Nous sommes confrontés à plusieurs crises interconnectées : climatique, de santé publique, de la biodiversité, de l’eau.

Fabrice DeClerck, chercheur : « La loi Duplomb ignore les liens entre agriculture, santé, climat et biodiversité »

Les connaissances scientifiques ont été absentes des discussions qui ont conduit au vote de la loi Duplomb, déplore, dans un entretien au « Monde », le coordinateur du chapitre sur l’alimentation du dernier rapport de l’IPBES, le « GIEC de la biodiversité ». 

Propos recueillis par Publié aujourd’hui à 05h00, modifié à 10h26

Temps de Lecture 4 min.

Manifestation contre la loi Duplomb organisée par Combat Monsanto, Greenpeace et Générations futures aux abords de l’Assemblée nationale, lors du vote de la loi par les députés, à Paris, le 8 juillet 2025.
Manifestation contre la loi Duplomb organisée par Combat Monsanto, Greenpeace et Générations futures aux abords de l’Assemblée nationale, lors du vote de la loi par les députés, à Paris, le 8 juillet 2025.  ARNAUD VILETTE/OLA NEWS/SIPA

Le chercheur belge Fabrice DeClerck, spécialiste des interactions entre alimentation et environnement, est le directeur scientifique de la plateforme de recherche EAT, à l’origine de l’étude de référence Eat-Lancet de 2019 sur le « régime de santé planétaire », ainsi que le coordinateur du chapitre sur l’alimentation dans le dernier rapport de la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité (IPBES) paru en décembre 2024. Dans un entretien au Monde, il regrette que les initiateurs de la loi Duplomb n’aient pas pris en compte les liens entre agriculture, biodiversité, climat et santé publique.

Quel regard portez-vous sur la loi Duplomb et les débats qu’elle suscite en France ?

Il est encourageant de voir la réaction du public à cette proposition de loi, mais décourageant de constater le manque de participation scientifique aux débats qui se sont tenus au Parlement. Ce qui me préoccupe, c’est que ce texte ignore les liens entre agriculture, santé, climat et biodiversité.

En décembre 2024, 147 pays [dont la France] ont adhéré à l’évaluation du dernier rapport de l’IPBES. Ce rapport, qui a nécessité trois années de travail par 165 experts internationaux, souligne que nous sommes confrontés à plusieurs crises interconnectées : climatique, de santé publique, de la biodiversité, de l’eau. Or on continue d’y répondre une par une, de façon isolée. Les actions existantes sont insuffisantes pour s’attaquer à la complexité des défis.

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Cette loi, présentée comme une réponse à la crise agricole et aux demandes de certains syndicats, a-t-elle été trop sectorielle dans son approche ?

La question de savoir quelle production agricole peut favoriser la santé humaine doit être centrale. Cette loi propose de réintroduire un produit, dont la toxicité a été prouvée, pour produire de la betterave sucrière. Or, au niveau mondial, on se trouve en surproduction de sucre, responsable de la hausse de l’obésité [un quart de la production française de betterave à sucre sert en outre à la production d’éthanol].

A l’inverse, on est en sous-production de fruits, légumes, légumineuses et noix. L’agriculture a une opportunité énorme de produire davantage ce qui est nécessaire à la santé humaine. Le système alimentaire crée aujourd’hui 10 000 milliards de dollars [8 500 milliards d’euros] de valeur économique au niveau mondial, mais produit 12 000 milliards de dollars de coût pour la santé humaine. Il est possible de renverser ce rapport, tout en maintenant la valeur économique de l’agriculture.

Considérez-vous, comme les soutiens de cette loi, que le retour de certains pesticides est nécessaire à la productivité de l’agriculture française ?

Les recherches internationales ne trouvent aucune preuve qu’une transition agroécologique est incompatible avec le maintien de la productivité, c’est même l’inverse. Les producteurs sont rendus dépendants aux produits phytosanitaires. Or plus on utilise ces produits, plus on a des risques de résistance, ce qui conduit à utiliser encore plus de chimie.

