IGAS et Finances font le point sur la financiarisation de la santé

Financiarisation de la santé : un nouveau rapport appelle à garantir l’indépendance des médecins

Dans un rapport rendu public mercredi 9 juillet, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des finances (IGF) s’attèlent notamment à explorer diverses pistes pour limiter les conséquences indésirables du phénomène de financiarisation du système de santé. 

11/07/2025 https://www.egora.fr/gestion-du-cabinet/juridique/financiarisation-et-independance-des-medecins-bataille-juridique-au

Par Pauline Machard

Rapport

Cinq. C’est le nombre de leviers que proposent conjointement l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des finances (IGF) dans la quatrième partie de leur rapport sur les « causes et effets de la financiarisation du système de santé »*, rendu public mercredi 9 juillet. Les deux inspections y livrent leurs propositions pour « éviter les risques liés à la financiarisation et tirer avantage de l’existence d’acteurs de grande taille ».

En appui de leurs préconisations, les deux grands corps de l’Etat arguent « qu’en matière de santé, l’investissement privé n’a d’intérêt que s’il contribue à l’amélioration durable de la qualité et de l’accessibilité des soins, dans le respect de l’indépendance de l’exercice des professionnels« . À ce titre, ils considèrent que « des défis nouveaux sont à relever pour le régulateur public ». « L’enjeu pour les pouvoirs publics est de mobiliser les leviers normatifs et financiers les plus aptes à mettre durablement les financements privés au service de la politique de santé, aux meilleurs coûts et dans le strict respect de l’indépendance professionnelle des médecins ».

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Établir une doctrine d’usage 

L’Igas et l’IGF proposent notamment, au titre du levier n°1, de protéger l’indépendance des professionnels de santé par une clarification du cadre de gouvernance des sociétés d’exercice libéral (SEL) et par un renforcement des exigences de transparence et une modernisation du cadre déontologique. Cette proposition est issue du constat que les risques sur l’indépendance professionnelle des praticiens résultent « essentiellement des modalités d’organisation de la gouvernance » de leur structure d’exercice, et non de la présence directe ou indirecte d’investisseurs financiers. L’activation de ce premier levier repose sur quatre propositions.  

La première invite à réviser les articles  L 4113-5 à 4113-13 du code de la santé publique et, le cas échéant, l’article 44 de l’ordonnance du 6 février 2023, pour étendre le périmètre du contrôle de l’Ordre à toutes les pièces constitutives de l’organisation de la SEL. Cela permettrait, estime le service administratif, de « renforcer la transparence des modalités d’exercice et les moyens du contrôle par les ordres de [la] conformité au code de déontologie ». 

Lire aussi : Financiarisation et indépendance des médecins : bataille juridique au Conseil d’Etat*

Ensuite, l’Igas et l’IGF appellent à établir une doctrine d’usage pour définir les conditions de fonctionnement des SEL, « et plus spécifiquement les dispositions permettant d’encadrer le droit des minoritaires et le droit des majoritaires ».

La troisième proposition vise, elle, à compléter et préciser les conditions d’application du principe d’indépendance dans les codes de déontologie, car jusqu’à présent, cela est insuffisant au regard des nouvelles modalités d’exercice (sociétés d’exercice, partenariats hospitaliers publics et privés, salariat, télémédecine…). Cela permettrait « d’éclairer les choix individuels des praticiens et d’appuyer les décisions des ordres », indique le rapport. 

Enfin, le document invite à créer un « un statut ad hoc pour les centres de santé », peut-on lire. L’idée serait de remplacer le statut associatif pour « permettre une gouvernance plus transparente et une organisation juridique et financière plus auditable ». Ce statut, souligne le rapport, pourrait « s’inspirer de la démarche qui a conduit à la création des sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires (SISA) pour accompagner le déploiement des maisons de santé et leur rémunération directe par l’Assurance maladie ».

