Comment le réchauffement climatique fait grimper les prix de l’alimentation
Coûts de l’huile d’olive, du cacao, des fruits et légumes : une étude publiée lundi documente une quinzaine d’exemples récents de pics d’inflation sur des denrées alimentaires, en lien direct avec des événements climatiques extrêmes.
La hausse des prix de l’alimentation est l’une des conséquences très visibles du réchauffement climatique. Une étude publiée lundi 21 juillet dans la revue Environmental Research Letters documente l’effet d’événements climatiques extrêmes (sécheresses, chaleurs, fortes précipitations) sur les prix alimentaires de 2022 à 2024 dans le monde à travers une quinzaine d’exemples. Cette analyse a été menée par des chercheurs issus notamment du Barcelona Supercomputing Center (Espagne), de l’Institut de Potsdam de recherche sur l’impact du climat (Allemagne), de la Banque centrale européenne et de l’université d’Aberdeen (Royaume-Uni). « Jusqu’à ce que nous atteignions la neutralité carbone, les événements extrêmes ne vont faire que s’accentuer, alors qu’ils détruisent déjà les cultures et font grimper les prix partout dans le monde », souligne Maximilian Kotz, chercheur au Barcelona Supercomputing Center et premier auteur de l’étude.
Les cultures dont la production est concentrée sur une zone géographique limitée affichent des prix très sensibles aux variations du climat. L’Espagne, par exemple, est à l’origine des deux cinquièmes de la production mondiale d’huile d’olive. Or, après la sécheresse majeure qui a touché le sud de l’Europe en 2022 et 2023, le prix du précieux or vert a grimpé de 50 % sur une période d’un an dans toute l’Union européenne.
Le cours du café épouse lui aussi de très près les courbes des variations climatiques. En juillet 2024, le prix du robusta était plus élevé de 100 % qu’un an plus tôt après une vague de chaleur inédite quelques mois plus tôt au Vietnam, l’un des principaux exportateurs de cette variété de café. L’arabica a connu un sort similaire après une forte sécheresse en 2023 au Brésil, l’un des principaux producteurs.
Le cacao avait quant à lui grimpé de près de 300 % en avril 2024 après une vague de chaleur survenue deux mois plus tôt au Ghana et en Côte d’Ivoire, qui assurent les deux tiers de la production mondiale.
Hausse des problèmes de santé publique
A des échelles nationales, des épisodes climatiques sans précédent ont eu des effets majeurs sur les prix alimentaires. En Ethiopie, ils ont grimpé de 40 % en mars 2023 après la pire sécheresse observée dans la Corne de l’Afrique en quarante ans. Au Pakistan, les inondations massives d’août 2022, lors desquelles près d’un tiers du pays avait été submergé, et les récoltes en grande partie détruites, avaient entraîné une hausse de 50 % des prix alimentaires dans les régions rurales.
Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Au Pakistan, la lutte quotidienne des habitants contre les périls climatiques : inondations à répétition, crises alimentaires et caniculesLire plus tard
Les fruits et légumes mexicains ont subi une hausse des prix de 20 % en janvier 2024 après la plus grande sécheresse que le pays ait connue en une décennie. Le prix des légumes aux Etats-Unis a quant à lui grimpé de 80 % en Californie et en Arizona en novembre 2022, après un été marqué par un manque d’eau extrême.
Les hausses des prix alimentaires entraînent de multiples conséquences, dont une hausse de l’insécurité alimentaire et des problèmes de santé publique. « La consommation de fruits et de légumes, en particulier, est très sensible à la montée des prix, observe Anna Taylor, directrice de la Food Foundation, qui a participé à l’étude. Au Royaume-Uni, près de 14 % des ménages sont en situation d’insécurité alimentaire, parmi lesquels la moitié réduit sa consommation de fruits et légumes en cas d’inflation car ceux-ci sont perçus comme des calories moins rentables. » La Food Foundation a calculé que les aliments sains coûtent en moyenne deux fois plus cher par calorie que les aliments moins sains. Une statistique appuyée au niveau mondial par les agences onusiennes, selon lesquelles un tiers de la population n’a pas les ressources financières pour accéder à un régime sain.
La baisse des rendements et les pertes de production consécutives aux événements extrêmes expliquent en grande partie les hausses de prix. Mais d’autres facteurs entrent en ligne de compte, comme l’évolution de la demande, des ruptures dans la chaîne de transport, ou encore la spéculation. « La spéculation, en particulier, est l’un des véhicules par lesquels un pic de prix dans une région peut se répercuter dans d’autres parties du monde », explique l’économiste Raj Patel, enseignant-chercheur à l’université du Texas, qui n’a pas participé à ces travaux.
Favoriser les productions locales
Globalement, souligne M. Patel, également membre du Panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food), « la hausse des prix alimentaires a toujours des raisons politiques sous-jacentes. Par exemple, en 2010, lorsque la Russie subissait un dôme de chaleur et d’importants incendies, le pays était en cure d’austérité et avait laissé les feux se propager ». Conséquence : des pertes de blé importantes avaient conduit Moscou à décréter un embargo sur ses exportations de céréales, dont les répercussions ont été mondiales. « Au Mozambique, il y a eu cette même année de violentes émeutes de la faim qui ont fait plusieurs morts, liées à l’envolée des prix, en particulier du pain. C’est ainsi qu’une canicule en Russie peut conduire à des morts au Mozambique », détaille Raj Patel.
Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Le réchauffement climatique entraînera des pertes de production importantes dans les grandes nations agricolesLire plus tard
Pour limiter les effets de la spéculation internationale sur les prix de l’alimentation et ces chaînes de répercussion, nombre d’experts recommandent de favoriser les productions locales et la mise en place de réserves stratégiques au niveau régional. Depuis la guerre en Ukraine, plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest ont remis en place des stocks. Dans sa proposition de réforme de la Politique agricole commune, présentée jeudi 17 juillet, la Commission européenne a ouvert la voie à la constitution de telles réserves au niveau continental.
Mais mener une politique agricole et alimentaire cohérente implique surtout de favoriser l’accès des ménages précaires à une alimentation saine, d’adapter l’agriculture aux enjeux du réchauffement et de diminuer drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. Les impacts du changement climatique sont déjà nombreux alors que 2024 a été la première année à dépasser 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Or, selon les Nations unies, les politiques actuelles des Etats placent la planète sur une trajectoire de réchauffement de 3,1 °C à la fin du siècle.