une équipe de bénévoles qui a une vie spirituelle », indique Foucauld Giuliani, un des fondateurs de l’établissement.

« C’est au Dorothy que j’ai vraiment compris l’Évangile et sa parole très révolutionnaire. Jésus dénonce la richesse et le pouvoir – c’est une chose qu’on n’a pas beaucoup en tête quand on vient d’un milieu favorisé », commente Alexis Lemétais, un des bénévoles du café.

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6 juillet 2025

L’émergence de ces mouvements – on peut aussi citer le groupe Anastasis, centré sur la production de réflexion – coïncide avec le pontificat du pape François (2013-2025), dont l’engagement social et environnemental est largement salué par les militant·es progressistes. « Je suis l’homme que je suis parce qu’il y a eu le pontificat de François, qui a légitimé nos luttes, affirme Adrien Louandre, dont le mouvement Lutte et contemplation, très axé sur les combats environnementaux, compte une centaine de membresL’encyclique Laudate Deum, qui légitime la désobéissance civile, pour nous qui nous inspirons de la théologie de la libération, c’est quand même sympa. »

« Concernant les LGBTQIA+, il a sorti des dingueries qu’on peut mettre sur le compte de son âge, mais il a aussi mangé avec une personne trans et a payé des loyers de personnes travailleuses du sexe trans », commente pour sa part Manon Segur, autrice de fiction et membre du groupe P.A.I.X. « Là où il a fait beaucoup de bien, c’est sur l’accueil des migrants. »

Très minoritaires au sein du catholicisme, ces groupes n’en gardent pas moins la foi. « Je vis dans l’Aisne, qui est ravagé par le RN, mais je suis persuadé que si des récits parviennent à faire cohérence, les énergies peuvent partir ailleurs, analyse Foucauld Giuliani, du café Dorothy. Il faut se préserver pour la conversion des énergies plutôt que de se concentrer sur la puissance de notre adversaire. »

Nicolas Cheviron

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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