Généraliser les enquêtes de satisfaction 

Au titre du troisième levier, l’Igas propose de déployer un dispositif de suivi et de contrôle qualité effectif en médecine de ville, partant du principe que ce n’est pas parce que la mission n’a « pas identifié de baisse de qualité ou d’accessibilité des soins imputables à l’intervention d’acteurs financiers », que « de telles dérives [sont] exclues, ni a fortiori que les risques mis en avant par certains professionnels de santé ne [peuvent] se réaliser à l’avenir ». Pour éviter de telles dérives, les grands corps de l’Etat font, à nouveau, quatre propositions.  

Selon la première, pour ne plus suivre seulement les praticiens mais aussi les entités collectives, il faudrait donner, dans le système d’information de l’Assurance maladie, une immatriculation à l’ensemble des SEL et y rattacher les médecins y exerçant. Il est également préconisé d’y rattacher la facturation à la fois au professionnel et à la SEL ; et pour les centres de santé, d’identifier le professionnel qui réalise l’acte ; pour les cliniques, rattacher le numéro FINESS des établissements à l’entité juridique siège. 

De plus, l’Igs et l’IGF plaident pour l‘instauration d’un registre déclaratif. Toute société ayant des participations « à un niveau significatif, selon des critères à déterminer » dans une ou plusieurs SEL serait obligée de les déclarer. Par ailleurs, le rapport propose de généraliser des enquêtes de satisfaction auprès des patients de ville « sur la base de référentiels validés par la HAS ». 

Lire aussi : Les biologistes indépendants s’inquiètent d’une financiarisation de la santé**

L’effectivité de ce levier reposerait, enfin, sur le déploiement d’un « programme annuel d’évaluation sur un échantillon aléatoire de professionnels », en s’appuyant sur la démarche des groupes de pairs. Mais aussi via la validation par la HAS du « contenu du dossier patient ainsi que les indicateurs de suivi », et le fait de « leur donner une base légale ».

Au total, les deux inspections, au terme de leur mission confiée en juillet 2024, ont formulé 15 propositions. En septembre dernier, un rapport du Sénat sur la financiarisation de la santé en déclinait déjà 18 pour mieux maîtriser le phénomène, limiter ses conséquences « indésirables » et mieux protéger l’indépendance des professionnels. Il mettait en avant qu’après les cliniques, les secteurs de la biologie et de l’imagerie, les centres de santé dentaires et ophtalmologiques, l’intérêt des investisseurs se portait depuis peu sur les soins primaires généralistes.  

*à l’exclusion du secteur médico-social et du secteur de l’industrie pharmaceutique.  

Auteur de l’article Pauline Machard journaliste pigiste

*Financiarisation et indépendance des médecins : bataille juridique au Conseil d’Etat

Par une ordonnance du 12 septembre 2024, le juge des référés du Conseil d’Etat a apporté d’utiles précisions sur la notion de « contrôle effectif » qui doit être exercé par les médecins associés au sein de sociétés d’exercice libéral de médecins. Le Conseil d’Etat se prononcera, dans les prochains mois, sur le fond de cette affaire, à l’heure où la financiarisation de la santé fait débat.

06/10/2024 https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/07/10/le-patronat-s-attaque-aux-arrets-maladie-dans-les-entreprises_6620438_823448.html

Par Anthony Bron

justice

Comme pour de nombreuses professions réglementées, les sociétés d’exercice de la profession de médecin sont soumises à des conditions strictes énoncées par la loi du 31 décembre 1990 (aujourd’hui abrogée et reprise par l’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023). Les médecins associés à une société doivent notamment en conserver le contrôle effectif, sous peine que la structure ne soit pas inscrite au tableau de l’ordre, ou qu’elle en soit radiée.

Constituée en 2011 sous la forme d’une société d’exercice libéral (SEL) à responsabilité limitée, la société Imapole regroupait uniquement des médecins radiologues. En 2020, ses associés ont décidé de la transformer en société d’exercice libéral par actions simplifiée et de céder un quart de son capital à la société ImaOne.

Radiation suspendue

Contrairement à Imapole, ImaOne n’est pas exclusivement composée de médecins, puisque des investisseurs financiers détiennent 16,8 % de son capital et 14,8 % de ses droits de vote.