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Des options existent pour réduire notre dépendance aux pesticides tout en maintenant les rendements. Dans le rapport IPBES, nous avons évalué quinze solutions selon leurs effets sur la quantité et la qualité de la production, la qualité de l’eau, le changement climatique et la biodiversité. Parmi ces solutions figure la réduction de la pollution des pesticides, avec laquelle la loi Duplomb est antagoniste. Cette réduction n’est possible qu’avec une hausse de l’agroécologie ou une intensification écologique [concept agronomique visant à maximiser les services rendus par la biodiversité]. Cela passe notamment par le maintien de 10 % à 20 % d’habitat naturel par kilomètre carré dans les surfaces agricoles pour les pollinisateurs et pour les parasitoïdes qui contrôlent les ravageurs.

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Maintenir de tels niveaux d’habitats naturels ne fait-il pas perdre des surfaces productives ?

Oui, dans certains cas, cela peut entraîner une diminution de la surface cultivée, mais il y a différents moyens d’inclure des habitats naturels en minimisant l’impact sur la productivité – en protégeant les abords de rivières, en mettant des haies en bord de route, en priorisant les zones de terrain les moins productives. L’inclusion de ces habitats naturels peut en réalité augmenter les rendements.

En France, environ 14 % des surfaces agricoles ont ce niveau d’habitats naturels, ce qui signifie que 86 % des surfaces ont une biodiversité insuffisante. La science montre qu’un insecte ne doit pas avoir à traverser plus de 500 mètres pour arriver à une plante qu’il doit polliniser ou protéger. La proximité de cet habitat est essentielle.

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En outre, ces infrastructures peuvent réduire l’impact du changement climatique en protégeant les cultures de l’évapotranspiration et des coups de vent et interceptent l’excès d’azote et de phosphate. L’erreur qui a été commise par les pouvoirs publics est d’avoir mis des contraintes importantes sur ces zones de conservation. Sur les haies, les producteurs se sont plaints – à raison – du grand nombre de législations applicables. Il faut vraiment les associer sur le choix et la mise en œuvre de ces habitats naturels.

Concernant le retour de l’acétamipride, des filières soulignent que la France est le seul pays à l’interdire. Est-ce justifié de réautoriser cette substance ?

Les effets toxiques des néonicotinoïdes sont bien démontrés sur le plan scientifique. Je comprends les préoccupations pour la compétitivité, mais si nous refusons d’avancer plus que les autres, nous ne trouverons pas de solutions aux crises évoquées. Chaque année perdue pour démarrer la transition implique encore plus d’impacts sur le climat et la perte de biodiversité.

La production de l’alimentation représente 30 % du changement climatique, une des limites planétaires [seuil au-delà duquel les équilibres naturels garantissant la vie peuvent être déstabilisés], plus de 80 % d’utilisation de l’eau douce, une autre limite planétaire, et plus de 80 % de la perte de biodiversité, une troisième limite planétaire. L’usage intensif des plastiques et des pesticides représente une autre de ces limites planétaires.

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Au sein de la commission Eat-Lancet, nous avons calculé qu’il faudrait réduire le recours aux pesticides de 70 % à 95 % d’ici à 2050 pour rester dans ces limites. L’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) a également démontré dans une étude en 2023 qu’il est possible pour l’Europe de sortir des pesticides d’ici à 2050 tout en maintenant sa souveraineté alimentaire.

Nous n’appelons pas, ni dans l’IPBES, ni dans la commission Eat-Lancet, à l’arrêt total des pesticides – nous reconnaissons que des producteurs seront confrontés à des maladies et que certains produits peuvent être importants –, mais nous appelons à un usage fortement réduit et à arrêter l’utilisation préventive.

Quelle issue voyez-vous à ces tensions autour de la loi Duplomb ?

D’abord, il faut que le débat parlementaire se tienne. Ensuite, il faut créer plus d’espaces de dialogue. J’ai travaillé dans l’agriculture en Amérique latine, en Europe, aux Etats-Unis. Je constate que partout les personnes extérieures à l’agriculture reconnaissent l’importance du secteur, mais que les espaces d’interaction sont très contraints. Le monde agricole est notre meilleur atout pour agir à la fois sur la santé humaine et sur l’environnement. Les agriculteurs doivent être soutenus et reconnus comme des acteurs-clés dans la transition.

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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