Articles de Loïc Steffan
Pourquoi en détail la loi duplomb pose problème.
La loi Duplomb , officiellement rédigée « Lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », a été définitivement adoptée en juillet 2025 au terme d’un compromis entre députés et sénateurs. Son objectif affiché est de simplifier le quotidien des agriculteurs et d’adapter la réglementation à la situation de l’agriculture française, mais elle suscite de vives critiques en raison de ses conséquences sur l’environnement, la santé publique et le modèle agricole.
Voici les principaux points contenus dans ce texte :
- Réintroduction dérogatoire de pesticides interdits
La loi autorise à nouveau, sous certaines conditions, l’usage de substances classées comme dangereuses, dont l’acétamipride (un néonicotinoïde) et d’autres produits interdits précédemment à cause de leur impact sur la biodiversité et la santé humaine. Les conditions d’autorisation prennent désormais en compte les « circonstances agronomiques, phytosanitaires et environnementales », sur instruction ministérielle, pouvant ainsi permettre le retour d’autres substances bannies . - Pression accrue sur l’Anses
L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), chargée d’évaluer les pesticides, doit désormais intégrer les « impasses techniques » agricoles dans ses arbitrages, ce qui peut ouvrir la voie à de nouvelles dérogations . - Facilitation de la création et de l’extension d’élevages industriels
Les seuils déclenchant des contrôles ou des autorisations sont relevés : par exemple, il faut désormais 85 000 places de poulets (contre 40 000 auparavant), 3 000 porcs (contre 2 000), ou 900 truies (contre 750) pour imposer une étude environnementale systématique. Cela diminue les contrôles sur les élevages intensifient et facilite leur agrandissement . - Installation des mégabassines facilitées et reconnues d’intérêt général majeur. La construction de grands ouvrages de stockage d’eau pour l’irrigation (méga-bassines) est désormais considérée comme pertinente de l’intérêt général majeur, ce qui rend plus difficile la contestation ou l’opposition juridique à ces projets, malgré les polémiques environnementales déjà existantes .
- Assouplissement des démarches administratives
La loi allège diverses démarches pour les agriculteurs (permis, autorisations, déclarations), facilite l’accès au crédit et à l’assurance récolte, et encourage l’adoption de technologies numériques pour la gestion d’exploitation . - Modification du rôle et du contrôle sur les instances de surveillance
L’Office français de la biodiversité (OFB) doit désormais filmer ses contrôles avec des caméras piétons et passer sous la double autorité du préfet et du procureur, essentiellement son indépendance. Cette disposition inquiète les défenseurs de l’environnement quant à l’effectivité des contrôles . - Suppression de la séparation vente/conseil pour les pesticides
L’article 1 met fin à l’obligation de séparer la vente et le conseil en produits phytosanitaires, ce qui pourrait entraîner une augmentation des usages de pesticides. La séparation est aussi une garantie que le conseilleur n’a pas d’intérêt matériel à proposer les produits et donc qu’il n’y a pas de conflit d’intérêt dans ses fonctions. - Allègement des protections sur les zones humides et les procédures d’enquête publique
Les règles encadrant la protection des zones humides et les procédures de consultation citoyenne lors de projets sensibles agricoles sont également associées (ex : remplacement d’une réunion publique obligatoire par une simple permanence en mairie, notamment le débat démocratique) .
En résumé, la loi Duplomb traduit un net recul des exigences environnementales et sanitaires au profit d’une simplification de la vie des exploitants agricoles, en particulier ceux qui s’orientent vers un modèle productiviste . Ses mesures sont jugées favorables à l’agriculture intensive et controversées pour les risques qu’elles font courir à la biodiversité, à la ressource en eau et à la santé publique.
Analyse des limites structurelles de la loi Duplomb
Au-delà du recul des garanties environnementales et sanitaires déjà évoquées, plusieurs angles morts notables persistants dans la philosophie et la portée réelle de la loi Duplomb :
Leurres économiques et absence de garantie pour les revenus agricoles
Aucune garantie de revenu décent : En réintroduisant d’anciens outils productivistes (pesticides, bassins, allègement des contrôles), la loi ne s’attaque pas à la racine du problème : la précarité économique des agriculteurs, largement due aux prix agricoles faibles et à la dépendance aux marchés mondiaux. Simplifier la réglementation ou flexibiliser l’accès à certains entrants ne règle pas la question structurelle du revenu, ni ne favorise la revalorisation du métier d’agriculteur.