Lire aussi : Financiarisation de la santé : un rapport du Sénat appelle à mieux protéger l’indépendance des professionnels

Or, le conseil départemental de l’ordre des médecins du Rhône a, lors de son examen de ces modifications statutaires, considéré que les stipulations des statuts d’Imapole et du pacte conclu par ses associés entraînaient la perte du contrôle effectif de cette société par les médecins exerçant en son sein. Il a, par suite, radié cette société du tableau de l’ordre.

Après avoir estimé que la condition d’urgence était remplie, le juge des référés a toutefois jugé qu’il existait un doute sérieux sur la légalité de cette décision de radiation et que les médecins paraissent bien détenir le contrôle effectif d’Imapole.

Pour ce faire, il a estimé que les stipulations statutaires qui prévoient un quorum de 80 % sur première convocation et 20 % sur seconde convocation pour les assemblées générales ordinaires et extraordinaires de la société ne sont pas susceptibles de remettre en cause l’existence de ce contrôle, pas plus que celles prévoyant l’attribution de 99,90 % des dividendes à ImaOne.

En outre, il n’existait, pour le juge des référés, aucun élément démontrant que le médecin dirigeant la société Imapole agissait de concert avec les investisseurs financiers d’ImaOne dans l’optique de privilégier la recherche du profit. 

Il a de même été considéré que, si l’article R. 4113-12 du code de la santé publique autorise la détention du quart au plus du capital d’une SEL par une personne morale ne répondant pas aux qualités énoncées par le B du I de l’article 5 de la loi du 31 décembre 1990, cette disposition n’impose pas le contrôle effectif de cet associé minoritaire par les médecins exerçant au sein de la SEL.

Il convient enfin de préciser que le Conseil d’Etat se prononcera, dans les prochains mois, sur le fond de cette affaire et, qu’à cette occasion, il pourrait encore affiner son appréciation de la notion de contrôle effectif.

Auteur de l’article

Anthony Bron

**Les biologistes indépendants s’inquiètent d’une financiarisation de la santé 

06/05/2022 https://www.egora.fr/actus-pro/politiques/les-biologistes-independants-sinquietent-dune-financiarisation-de-la-sante

Par Pauline Machard

Pour le réseau, cette tendance présente des risques pour la prise en charge des patients. Il enjoint les responsables politiques à prendre les mesures nécessaires pour préserver « une biologie médicale entrepreneuriale qui privilégie les valeurs plutôt que la valeur ».  

On n’arrive déjà pas à avoir un rendez-vous en urgence en tant que médecin traitant pour un de nos patients parce qu’il y a trop d… Lire plusInforme les Français des risques de la financiarisation de la biologie médicale pour les professionnels de santé et pour la prise en charge des Français. Telle est l’ambition de la campagne de sensibilisation lancée jeudi 5 mai par le réseau Les biologistes indépendants, qui rassemble des médecins et des pharmaciens biologistes, entrepreneurs, qui, “face à la montée en puissance des grands groupes, ont choisi en 2016 de s’unir”.  

Le réseau dresse d’abord le constat de la mutation à l’œuvre pour les laboratoires de biologie médicale, “essentiellement liée au phénomène de regroupement engendré par les acquisitions massives réalisées par des groupes financiers, notamment étrangers”. Il souligne qu’alors qu’il y a 20 ans, il n’existait pas de groupes financiers dans la biologie médicale de ville en France, “aujourd’hui, 6 groupes financiers possèdent 67% de ces entreprises de biologie médicale de ville”. Il fait valoir que, “de 2005 à 2021, avec les rachats successifs, le nombre de laboratoires de ville été pratiquement divisé par 10”.  

Faut-il craindre la privatisation de l’offre de soins ?

Une concentration aussi ressentie par les Français. Selon une enquête Ipos* réalisée pour le compte du réseau, ils sont 77% à avoir le sentiment que les laboratoires sont de plus en plus rachetés par des grands groupes financiers, et 67% à considérer que ce n’est pas une bonne nouvelle car “cette tendance risque de conduire à une réduction des investissements matériels et humains, pour dégager le plus de profits possible”. Selon ce même sondage, 89% des médecins interrogés auraient aussi ce sentiment de mainmise de la finance sur la biologie médicale française et ils seraient 75% à considérer que c’est une mauvaise chose.  

