Solidarité territoriale des médecins : « C’est une douce illusion », estime Valletoux
Dans une interview à La Dépêche, le député Frédéric Valletoux, ex-ministre chargé de la Santé, s’est exprimé sur la mission de solidarité territoriale. Pour lui, appeler les médecins à consulter volontairement dans des zones sous-dotées est peu efficace et d’autres mesures, qui tardent à se mettre en place, le seraient davantage.
Par Pauline Machard
« Une façon très cosmétique de regarder le problème des déserts médicaux. » C’est en ces termes que l’ancien ministre chargé de la Santé, Frédéric Valletoux, aujourd’hui député (Horizons) de Seine-et-Marne et président de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, qualifie dans une interview accordée à La Dépêche, l’annonce des 151 « zones rouges » concernées par la mission de solidarité territoriale.
Pour rappel, le principe de « solidarité territoriale » est une mesure centrale dans le pacte de lutte contre les déserts médicaux annoncé fin avril par François Bayrou, qui vise à inciter les médecins issus de territoires mieux dotés à se rendre jusqu’à deux jours par mois dans une zone particulièrement sous-dotée. Le Gouvernement souhaite mettre en place ce dispositif dès septembre prochain. Dans la phase pilote, le renfort se fera sur la base du volontariat, mais des mesures législatives plus contraignantes viendront compléter le dispositif.
Pour le député Horizons, comme cette mesure vient « s’ajouter à d’autres, peut-être que l’accumulation de décisions va permettre que les choses aillent mieux, mais personne ne croit vraiment que cette affaire de consultations volontaires va changer quelque chose, d’autant que les organisations syndicales sont bien peu allantes sur le sujet« .
Il faudrait « déjà mettre en œuvre les mesures qui attendent toujours«
Interrogé par le quotidien régional sur ce « qui pourrait vraiment changer les choses », l’ancien ministre a répondu : « Ce qu’il faudrait, c’est déjà mettre en œuvre les mesures qui attendent toujours. » Citant « l’obligation pour les cliniques privées de participer à la permanence des soins pour soulager les hôpitaux. Ça a été voté en décembre 2023, mais les décrets d’application n’ont toujours pas été pris« .
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Le politique évoque aussi le « déploiement sur le territoire des 3700 médecins généralistes de quatrième année d’internat, des docteurs juniors, que l’on va répartir sur le territoire. Cela représente en moyenne une quarantaine de docteurs juniors par département, qui seront habilement répartis », déclare-t-il dans les colonnes du journal. Il estime que cette dernière mesure « aura un vrai impact, car un docteur junior, c’est quelqu’un qui consulte et prescrit en autonomie, donc qui double la capacité d’un cabinet classique ».
Il estime que « cela va fonctionner, car les docteurs juniors n’auront pas le choix : ils seront affectés dans certains endroits et devront y aller« . « On espère que les médecins iront volontairement dans des zones non pourvues, alors qu’eux-mêmes, dans leurs cabinets, sont débordés. C’est une douce illusion« , poursuit-il.
[Avec La Dépêche]
ENTRETIEN. Déserts médicaux : « Personne ne croit que les consultations volontaires vont changer quelque chose »

Santé, Politique, France – Monde
Publié le 03/07/2025 à 06:31 https://www.ladepeche.fr/2025/07/03/entretien-deserts-medicaux-personne-ne-croit-que-les-consultations-volontaires-vont-changer-quelque-chose-12795792.php
Pour l’ancien ministre de la Santé, Frédéric Valletoux (Horizons), proche d’Édouard Philippe, demander à des médecins d’aller volontairement consulter dans des déserts médicaux ne sert à rien. Pour lui, il faut appliquer d’autres mesures qui, bien que votées, tardent à se mettre en place.
Le ministre de la Santé, Yannick Neuder, a annoncé l’identification de 151 « zones rouges » touchées par les déserts médicaux, représentant deux millions de patients. Dès septembre 2025, ces territoires recevront la visite de médecins généralistes jusqu’à deux jours par mois pour des missions dites « de solidarité obligatoire ». Elles reposeront d’abord sur le volontariat, avec une compensation financière. Qu’en pense l’ancien ministre de la Santé du gouvernement Attal, Frédéric Valletoux, aujourd’hui député de Seine-et-Marne et président de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale ?
Que pensez-vous de cette carte de 151 zones considérées comme étant des déserts médicaux vers lesquelles vont être envoyés les médecins ?
