« Les investisseurs préfèrent la stabilité d’un régime penchant vers l’autoritarisme aux soubresauts inhérents aux démocraties »
Chronique
Le taux des obligations d’Etat italiennes se rapproche de celui des obligations françaises : la planète finance applaudit la politique économique de Giorgia Meloni, sans considération pour les dérives antidémocratiques de son gouvernement, observe, dans sa chronique, Marie Charrel.
Publié le 10 juillet 2025 à 05h00, modifié le 10 juillet 2025 à 09h55 https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/07/10/les-investisseurs-preferent-la-stabilite-d-un-regime-penchant-vers-l-autoritarisme-aux-soubresauts-inherents-aux-democraties_6620356_3232.html
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Loin des annonces tapageuses de Donald Trump, dans l’un de ces lieux d’échanges virtuels dont le grand public n’a vent que lors des crises, un petit séisme est à l’œuvre. A savoir, sur le marché des obligations souveraines, où les investisseurs opèrent une hiérarchie sans concession entre les Etats en fonction de leur crédibilité financière.
Lundi 7 juillet, l’écart entre les taux des obligations d’Etat françaises et italiennes à dix ans est tombé à 20 points de base seulement (soit 0,2 %), et, selon nombre d’observateurs, il pourrait disparaître d’ici peu. En octobre 2023, il dépassait encore les 145 points. Au plus fort de la crise des dettes, à l’été 2012, il était au-delà des 400 points. L’évaporation de cet écart est éclairante sur le regard que les investisseurs portent sur ces deux pays. D’un côté, l’Hexagone s’enlise dans une crise politique à l’issue incertaine, peinant à remettre ses finances publiques en ordre : le déficit public s’est établi à 5,8 % du produit intérieur brut (PIB) en 2024, selon Eurostat, laissant craindre un emballement de la dette publique, qui dépasse 113 % du PIB.
De l’autre côté des Alpes, en revanche, le déficit public a nettement chuté, passant de 8,9 % du PIB en 2021 à 3,4 % en 2024. Si la tendance se poursuit, une réduction de la dette publique, actuellement de 135,3 % du PIB, sera possible. Surtout, l’arrivée au pouvoir de la figure d’extrême droite Giorgia Meloni, en 2022, a mis fin à la valse des gouvernements observée depuis la crise de 2008, ouvrant une ère de certitudes. Il en va ainsi des marchés financiers : les investisseurs préfèrent la stabilité et la prévisibilité d’un régime penchant vers l’autoritarisme aux soubresauts inhérents aux démocraties. Tant que les décisions d’exécution rapide des autocrates servent les intérêts économiques, ils s’accommodent plutôt bien.
Du moins, à court terme. Car, sur le temps long, l’affaiblissement de l’Etat de droit, l’arbitraire et la disparition des contre-pouvoirs finissent toujours par saper les fondements d’une économie saine et par doucher les financiers. Sans même parler des considérations démocratiques.
Chiffres artificiellement gonflés
Depuis quelque temps, ces dernières sont étrangement reléguées au second plan dans les commentaires laudateurs sur la politique « probusiness » de Giorgia Meloni, régulièrement qualifiée de pragmatique. « Je suis très admiratif de ce qui se passe en Italie », déclarait ainsi le président du Medef, Patrick Martin, à propos de la baisse du déficit observé chez nos voisins, le 7 janvier, dans L’Express.
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Fin mai, des données issues d’Eurostat indiquant que le PIB par habitant (en parité de pouvoir d’achat) de l’Italie allait, en 2025, dépasser celui de la France, ont également valu une pluie d’applaudissements au pays. En 2024, la richesse par habitant de la Péninsule était en effet l’équivalent de 98 % de celle de la moyenne européenne, et presque au niveau de celle de la France (99 %). En 2019, ces chiffres étaient respectivement de 96 % et de 105 %, signe du décrochage français. « Gifle italienne à Macron. Maintenant, nous sommes aussi riches qu’eux », se félicitait le quotidien conservateur Il Giornale, le 31 mai.
Pas exactement. Si la richesse par tête augmente en Italie, c’est en grande partie parce que sa population diminue. Entre 2014 et 2024, celle-ci a chuté de 60,2 à 58,9 millions d’habitants, tandis que celle de la France a progressé de 66,1 à 68,4 millions, selon Eurostat. En outre, les chiffres de la croissance transalpine (0,7 % en 2023 et en 2024) ont été artificiellement gonflés par les énormes fonds européens touchés par le pays.
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Il reste que la fascination pour les supposés résultats de Meloni en dit long sur l’époque. En d’autres temps, la guerre qu’elle mène contre les juges, la multiplication des procès en diffamation visant à intimider les journalistes, la répression des mouvements pacifistes ou encore sa politique migratoire violant les droits humains auraient profondément indigné ses partenaires européens. Mais, aujourd’hui, chancelant devant la montée en puissance des extrêmes droites également à l’œuvre chez eux, ils ne s’en émeuvent guère.