Une concentration qui n’est pas sans conséquences pour le réseau, qui y voit la cause de la réduction considérable du nombre d’intervenants indépendants, du triomphe de la logique financière sur celle du soin”, et de l’accentuation de la désertification médicale de certains territoires “délaissés par les investisseurs en raison d’une densité de population jugée trop faible pour présenter des ratios de rentabilité satisfaisants”.  

Pour y remédier, le réseau interpelle les responsables politiques sur la nécessité de “renforcer la réglementation en vigueur”. Celle-ci prévoit, rappellent Les biologistes indépendants, que plus de la moitié du capital et des droits de vote d’une société d’exercice libéral (SEL) soit détenue par les professionnels de santé exerçant dans la SEL et que les non-biologistes sont limités à 25% du capital. Parmi les problèmes : “depuis 2001, des biologistes n’exerçant pas dans une SEL identifiée peuvent y être majoritaires”, ce qui a “permis à des fonds financiers d’utiliser des sociétés de biologie étrangères qu’ils contrôlent pour prendre des participations majoritaires dans les laboratoires hexagonaux”.  

*Sondage Ipsos réalisé pour Les biologistes indépendants en mars et avril 2022 auprès de 400 médecins généralistes et de plus de 1000 Français de plus de 18 ans.  

Auteur de l’article

Pauline Machard

journaliste pigiste

Rapport sur les causes et effets de la financiarisation du système de santé

(Document IGAS- IGF)

10/07/2025 https://www.igas.gouv.fr/causes-et-effets-de-la-financiarisation-du-systeme-de-sante

Émis par : IGAS, IGF

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Dans un contexte marqué par des évolutions profondes de l’offre de soins en France, des craintes se sont exprimées sur la « financiarisation de la santé » et sur ses conséquences. Pour faire le point sur ce que recouvre cette notion et sur ses enjeux, l’Igas et l’IGF ont analysé ses causes, ses mécanismes et ses conséquences.

La période récente a été marquée par de profondes évolutions des caractéristiques et de l’organisation de l’offre de soins en France : tensions importantes sur les ressources humaines médicales et paramédicales qui devraient perdurer encore plusieurs années dans un contexte de vieillissement de la pyramide des âges de la plupart des professions de santé ; développement rapide du salariat médical ; aspirations d’une partie des jeunes générations aux formes d’exercice collectives ou en réseau, hyper spécialisation, innovations technologiques, etc.

Ces mutations, largement interdépendantes, ont généré dans le secteur privé et libéral un mouvement de regroupements et d’investissements, à l’origine d’importants besoins de financement auxquels ont répondu les acteurs traditionnels (les banques) mais aussi de nouveaux acteurs (fonds d’investissements et autres investisseurs privés, fonds de dette) attirés par les perspectives de croissance et de rentabilité du secteur, la solvabilisation publique de la dépense de santé, ainsi que les économies d’échelle et les gains d’efficacité potentiels. Entre 2020 et 2024, les fonds de capital-investissement ont à eux seuls investi en fonds propres plus de 4 milliards d’euros. L’ampleur et la rapidité de ces transformations ont suscité des interrogations, voire des inquiétudes des autorités de régulation comme des professionnels de santé tant au regard du respect du principe déontologique d’indépendance attaché à l’exercice de la médecine que, plus généralement, de la préservation d’un haut niveau d’accessibilité et de qualité des soins.

Aussi la mission s’est-elle attachée, d’une part à décrire les modalités concrètes et les conséquences mesurables de ces phénomènes ; d’autre part à formuler des propositions visant à renforcer la capacité de la puissance publique à les réguler dans un sens conforme aux objectifs et priorités de la politique de santé, en prenant en compte l’hétérogénéité des situations. Le champ retenu est celui des soins de premier recours et exclut donc les technologies de santé et le médico-social.