Persistance du techno-solutionnisme
Foi dans la technique plutôt que dans la diversification : L’accent mis sur la solution technique (mégabassines, phytosanitaires, numérique) perpétue le modèle de « fuite en avant » déjà dialogue, sans engager de véritable transition agroécologique, ni de réflexion sur la sobriété des pratiques agricoles. Pour les agriculteurs cela veut dire encore plus de capitaux (aller voir les liquidations judiciaires et les faillites vous verrez le délire du surendettement) pour un revenu qui n’est absolument pas garanti.
Les élus se débarrassent du problème en réintroduisant des pratiques à court terme qui ne permettent pas de questionner l’évolution du métier et le problème de la transmission alors qu’une majorité des agriculteurs sont très âgés et qu’on va avoir très rapidement un problème pour la reprise. Des montants de capitaux collosaux pour des rentabilités pourries ça ne risque pas d’inciter à reprendre. Mais c’est plus facile d’essayer de gagner des voix à court terme que de garantir des revenus aux agriculteurs et de les protéger contre les aléas qui vont se développer dans les années à venir.
En plus, beaucoup d’experts soulignent que la dépendance aux intrants chimiques ou à la gestion technique de l’eau n’apporte, au mieux, que des résultats à court terme, tout en aggravant la vulnérabilité à long terme.On a aussi un éloignement des objectifs d’atténuation et de résilience.
Manque de vision sur l’atténuation : Face à la gravité des changements climatiques et à la raréfaction annoncée des ressources (eau, sols, biodiversité), la loi ne favorise pas un modèle agricole plus sobre, résilient ou autonome, mais accentue un mode d’adaptation jugé inadéquat par de nombreux spécialistes.
Des solutions connues comme « maladaptatives » c’est à dire agravant le problème à long terme : Mégabassines et retour des produits phytosanitaires sont de plus en plus décriés comme des réponses qui risquent d’empirer les problèmes futurs (conflits d’usages, pollution accumulée, moindre résilience des exploitations face aux crises), plutôt que de s’y adapter durablement.
Conclusion générale
L’approche privilégiée par la loi Duplomb ressemble à une tentative de relancer le modèle agricole productiviste sans remettre en question les causes profondes des crises sociales et écologiques du secteur.
En réponse aux défis de revenu, d’épuisement des ressources et d’instabilité climatique, elle propose des instruments du passé, considérés par beaucoup comme des maladaptations dont l’efficacité et la soutenabilité restent très discutables.
En définitive, la loi s’éloigne des stratégies recommandées pour l’absorption des risques et l’avenir de l’agriculture française, et fragilise les perspectives de transition réussie dans un contexte de bouleversement mondial.
Réponse à l’article du point.
J’ai beaucoup vu circuler un texte du point qui pose problème.
Voilà pourquoi.
Alors que le débat public s’enflamme autour de la loi Duplomb et de la réintroduction de certains pesticides, un texte défensif récemment mis en circulation tente de légitimer l’usage de l’acétamipride en invoquant son autorisation européenne, son profil toxicologique supposément acceptable et son usage courant domestique. Mais derrière cet argumentaire lisse se cachent des procédures rhétoriques problématiques et un raisonnement partiel. Décryptage d’une démonstration qui sélectionne les faits, élude les controverses scientifiques et mineurs les enjeux de fond sur la transition agricole.
Le texte présenté comme une réponse à la contestation citoyenne contre la loi Duplomb illustre une stratégie discursive bien connue : le cherry picking , c’est-à-dire la sélection intentionnelle des faits qui confirment une thèse présentée, tout en spécifiant soigneusement ceux qui la contredisent. Cette approche affaiblit la rigueur du raisonnement, en donnant une impression fausse de consensus scientifique autour de l’acétamipride. Or, le consensus est loin d’être établi. Il y a 1300 scientifiques qui ont signé une pétition contre le texte Duplomb et 22 sociétés savantes. Sauf à considérer que tout ce beau monde ne sait pas faire une revue de littérature scientifique et un croissement des données et des métaétudes, on ne peut être que surpris de la façon dont l’auteur des lignes de l’article balaie cela d’un revers de main.
Dès les premières lignes, le texte mobilise l’ironie pour disqualifier les inquiétudes citoyennes, assimilant les signataires d’une pétition à 68 millions de « toxicologues improvisés ». Cette forme de rhétorique de surplomb, qui ridiculise l’opinion profane, vise moins à argumenter qu’à délégitimer. Pourtant, l’interpellation citoyenne sur des enjeux de santé publique et d’environnement relève pleinement du cadre démocratique, surtout lorsqu’il s’agit de substances chimiques reconnues comme potentiellement dangereuses dans certaines conditions.
