Fleur Breteau, le visage de la colère contre le cancer et les pesticides
La fondatrice du récent collectif Cancer colère a contribué, par ses interpellations publiques et par ses appels à politiser le cancer, au succès de la pétition demandant l’abrogation de la « loi Duplomb » qui a recueilli plus d’un million de signatures.
Crâne nu, rouge à lèvres pétant, regard noir. Fleur Breteau est le nouveau visage de la lutte contre le cancer et les pesticides. Les Français l’ont découvert le 8 juillet. « Vous êtes les alliés du cancer et nous le ferons savoir ! », hurle-t-elle depuis un balcon de l’Assemblée nationale surplombant les groupes parlementaires de droite et d’extrême droite. Malgré une mobilisation sans précédent des communautés scientifiques et des défenseurs de l’environnement, les députés viennent de voter la loi Duplomb. Très controversé, le texte réautorise notamment l’acétamipride, un pesticide tueur d’abeille, suspecté d’être toxique pour le développement du cerveau et dont l’usage était interdit en France depuis 2020.
« Avec ma tronche de cancer, j’étais la seule à pouvoir l’ouvrir dans l’hémicycle », dit Fleur Breteau. La Parisienne a fondé le collectif Cancer Colère au lendemain de l’adoption de la proposition de loi (PPL) Duplomb par les sénateurs, le 27 janvier. Avec un objectif : « politiser le cancer en le rendant visible ». Pari gagné. Son coup d’éclat a contribué au succès de la pétition citoyenne demandant l’abrogation de la loi, qui a franchi le million de signatures dimanche 20 juillet, peu avant 18 heures. « C’est un renvoi d’ascenseur de la société civile face au mépris du gouvernement et des 316 parlementaires qui ont soutenu Duplomb contre la santé publique, la science et l’avenir des agriculteurs, réagit la néoactiviste. Ils ont cru pouvoir censurer le processus démocratique. Ils voulaient nous détruire, mais ils nous unissent. »
En cette mi-juillet, celle qui veut « faire entendre la voix des malades » donne rendez-vous à la cafétéria de l’institut Gustave-Roussy, premier centre européen de lutte contre le cancer avec près de 50 000 patients par an, à Villejuif (Val-de-Marne). A 50 ans, Fleur Breteau se bat contre un cancer du sein, le deuxième en quatre ans. Elle sort d’une séance de radiothérapie. Dans un sac plastique, elle conserve une sorte de tuba et un pince-nez qu’elle doit utiliser à chaque séance pour éviter de bouger au maximum. « J’ai l’impression d’être à la mer », plaisante-t-elle. Les vacances à Noirmoutier attendront ; une séance de radiothérapie est programmée tous les jours jusqu’à début août, et avec la maladie, elle a perdu la moitié de ses revenus de consultante indépendante en RSE (Responsabilité sociétale des entreprises).
Son meilleur ami mort d’un cancer à 46 ans
La chimiothérapie, elle l’avait démarrée en janvier, au moment où commençait l’examen de la PPL Duplomb. « Au début, je me disais que c’était tellement énorme que ça ne passerait jamais. » Quand le cancer a débarqué dans sa vie faite de mille vies – elle a notamment cogéré un magasin de sextoys (« sans phtalates », précise-t-elle) pendant six ans après avoir été « saoulée d’enrichir un fonds de pension de retraités américains » lorsqu’elle assurait la communication de Playstation –, Fleur Breteau n’a pas non plus pris sa maladie trop au sérieux. Une façon de se protéger. Le cancer frappait au même moment à la porte d’un membre de sa famille et de son meilleur ami : « On formait le Cancer Comedy Club » La plaisanterie s’est arrêtée le 31 août 2024, quand son complice est mort à 46 ans, laissant une fillette de 10 ans sans père. Le même jour, on lui diagnostique un deuxième cancer du sein. Fleur Breteau n’a pas d’enfants, mais elle en croise à l’institut Gustave-Roussy. Beaucoup. Parmi eux, un garçon de 10 ans, traité pour une tumeur au cerveau. Sa mère, atteinte d’un cancer du sein, lui a raconté que deux autres enfants souffraient de la même pathologie dans son école. Ils vivent en Seine-et-Marne, « le département d’Arnaud Rousseau [le président de la FNSEA, fervent défenseur de la loi Duplomb] », tient à souligner la militante.