Des interventions variées et un niveau d’endettement globalement préoccupant

Loin de répondre à un modèle uniforme, ces dynamiques structurelles de concentration et d’investissement, que les acteurs financiers sont venus accompagner, parfois susciter, le plus souvent accélérer, ont pris des formes très diverses, que ce soit pour le cadre juridique d’exercice (sociétés d’exercice libéral, centres de santé associatifs, sociétés de droit commun…) ou pour la structuration économique des groupes – témoignant de la capacité d’adaptation des investisseurs, professionnels comme non professionnels, aux contraintes réglementaires propres à chaque secteur. A cet égard, on peut constater que les secteurs qui ont mis en place les barrières juridiques les plus strictes à l’entrée d’investisseurs non exerçants, loin d’atteindre leur but de protection de l’indépendance des professionnels de santé ou de préservation de la qualité, n’ont fait que susciter des contournements, facteurs d’opacité et de dérives.

Qu’ils soient à l’initiative des fonds de capital‑investissement ou des professionnels eux-mêmes, ces mouvements de concentration et d’investissement ont en revanche en commun d’avoir entraîné un accroissement de l’endettement du secteur. Le niveau d’endettement atteint est aujourd’hui préoccupant, et pourrait, compte tenu des besoins d’investissement actuels et à venir, devenir critique en cas de tarissement des apports en fonds propres.

Des risques et des opportunités qui appellent une régulation renforcée

Pour répondre aux enjeux de la financiarisation, l’identification des effets qualitatifs de l’intervention des acteurs financiers sur l’offre de soins apparait comme l’enjeu prioritaire, mais cet impact demeure difficilement objectivable et pilotable en l’état des données disponibles. Même si certaines dérives ont été observées, ces données disponibles, ne permettent pas, en dehors de quelques exceptions notables, d’affirmer à date que les problèmes de qualité soient statistiquement plus importants dans les groupes financiarisés.

En analysant les données disponibles par secteur, l’Igas et l’IGF ont pu constater, d’une part, dans plusieurs d’entre eux, les effets positifs du mouvement de regroupement et d’apports de capitaux extérieurs sur l’efficience, le volume, l’accessibilité, ou la modernisation de l’offre de soins. D’autre part, les inspections ont mis en évidence des risques certes difficiles à quantifier mais dont certains indices laissent supposer qu’ils sont susceptibles de se concrétiser en cas de tensions sur les modèles économiques des acteurs.

Il importe donc d’éviter la concrétisation de ces risques mais aussi de parvenir à tirer pleinement avantage pour la collectivité de l’existence d’acteurs de grande taille. Pour favoriser l’indépendance des médecins, la qualité et l’accessibilité de l’offre de soins, et la maîtrise des coûts pour la collectivité, la mission propose d’activer cinq leviers :

  • Protéger l’indépendance des professionnels de santé par une clarification du cadre de gouvernance des sociétés d’exercice libéral, mais aussi plus largement par une modernisation du cadre déontologique ;
  • Mieux connaître les coûts réels des acteurs et améliorer la réactivité et la prévisibilité du système de tarification ;
  • Déployer un dispositif de suivi de la qualité en médecine de ville ;
  • Développer des approches contractuelles avec les groupes afin notamment de tirer parti de leur couverture multisites et de leurs capacités d’investissement ;
  • Prendre en compte l’existence d’acteurs portant un risque systémique local ou national, et mettre en place les dispositifs de prévention adéquats.

Soigner n’est pas une activité comme une autre : l’investissement privé ne doit pouvoir s’y déployer qu’en contribuant à l’amélioration durable de la qualité et de l’accessibilité des soins, dans le respect de l’indépendance d’exercice des professionnels. C’est pour le régulateur un défi nouveau, qui suppose une évolution du système réglementaire et tarifaire, notamment vers plus de transparence, de réactivité et de prévisibilité.

Extraits du rapport

Introduction

Par lettre en date du 17 juillet 2024, le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, la ministre du travail, de la santé et des solidarités, le ministre délégué chargé des comptes publics, et le ministre délégué chargé de la santé et de la prévention ont confié à l’Inspection générale des finances (IGF) et à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) une mission conjointe relative à la financiarisation du système de santé.

