Guerre à Gaza : l’UE renonce pour l’instant à sanctionner Israël
Bruxelles a reconnu que l’Etat hébreu enfreint l’article 2 de son accord d’association avec l’UE, portant sur le respect des droits humains. Mais, faute de consensus sur des mesures de rétorsion, les Vingt-Sept se contentent d’un engagement d’Israël à réautoriser les livraisons d’aide humanitaire.
Les pays membres de l’Union européenne (UE) ont estimé préférable, pour l’instant, de ne pas sanctionner Israël, lors d’une réunion des ministres des affaires étrangères des Vingt-Sept, mardi 15 juillet, alors que les massacres de civils se poursuivent à Gaza de manière quasi ininterrompue depuis plus de vingt et un mois.
Réunis une dernière fois avant les vacances d’été à Bruxelles, les 27 ministres devaient se positionner sur les suites à donner au rapport préparé par la cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, sur le non-respect par l’Etat hébreu de l’accord d’association avec l’UE ; il avait été dévoilé à la mi-juin. Selon ce document, « il existe des indications selon lesquelles Israël n’aurait pas respecté ses obligations en matière de droits de l’homme », principe mentionné dans l’article 2 de l’accord.
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Néanmoins, les Etats de l’UE ont refusé, pour l’instant, d’endosser une ou plusieurs des 10 mesures de rétorsion présentées pendant la réunion de mardi par la haute représentante. Ces sanctions vont d’une suspension de l’accord d’association à des mesures plus ciblées, comme un embargo contre les produits issus des colonies juives de Cisjordanie ou la suspension de la participation d’Israël à certains programmes européens, comme Erasmus pour les étudiants et Horizon pour les chercheurs.
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Malgré les pressions de plus de 200 organisations non gouvernementales (ONG), d’anciens diplomates et de plusieurs Etats, comme l’Espagne, l’Irlande et la Slovénie, premiers soutiens des Palestiniens au sein de l’UE, ces mesures n’ont pas été discutées dans le détail, confirment plusieurs sources diplomatiques. Mme Kallas n’a même pas proposé d’échelonner ces sanctions, des plus bénignes au plus dures, regrette un diplomate européen.
Si quelques pays exigent des sanctions, la moitié des Etats membres ne veulent toujours pas en entendre parler, à commencer par l’Allemagne, la République tchèque et l’Italie. Présent lundi à Bruxelles, pour une réunion avec ses homologues du pourtour méditerranéen, Gideon Saar, le chef de la diplomatie israélienne, avait déclaré être « sûr qu’aucune [mesure] ne sera[it] adoptée par les Etats membres ».
Un « arrangement » avec l’Etat hébreu
La nécessité d’améliorer la situation humanitaire des Gazaouis est le seul sujet sur lequel s’entendent les Vingt-Sept. Kaja Kallas s’est donc saisie ces dernières semaines de l’examen de l’accord d’association et de la menace de sanctions comme d’un levier diplomatique pour forcer Israël à lever le quasi-blocus humanitaire infligé au territoire palestinien.
Jeudi 10 juillet, l’ex-première ministre estonienne a ainsi annoncé un « arrangement » avec l’Etat hébreu. Ce dernier s’est engagé à laisser entrer quelque 160 camions d’aide humanitaire par jour – contre 500 camions quotidiens avant le 7 octobre 2023, date de la sanglante attaque d’Israël par le Hamas –, par l’intermédiaire des ONG et des agences des Nations unies, à ouvrir huit voies d’accès à la bande côtière et à lancer les réparations de certaines infrastructures d’eau et d’électricité.
Si des points de passage ont été rouverts et que quelque 80 camions, selon l’UE, ont pu pénétrer dans le territoire, la haute représentante soulignait, mardi : « Nous ne voyons pas encore suffisamment d’améliorations sur le terrain. Nous devons vraiment voir que cela, tout cela – ce que nous sommes convenus – se produit. »
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Ce résultat pour l’instant modeste n’a pas empêché le ministre des affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot, de se féliciter de l’approche de l’UE. « Au Proche-Orient, l’Union européenne est la première puissance, depuis le 2 mars et la violation du cessez-le-feu, à avoir obtenu du gouvernement israélien des concessions substantielles en matière d’accès à l’aide humanitaire, a-t-il déclaré. Comme quoi, lorsqu’elle s’en donne les moyens, l’Union européenne est capable de faire bouger les lignes. » « Tout ce qui peut briser le blocus inhumain qu’Israël a imposé aux habitants de Gaza est une bonne chose », a déclaré le chef de la diplomatie espagnole, José Manuel Albares, avant de s’interroger tout haut : « Quel mécanisme de contrôle et de vérification sera mis en place pour garantir le respect effectif de ces principes ? »
Selon l’arrangement, il revient au représentant de l’UE dans la région, Christophe Bigot, et à la direction pour la protection civile et les opérations humanitaires de la Commission, en lien avec les agences de l’ONU, les autorités israéliennes et les pays frontaliers où est stockée l’aide, de suivre et contrôler cet accord.
Maintenir la pression
Mme Kallas a promis aux ministres de leur dresser un bilan de la situation à Gaza toutes les deux semaines, et d’évoquer le sujet à Copenhague, le 28 août, lors de la prochaine rencontre des ministres. Cette réunion étant informelle, il ne pourra pas être pris de décisions contraignantes contre Israël, en cas d’absence d’amélioration sur le terrain, souligne un diplomate. Il faudra attendre octobre, au plus tôt.
Au-delà de l’engagement d’Israël à autoriser le retour d’une partie de l’aide stockée derrière les frontières de Gaza, MmeKallas n’a obtenu aucune garantie sur les opérations à venir. « Notre seule garantie, assure-t-elle, c’est le catalogue d’options [l’éventail de sanctions liées à l’examen de l’article 2 de l’accord d’association]. Les Etats membres pourront s’en saisir si la situation est toujours aussi intolérable. »
Pour la diplomatie israélienne, cet arrangement humanitaire a permis de mettre en pause non seulement le débat sur l’avenir de l’accord d’association, mais également « d’échapper à des critiques sur toutes ses autres actions, comme les meurtres de civils à Gaza ou la colonisation en Cisjordanie, souligne Martin Konecny, du groupe de réflexion European Middle East Project. Si l’UE allège la pression maintenant, Israël ne ressentira pas le besoin de tenir ses promesses, aussi faibles soient-elles dans le domaine humanitaire. »
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Pour Hugh Lovatt, chercheur du Centre européen pour les relations internationales, les Européens doivent maintenir la pression par la perspective de sanctions, non seulement pour assurer le retour de l’aide humanitaire à Gaza, mais également pour pousser l’Etat hébreu à accepter un accord de cessez-le-feu permanent et à mettre fin à toutes les violations des droits fondamentaux, tant à Gaza qu’en Cisjordanie.
« Ceux qui prônent une approche attentiste achètent du temps dont la monnaie est le sang palestinien, se désole, sur X, Claudio Francavilla, de l’ONG Human Rights Watch. Ceux qui veulent mettre un terme à cette situation ne devraient plus accepter l’inaction. »