Entre les séances de chimiothérapie, elle a beaucoup parlé avec les autres malades. Auteur d’un roman – L’Amour, accessoires (Verticales, 2017) – inspiré des confidences des clients du sex-shop qu’elle a dirigé, Fleur Breteau prend beaucoup de notes dans son carnet. Sur les études documentant le « tsunami » (dixit le directeur de Gustave-Roussy) de cancers qui menace en particulier les jeunes et les femmes (la France est championne du monde des cancers du sein), sur les publications scientifiques montrant les liens entre exposition aux pesticides et cancers, sur ces géants de l’agrochimie comme Bayer qui font aussi fortune avec les traitements contre le cancer… Alors, quand les sénateurs ont adopté la PPL Duplomb, le 27 janvier, Fleur Breteau a été « submergée de colère » : « Cancer Colère est né en trois secondes ».
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Trop faible pour lire ou écrire, la quinquagénaire – qui dit être devenue nonagénaire en quelques mois – se lance dans des petits dessins illustrant des slogans très politiques : des têtes nues crient « les industriels nous empoisonnent ! Exigeons l’interdiction des pesticides », un visage constitué à partir des noms des géants de l’agroalimentaire et de la chimie hurle« mon cancer porte un nom », une banane au chlordécone rappelle que « prévenir le cancer, c’est aussi lutter contre les inégalités sociales ». Autant de stickers aujourd’hui placardés sur les pylônes de l’abri de la station de taxis à l’entrée de Gustave-Roussy : « Quand les vigiles m’ont vu faire, ils me sont tombés dessus ; maintenant, ils empêchent qu’on les décolle. »
« L’activisme est une thérapie »
Emmanuel Macron ne les a pas vus lorsqu’il est s’est rendu à l’institut, le 4 février, journée mondiale contre le cancer, pour poser la première pierre d’un bâtiment consacré à l’innovation en cancérologie et exprimer sa « gratitude envers nos soignants, chercheurs et entrepreneurs qui incarnent l’espoir ». « C’est quoi l’espoir pour une femme de 29 ans à qui on retire ses seins, ses ovaires, son utérus ?, interroge la militante. Macron évoque l’espoir des traitements pour mieux taire les causes environnementales de cette épidémie. » L’« espoir », pour Fleur Breteau, passe par le soutien à une agriculture respectueuse du « vivant ».
Avec des parents d’enfants victimes des pesticides (l’ex-fleuriste Laure Marivain dont la fille Emmy est décédée à 11 ans d’un cancer à la suite d’une exposition in utero, Sabine Grataloup, engagée dans un procès contre Bayer/Monsanto pour son fils Théo, né avec des malformations après une exposition au glyphosate, ou encore Franck Rinchet-Girollet, qui alerte sur les cancers pédiatriques dans la plaine céréalière d’Aunis, près de La Rochelle), elle a déposé une autre pétition à l’Assemblée nationale le 16 juillet. Elle réclame la sortie des pesticides de synthèse pour « mettre fin à l’empoisonnement silencieux ».
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« Tous les jours, je reçois des messages, y compris d’agriculteurs, qui ne veulent plus se taire, qui ne veulent plus être broyés par le système », dit Fleur Breteau. Cancer Colère compte une vingtaine de membres actifs (malades, anciens malades, aidants…) et plus de 400 demandes d’adhésions : « On est submergés. » Présent sur Instagram et Facebook, le collectif est en pleine structuration. A la rentrée, il devrait disposer d’un site Internet et d’antennes dans toute la France. Des tractages sont prévus en septembre devant les hôpitaux. « L’activisme est une thérapie, on a l’impression de ne plus être une petite chose qu’on trimbale de chimio en radiothérapie et de reprendre notre vie en main, dit Fleur Breteau. Un traitement qui donne la patate, mais sans effets secondaires. »