La mission s’est vue confier quatre objectifs :

réaliser un diagnostic de la participation des acteurs financiers à notre système de santé, en clarifiant la définition que l’on peut donner de ce phénomène couramment dénommé « financiarisation », en quantifiant son ampleur, en identifiant les acteurs qui y concourent et leurs modes opératoires ;

-identifier les évolutions du cadre juridique engagées au cours des dernières années en matière de prises de participation et de transparence financières ;

-établir un constat des opportunités et risques que comporte cette évolution du système de santé, notamment en termes de régulation ;

– formuler des propositions d’encadrement et de contrôle de l’intervention des acteurs financiers.

En accord avec les commanditaires, la mission a retenu le périmètre des services de santé stricto sensu, à l’exclusion notamment du secteur médico-social et du secteur de l’industrie pharmaceutique, qui relèvent de logiques différentes(19)

La dépense publique en santé est matérialisée par l’objectif national des dépenses d’Assurance maladie (ONDAM) qui s’est finalement élevé à 246,8 Md€ pour l’année 2023(20), en hausse de 4,8 % par rapport à 2022. L’ONDAM se compose de six sous-objectifs dont deux seulement rentrent dans le champ d’investigation de la mission :

-les soins de ville (104,7 Md€ ; 42,4 % de l’objectif total ; +3,5 % par an entre 2019 et 2023 ) ;

– les établissements de santé (102,8 Md€ ; 41,6 % ; +5,6% par an entre 2019 et 2023).

Le pilotage et la maîtrise de l’évolution des dépenses de santé représentent donc un enjeu fondamental pour le respect de la trajectoire des finances publiques et l’efficience de la dépense publique.

Le système de santé français présente plusieurs caractéristiques (cf. Annexe II – organisation de l’offre de soins) :

-les établissements de santé se répartissent entre une offre publique et une offre privée ; au 31 décembre 2023, 1 329 hôpitaux publics, 656 établissements privés à but non lucratif et 977 cliniques privées composaient le paysage hospitalier français(21) ;

(19) Le secteur médico-social constitue un champ spécifique et présente un modèle de financement distinct de l’offre de soins, caractérisé par une pluralité de financeurs. L’industrie pharmaceutique relève d’une logique industrielle, également éloignée de la logique qui gouverne l’offre sanitaire.

(20) Cour des comptes, « rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale », mai 2024.

(21) DREES, « En 2023, la baisse du nombre de lits et la hausse du nombre en ville, l’offre de soins est assurée majoritairement par des médecins libéraux, qui peuvent être regroupés dans des structures d’exercice coordonné, ou des médecins salariés, minoritaires, qui exercent dans des centres de santé. Il s’agit donc d’un système qui s’appuie sur la participation d’acteurs privés, et est solvabilisé principalement par la puissance publique puisqu’en 2023, la Sécurité sociale et l’État financent 80,1 % de la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM)(22)

La définition considérée par la mission comme décrivant le plus précisément le phénomène de financiarisation est la suivante : un processus par lequel des acteurs privés, qui ne sont pas des professionnels de santé, investissent dans le secteur des soins.

Afin de traiter l’ensemble des aspects du sujet, la mission s’est appuyée sur une riche bibliographie(23), la réalisation de plus d’une centaine d’entretiens (cf. Annexe VIII – liste des personnes rencontrées) et l’analyse des données disponibles relatives à la situation économique de chaque secteur étudié(24), ainsi qu’à la qualité et l’accessibilité des soins.

Le présent rapport, après avoir décrit, les modalités d’intervention des acteurs financiers (1) et analysé les causes du phénomène et la dynamique en œuvre (2) s’attache à en identifier et en apprécier les effets sur la qualité et l’accessibilité de l’offre de soins, sur les conditions d’exercice et l’indépendance des professionnels de santé, ainsi que sur l’efficacité du système de financement et de régulation (3). S’appuyant sur ces constats, la mission présente enfin les conclusions qu’elle en tire, ainsi que ses recommandations et pistes de réflexions (4).