Frédéric Valletoux : Fonder la politique de lutte contre les déserts médicaux sur l’idée que l’on va demander à certains médecins s’ils acceptent, dans certaines situations, de consacrer quelques heures par semaine à des consultations dans des zones blanches pas trop loin de chez eux me semble être une façon très cosmétique de regarder le problème des déserts médicaux. Comme cela vient s’ajouter à d’autres mesures, peut-être que l’accumulation de décisions va permettre que les choses aillent mieux, mais personne ne croit vraiment que cette affaire de consultations volontaires va changer quelque chose, d’autant que les organisations syndicales sont bien peu allantes sur le sujet.
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Qu’est-ce qui pourrait vraiment changer les choses ?
Ce qu’il faudrait, c’est déjà mettre en œuvre les mesures qui attendent toujours, comme l’obligation pour les cliniques privées de participer à la permanence des soins pour soulager les hôpitaux. Ça a été voté en décembre 2023, mais les décrets d’application n’ont toujours pas été pris. Je pense aussi au déploiement sur le territoire des 3 700 médecins généralistes de quatrième année d’internat, des docteurs juniors, que l’on va répartir sur le territoire. Cela représente en moyenne une quarantaine de docteurs juniors par département, qui seront habilement répartis. C’est une mesure qui aura un vrai impact, car un docteur junior, c’est quelqu’un qui consulte et prescrit en autonomie, donc qui double la capacité d’un cabinet classique. Cela va fonctionner, car les docteurs juniors n’auront pas le choix : ils seront affectés dans certains endroits et devront y aller. On tourne toujours autour du même pot. On espère que les médecins iront volontairement dans des zones non pourvues, alors qu’eux-mêmes, dans leurs cabinets, sont débordés. C’est une douce illusion.
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Le 18 juin dernier, une proposition de loi a été votée au Sénat, qui exige de prendre en compte les besoins des territoires pour fixer le nombre d’étudiants. C’est une bonne chose ?
Tout à fait, cela signifie que nous pouvons nous adapter aux besoins. Mais je le répète, des mesures sont déjà prêtes à être mises en œuvre. Je donne un autre exemple : les infirmiers en pratique avancée. Ce ne sont pas des sous-médecins, et ils ne doivent pas l’être. Ce sont des professionnels qui, à mi-chemin entre les infirmiers diplômés après trois années d’études et les médecins formés en dix à quinze ans, peuvent exercer après un cursus de cinq ans. Ils et elles auraient la possibilité de prescrire afin de suivre les pathologies chroniques de certains patients, qui n’ont pas toujours besoin d’aller voir leur médecin pour vérifier leurs indicateurs de santé. Malheureusement, les textes créant ce statut ne sont toujours pas appliqués, car il y a peu d’entrain de la part de l’administration.
On sait qu’un ministre doit suivre ses dossiers s’il ne veut pas qu’ils soient enterrés. L’instabilité politique, qui a engendré un important turnover au ministère de la Santé, ralentit-elle l’application des mesures votées ?
C’est évident. J’ai été le septième ministre de la Santé en sept ans, Yannick Neuder le neuvième en sept ans… Dans ce contexte, c’est l’administration qui gouverne. Quand j’étais rue de Ségur (NDLR : le siège du ministère de la Santé), l’administration me regardait comme un ministre de passage, et l’histoire lui a donné raison. Cette rotation très importante renvoie l’idée que la santé est accessoire, mais surtout, elle ne peut que déboucher sur une forme d’immobilisme.
Commentaire Dr Jean Scheffer:
La mission de solidarité territoriale du ministre M. Neuder* a peu de chance d’améliorer les inégalités d’accès aux soins dans la mesure ou « la mission de solidarité obligatoire » dans les zones rouges** n’est pas contraignante. De plus ces dernières ne concernent que 4 millions de nos concitoyens pour 10 millions qui sont dans des déserts médicaux.
L’ancien ministre et ancien Président de la Fédération Hospitalière de France, F. Valletoux confirme l’inefficacité du projet gouvernemental dont le but était en réalité de torpiller la loi inter partisane de Guillaume Garot***, votée par l’assemblée. C’est la seule a proposer une régulation des installations. Cependant cette dernière serait à minima car seuls 435 médecins généralistes sur 2300 seraient potentiellement concernés chaque année***.
Voir aussi:
*https://environnementsantepolitique.fr/2025/06/28/la-mission-de-solidarite-territoriale-de-m-neuder-plutot-que-de-demander-beaucoup-a-peu-de-medecins-autant-demander-peu-mais-a-beaucoup/
**https://environnementsantepolitique.fr/2025/06/27/lobligation-volontaire-demandee-aux-medecins-pas-le-gouvernement-ne-peut-etre-quun-grand-fiasco/
***https://environnementsantepolitique.fr/2025/04/15/loi-inter-partisane-garot-quest-ce-que-cest/