L’argument central du texte repose sur une autorité d’externalité : l’acétamipride est autorisée dans l’Union européenne jusqu’en 2033, ainsi que dans plusieurs autres pays (États-Unis, Japon, Canada, etc.), ce qui serait la preuve de sa relative innocuité. Mais cet argument est faible, car le fait qu’un produit soit encore homologué ne signifie pas qu’il soit sans danger. D’une part, les processus d’homologation peuvent prendre du temps à s’adapter à de nouvelles données scientifiques. D’autre part, des usages peuvent être tolérés par défaut, en l’absence de consensus sur l’interprétation des risques. En d’autres termes, l’utilisation internationale n’est pas une garantie de sécurité , mais plutôt le reflet de politiques de gestion du risque, souvent influencées par des intérêts économiques ou des contextes différents d’un pays à l’autre.
En France, l’usage domestique de l’acétamipride dans des produits anti-blattes ou anti-puces est également étudié comme preuve d’acceptabilité. Là encore, la comparaison est peu pertinente. Les expositions domestiques sont rarement équivalentes — ni en doses, ni en fréquence — à celles générées par un usage agricole en plein champ, sur plusieurs hectares, avec dispersion dans les écosystèmes. Ce raisonnement relève d’un glissement d’échelle injustifié . Le fait qu’une substance soit autorisée pour un usage ponctuel dans l’habitat ne valide en rien son utilisation systémique en agriculture, où les risques cumulés (pollinisation, pollution des sols, effets sublétaux sur les insectes) sont d’un autre ordre.
Par ailleurs, l’argumentaire mineur préfère les incertitudes scientifiques subsistantes. Il reconnaît pourtant que les études sur la neurotoxicité développementale ne suivent pas les standards modernes de recherche, que les données disponibles sont parfois lacunaires ou méthodologiquement faibles, et que les effets sublétaux sur les pollinisateurs restent mal connus. Malgré cela, il en conclut qu’il n’y a « pas de raison » de remettre en question son usage. Ou, en toxicologie, l’absence de preuves n’équivaut pas à la preuve de l’absence de risque . Le principe de précaution, constitutionnel en France, repose justement sur ce constat.
Le texte évacue également un autre enjeu important : la marginalité de la culture de betterave en France, souvent utilisée pour justifier le retour de l’acétamipride. Or, la betterave représente à peine 1,6% des surfaces agricoles françaises .
Ce constat remet en perspective l’ampleur de la dérogation. Faut-il vraiment remettre en circulation un produit controversé pour soutenir une fraction aussi réduite du modèle agricole, surtout lorsqu’elle contribue à verrouiller le système dans une dépendance aux entrants chimiques ? Cette incohérence illustre un défaut de proportionnalité dans l’évaluation des mesures permises par la loi Duplomb.
Enfin, l’argumentaire s’inscrit dans une vision productiviste non remise en question. Il ne discute jamais des alternatives agroécologiques ou même les productions bio pourtant soutenues par de nombreux rapports scientifiques et institutions françaises. Il persiste ainsi dans une lecture technosolutionniste du problème agricole — où chaque difficulté appelle une molécule, un équipement ou une dérogation supplémentaire — sans reposer la question de la structure même du modèle agricole et de sa résilience. Pour cela, il ne propose pas de transition, mais un maintien du statu quo.
En conclusion, le texte présente un cas d’école d’ argumentation déséquilibrée , construit autour de la légitimation d’une substance en entraînant les controverses, en exagérant les comparaisons, et en mineur les dynamiques réelles du secteur agricole. Il illustre la difficulté actuelle à penser autrement que par la chimie dans la régulation de l’agriculture industrielle. Pourtant, dans un contexte d’effondrement de la biodiversité, de raréfaction de l’eau et de montée des maladies chroniques, il ne suffit plus d’autoriser des molécules sur la base d’une absence de scandale immédiate : il faut s’interroger sur leur rôle systémique dans un modèle en crise. C’est précisément ce que l’argumentaire passe sous silence.
L’ARGUMENTATION DESEQUILIBREE du journal Le POINT
Acétamipride : que dit vraiment la science ?
Faussement taxé de « tueur d’abeilles », l’acétamipride empoisonne le débat public. Une pétition signée par 1,3 million de Français réclame le retrait de la loi qui le réintroduit, dénonçant un « empoisonnement ». Qu’en est-il ?


