Réduction de la dette : « En rognant sur les dépenses de santé, Bayrou préfère augmenter les frais des plus malades »
Entretien
Par Chloé Sémat
Publié le 16/07/2025 à 17:58
Augmentation du plafond des franchises médicales, révision du statut des patients reconnus en affection longue durée (ALD)… Ce mardi 15 juillet, le Premier ministre, François Bayrou, a présenté ses propositions pour redresser les finances publiques, notamment dans le domaine de la santé. Des mesures qui seront actées au détriment des patients souffrant de maladies chroniques ? Entretien avec Brigitte Dormont, professeure émérite d’économie à l’Université Paris Dauphine.
Quand il s’agit de réduire la dette de la France, le regard des autorités est souvent rivé sur le secteur de la santé. Pour cause, le manque à gagner de la Sécurité sociale s’élèvera à 22,1 milliards d’euros en 2025, dont 16 milliards pour la seule Assurance maladie. « Nous devons responsabiliser les patients », a ainsi martelé le Premier ministre, François Bayrou, lors de la révélation de ses orientations pour redresser les finances publiques, ce mardi 15 juillet.
Ainsi, le gouvernement vise 5 milliards d’euros d’économies sur les dépenses sociales, sur les 43,8 milliards d’euros d’économies recherchés dans le prochain budget. Pour ce faire, l’exécutif entend doubler le plafond de la franchise médicale – ces sommes restant à la charge des patients lorsqu’ils achètent des médicaments –, qui passerait ainsi de 50 à 100 euros par an et par assuré.
Les dépenses de santé augmentent plus vite que le PIB. Cette situation est liée au fait qu’il y a des progrès médicaux avec des soins plus performants et plus coûteux qui sont développés et rendus accessibles à toute la population grâce aux remboursements de la Sécurité sociale en France ou par les assurances sociales dans les autres pays européens.
En contrepartie de ces dépenses, on constate d’importants gains en santé et longévité obtenus grâce à ces innovations. La population est d’ailleurs favorable à ces évolutions, comme le montrent plusieurs enquêtes. De fait, affirmer dans ce contexte qu’il faut raboter les dépenses de santé est loin d’être une évidence. C’est plutôt un choix politique qui consiste à arrêter de financer largement l’accès aux soins médicaux et éroder la couverture par la Sécurité sociale.
En matière de santé, il existe trois manières de dépenser moins : on peut retirer des soins du panier remboursé, réduire la couverture de la Sécu en diminuant l’étendue de la solidarité entre malades et bien portants ou bien gagner en efficience en essayant, par exemple, de mieux négocier les prix des innovations médicamenteuses.
Les mesures avancées par François Bayrou se feront-elles au détriment des patients ?
Bien sûr ! L’augmentation du plafond de la franchise en est un premier exemple. Ces franchises sont payées par les patients qui requièrent le plus de soins et qui sont en ALD. Il s’agit donc d’une diminution de la solidarité par rapport aux plus malades. Cette annonce peut sembler choquante, d’autant que je ne suis pas sûre qu’elle rapporte énormément.
Plutôt que d’augmenter la contribution sociale généralisée (CSG) pour tout le monde ce qui laisserait intact le rapport de solidarité le Premier ministre décide d’augmenter le plafond du reste à charge. Ainsi, il préfère augmenter la dépense pour les plus malades plutôt que d’acter une petite augmentation de cotisation.
Qu’en est-il de la révision du statut de l’ALD ?
La proportion des patients en ALD augmente continuellement parmi les assurés sociaux, et par définition, ils consomment beaucoup plus de soins que les autres. Si le gouvernement veut changer ce système, c’est parce que ces patients sont couverts à 100 % par la Sécupour les soins liés à leur maladie chroniques.
Or, étant donné le vieillissement de population française et l’augmentation de la proportion des personnes en ALD, le gouvernement souhaite éviter ce glissement continuel qui dure depuis des années. En effet, le taux de couverture moyen par la Sécurité sociale augmente dans le temps : entre 2012 et 2022, il est passé de 76 % à 79,6 %, sans aucun changement paramétrique.
« 20 % des Français sont en affection de longue durée contre 5 % de la population allemande. […] Et je ne crois pas que les Français soient en plus mauvaise santé que les Allemands » , a affirmé le Premier ministre. Le système allemand est-il vraiment plus efficient ?
Les chiffres évoqués par le Premier ministre sont issus du rapport Charges et produits, réalisé par la Caisse nationale d’Assurance maladie (Cnam). Mais en réalité, les systèmes allemand et français ne sont pas comparables. En France, la particularité, c’est qu’il existe des tickets modérateurs et pas de plafond de paiement de reste à charge des patients.
Ce problème est d’ailleurs clairement apparu pendant la crise sanitaire et le directeur de l’AP-HP avait communiqué à ce sujet. Les patients qui se retrouvaient en réanimation, intubés à l’hôpital, étaient souvent issus de classes sociales défavorisées et donc sans complémentaire santé. Ils se retrouvaient parfois avec des restes à charge de 10 000 euros, qu’ils ne pourront pas payer Et l’AP-HP, de son côté, subissait des impayés monumentaux.
Ce système n’existe pas en Allemagne, ni dans les autres pays européens, où il existe un plafond. Nous sommes nombreux à proposer d’établir un tel plafond parce que les conséquences sont assez dramatiques. Il permet à tous les patients, au bout d’une certaine somme, d’être remboursés à hauteur de 100 % pour leurs frais. C’est une sécurité financière indispensable.
Pour sa part, l’Allemagne a un plafond annuel de reste à charge égal à 2 % du revenu mensuel. Et pour les patients atteints d’une maladie chronique, le plafond est abaissé de moitié. De fait, toute la population est protégée.
En France il faut rappeler qu’en moyenne, les patients payent 475 euros de restes à charge, et les personnes en ALD, 777 euros. Et pour les 10 % des personnes qui consomment le plus de soins, ces restes à charge s’élèvent à 4153 euros pour les patients en ALD.
Par Chloé Sémat
Note complémentaire:
En période de croissance du PIB, on ne fait que modifier le partage des fruits de la croissance entre santé et consommation, on ne diminue pas le revenu ni la consommation pour avoir plus de santé. Et nous sommes encore dans cette situation-là.
Or les discours alarmistes du type « ce n’est pas soutenable » suggèrent qu’il faudrait se priver (faire diminuer la consommation) pour financer la santé. C’est faux. C’est juste que la santé utilisera une part plus grande de la croissance du gâteau à venir.
Mais comme c’est la Sécu et donc des dépenses socialisée, cela fait croitre la part de la dépense collective dans le PIB, et donc, terrible perspective, une socialisation croissante de la production ! C’est ça que nos gouvernants veulent écarter avec leurs discours alarmistes fallacieux !!
Brigitte Dormont