Le gouvernement renonce à réduire la période de chasse d’oiseaux migrateurs en déclin, comme la caille des blés ou le canard siffleur
Le ministère de la transition écologique a dû modifier un projet d’arrêté qui visait à limiter les prélèvements de certaines espèces, à la satisfaction des chasseurs. Le gouvernement estime que cet arbitrage permettra de mieux connaître le nombre d’oiseaux tués en France chaque année.

Le projet d’arrêté ministériel sur la chasse des oiseaux migrateurs a sans surprise reçu un avis favorable, mercredi 16 juillet, du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage (CNCFS). Et pour cause : à l’issue d’un véritable bras de fer, c’est une version largement révisée de ce texte qui a finalement été soumise à cette instance, au sein de laquelle les chasseurs sont majoritaires. Pour se mettre en conformité avec les recommandations de la Commission européenne, le ministère de la transition écologique avait initialement prévu des mesures visant à restreindre les prélèvements de certaines espèces en fort déclin à l’échelle européenne. Sous la pression des chasseurs et de nombreux responsables politiques, le gouvernement a finalement revu ses ambitions à la baisse, suscitant la satisfaction de la Fédération nationale des chasseurs (FNC) et la déception des associations de protection de la nature.
Au centre des débats, sept espèces d’oiseau, en mauvais état de conservation dans l’Union européenne. En novembre 2024, des experts des directives européennes « oiseaux » et « habitats » émettent des recommandations sur la chasse de ces différentes espèces (parmi d’autres), après avoir évalué leur statut de conservation. Ces scientifiques préconisent la mise en place de moratoires temporaires pour le canard siffleur, le fuligule milouin, la caille des blés et la grive mauvis, jusqu’à la mise en place d’une gestion adaptative (ajustée selon l’état de l’espèce), ainsi que la réduction de moitié des prélèvements de canards pilets, de canards souchets et de sarcelles d’hiver.
Ces oiseaux voient leurs populations fortement décliner : celle du fuligule milouin s’est effondrée de 30 % en seize ans, celle du canard siffleur de moitié en douze ans, celle de la caille des blés de 25 % en dix ans…
Le 19 juin, le ministère de la transition écologique met sur la table un premier projet d’arrêté reprenant en partie ces recommandations : un moratoire de trois ans pour le fuligule milouin, et pour les autres espèces une modification des périodes de chasse, avec notamment une date de fermeture plus précoce. Pour la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), cette option va dans le bon sens. « Globalement, c’est lorsqu’ils descendent vers le sud, puis quand ils remontent, que les oiseaux se font tuer en France, explique Cédric Marteau, son directeur général. En réduisant la chasse à ces deux périodes, on peut mécaniquement réduire la pression. »
« Ne pas rallumer la guerre des chasses »
La FNC, de son côté, dénonce aussitôt une « déclaration de guerre » lancée par le ministère de la transition écologique, décrit comme voulant « laver plus vert que vert ». « Pour la ministre Agnès Pannier-Runacher, la science n’a de valeur que lorsqu’elle va dans le sens du vent idéologique de son obsession récente à laisser une trace verte dans l’histoire politique », accuse son président, Willy Schraen.
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Un grand nombre d’élus montent au créneau pour relayer les messages de la FNC. Le 24 juin, des parlementaires d’extrême droite publient une lettre ouverte dans laquelle ils demandent le retrait d’un projet d’arrêté « d’une violence inouïe ». Le même jour, 47 députés du groupe d’études chasse et pêche de l’Assemblée nationale, dont des élus démocrates, socialistes ou membres d’Ensemble pour la République, expriment leur « désapprobation » en « refusant toute surtransposition » et décisions « non scientifiquement justifiées ». Le député de gauche François Ruffin interpelle lui aussi la ministre, l’appelant à « ne pas rallumer la guerre des chasses ». Le 26 juin, la FNC boycotte la réunion du CNCFS au cours de laquelle le projet d’arrêté aurait dû être examiné.
Sous pression, le ministère révise sa copie. Le nouveau projet ne prévoit plus de moratoire pour le fuligule milouin, mais un plafond de prélèvement doit être fixé sur proposition d’un comité d’experts – les associations en contestent la composition et refuseront d’y participer. Exit aussi la limitation des périodes de chasse : le gouvernement fixe désormais un prélèvement maximal de 15 oiseaux par jour et par chasseur pour la caille des blés et de 25 individus par nuit pour les autres espèces.
« La science et le droit bafoués »
Dans l’entourage d’Agnès Pannier-Runacher, on défend cet arbitrage, fruit d’une « négociation », en expliquant qu’il permettra d’obtenir enfin une estimation du nombre d’oiseaux tués chaque année en France. L’arrêté prévoit que tout chasseur ayant tué un individu le déclare immédiatement sur une application mobile. « Nous pourrons enfin compter le nombre d’oiseaux tués, ce qui nous permettra ensuite de mieux adapter le nombre de prélèvements, insiste le cabinet de la ministre. Nous partons d’extrêmement loin puisqu’il n’y a aucun chiffre. » Le 27 juin, la FNC salue « le retour du bon sens et de la science ».
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Les associations de protection de la nature, au contraire, se disent « consternées que la science et le droit soient de nouveau bafoués », alors que la Commission européenne a encore rappelé les Etats à leurs obligations le 30 juin. Les plafonds de prélèvement fixés sont considérés comme « des limites énormes », la France comptant près d’un million de chasseurs. « Le suivi des populations au niveau européen est suffisant pour connaître la dynamique des populations, insiste Cédric Marteau. Quand les populations vont mal, il faut baisser la pression de tirs. Compter combien d’individus sont tués n’est pas le sujet ; le sujet est de ne plus – ou moins – en tuer. »