Concernant l’acétamipride, aucun effet notable n’a été observé sur les abeilles après une exposition chronique (11 jours consécutifs). © FranceAgriTwittos
Temps de lecture : 11 min
La France est un pays béni. Après avoir compté 68 millions de médecins pendant la crise du Covid, puis 68 millions d’athlètes pendant les Jeux olympiques, voilà qu’elle recense aujourd’hui 68 millions de toxicologues… Dont 1,3 million (au dernier comptage) suffisamment sûrs d’eux pour signer une pétition appelant à « l’abrogation immédiate » de la loi Duplomb, pourtant votée dans les règles démocratiques, au motif que les parlementaires voudraient « nous faire manger du poison », et que ce texte serait « un acte dangereux pour l’humanité tout entière ».
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Les arguments agités jusque dans les médias publics attribuent à l’acétamipride, du nom de cet insecticide néonicotinoïde que la loi prévoit de réintroduire de façon très encadrée, toutes sortes de méfaits : il serait la cause de « cancers », d’« empoisonnement d’enfants », d’« obésité, des diabètes de type 2 », de « retards de développement », et même d’un « holocauste parmi les insectes ».
Comment expliquer, dès lors, que cette même molécule reste autorisée, en usage agricole, aux États-Unis, au Japon, au Canada, en Australie, sur les continents asiatiques et sud-américain, de même que dans l’ensemble de l’Union européenne, où son homologation a été récemment renouvelée jusqu’en 2033 ? Comment expliquer, surtout, qu’elle n’ait pas été interdite en usage domestique, et reste utilisée dans les maisons françaises, l’acétamipride étant présent dans 95 produits biocides ?
loi Duplomb: l’opération de décrédibilisation des signataires a commencé.
Je serai un ignorant en ayant signé.
C’est vrai qu’en ayant créé et dirigé pendant plus de 10 ans une licence de gestion dans le monde agricole je n’y connais rien. C’est vrai qu’en ayant un grand père agriculteur, un père conseiller agricole pendant 30 ans et en travaillant depuis 15 ans au moins avec des chambres d’agriculture je n’y connais rien. C’est vrai qu’en œuvrant sur les questions d’effondrement, en ayant travaillé sur une exposition à la cité des sciences et de l’industrie sur les problématiques systémiques de climat, ressources et biodiversité je n’y connais rien. Bien sûr. D’ailleurs pourquoi j’ai interagis avec autant d’acteurs de l’atténuation, de l’adaptation et de la vulgarisation depuis tout ce temps ?
Je suis comme les plus de 1 300 scientifiques et médecins français, parmi lesquels des figures reconnues telles que Jean-Marc Bonmatin (CNRS), Pierre-Michel Perinaud (Alerte Médecins sur les pesticides), ou encore des chercheurs de l’INRAE, du CNRS et de l’INSERM, ont condamné la loi Duplomb dans des tribunes et pétitions publiques. Cette mobilisation massive inclut :
- 22 sociétés médicales et 7 sociétés savantes scientifiques ayant officiellement dénoncé un « obscurantisme scientifique ».
- De nombreux responsables d’instituts publics de recherche et des collectifs interhospitaliers parmi les signataires.
On peut difficilement qualifier ces experts de « marchands de peur » ou d’« obscurantistes » : leur prise de position s’appuie sur des décennies de recherches et une crédibilité incontestée dans le champ scientifique et médical.
Citations directes de personnalités avec qui j’ai eu la chance de faire des conférences.
Marc-André Selosse
« La loi Duplomb est une triple négation : d’abord, la négation de tous les résultats scientifiques qui montrent la dangerosité des pesticides ; ensuite, celle du progrès agricole ; enfin, une attaque contre la crédibilité politique et scientifique de la France. »
« Ce texte ancre l’agriculture française dans le passé, détruit la biodiversité et tolère des pratiques dangereuses au détriment de la santé publique, sous l’influence des lobbies agricoles. »
Philippe Grandcolas
« Les décideurs ne comprennent pas que ces produits peuvent avoir des effets sur le long terme, des effets cocktails avec d’autres produits, leur dégradation peut être toxique, […] et s’accrocher aux graisses afin de rester dans le corps humain. »
« La volonté de placer l’ANSES sous la tutelle du monde agricole remet en cause l’expertise indépendante sur les pesticides et constitue un recul majeur pour la santé publique et la biodiversité. »
Conclusion
Compte tenu de l’expertise et de la réputation des signataires – illustrées par les prises de position claires de Marc-André Selosse et Philippe Grandcolas – la mobilisation contre la loi Duplomb relève d’une démarche fondée sur la connaissance scientifique et le souci de l’intérêt public, et non d’une réaction irrationnelle ou manipulatrice. Ces personnalités incarnent une référence difficilement contestable dans le débat public sur les pesticides.