(22) La consommation de soins et de biens médicaux (CSBM) comprend les soins hospitaliers, les soins ambulatoires

(médecins, dentistes, auxiliaires médicaux, laboratoires d’analyse, thermalisme), les transports sanitaires, les

médicaments et les autres biens médicaux (optique, prothèses, petit matériel et pansements).

(23) En particulier les rapports charges et produits de l’Assurance maladie et le rapport sénatorial d’information sur la financiarisation de l’offre de soins (septembre 2024).

(24) La mission s’est principalement appuyée sur la base Liaisons financières (LiFi) de l’Insee, les données relatives aux liasses fiscales des entreprises, les données de l’Observatoire des entreprises de la Banque de France, et le système national des données de santé (SNDS) pour réaliser ses analyses. Les détails relatifs aux analyses conduite

Propositions

Proposition n° 1 : Réviser les articles L 4113-5 à 4113-13 du code de la santé publique, et le cas échéant, l’article 44 de l’ordonnance du 6 février 2023, pour étendre le périmètre du contrôle de l’ordre à toutes les pièces constitutives de l’organisation de la SEL en s’inspirant de la rédaction de l’article R 242-40 du code de déontologie vétérinaire, à la fois en ce qui concerne le périmètre des pièces opposables et le délai de réponse laissé à l’ordre.

Proposition n° 2 : Définir une doctrine d’usage, sur le modèle de celle issue de la conciliation organisée dans le secteur de la santé animale, en s’appuyant notamment sur le futur arrêt du Conseil d’État dans le cas Imapole, pour définir les conditions de fonctionnement des SEL, et plus spécifiquement les dispositions permettant d’encadrer le droit des minoritaires et les droits des majoritaires.

En troisième lieu, et au-delà du cas particulier des SEL, comme la mission l’a constaté (cf. 3.2), la définition actuelle, très succincte, du principe d’indépendance apparaît insuffisante au regard des nouvelles modalités d’exercice (sociétés d’exercice, partenariats hospitaliers publics et privés, salariat, télémédecine, etc.) : la mission suggère l’engagement d’une concertation visant à une adaptation des codes de déontologie permettant d’éclairer les choix individuels des praticiens et d’appuyer les décisions des ordres.

Proposition n° 3 : Compléter et préciser les conditions d’application du principe d’indépendance des professionnels de santé aux différents modes d’exercice (salariat, contrat d’exercice libéral, exercice au sein d’une SEL, etc.).

En quatrième lieu, la mission a constaté que l’intervention d’acteurs financiers concerne également des secteurs de l’offre de soins qui, par leur nature associative ou du fait de la réglementation, ne sont pas directement accessibles aux investisseurs en capital (centres dentaires et ophtalmologiques, officines de pharmacie). Or ces montages se caractérisent par l’opacité des modalités réelles de gouvernance, en pratique non régulées et non contrôlées – et donc par un niveau très dégradé de protection de l’indépendance professionnelle des praticiens qui y exercent. La mission propose de remédier à cette situation par la création d’un statut ad hoc, qui pourrait par exemple s’inspirer de la démarche qui a conduit à la création des sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires (SISA) pour accompagner le déploiement de maisons de santé et leur rémunération directe par l’assurance maladie.

Proposition n° 4 : Créer un statut ad hoc pour les centres de santé qui remplace le statu associatif, afin notamment de permettre une gouvernance plus transparente et une organisation juridique et financière plus auditable.

Proposition n° 5 : Prendre le décret d’application prévu pour la mise en œuvre de l’article 49 de la LFSS pour 2023 et étendre ce dispositif aux autres secteurs concernés par une nomenclature technique.

Il est par ailleurs essentiel d’aboutir à une meilleure réactivité des tarifs.

Proposition n° 6 : Améliorer la réactivité et la pertinence du dispositif de maintenance de la nomenclature CCAM : -en renforçant les moyens d’expertise et de pilotage tarifaires de l’Assurance maladie -en permettant au DG de l’UNCAM de définir le programme de travail du HCN, à partir des priorités de santé publique ; de définir le calendrier de révision ; et de fixer unilatéralement un nouveau tarif en cas d’absence de proposition du HCN, d’avis de la CHAP, ou de traduction conventionnelle dans un délai déterminé.

Proposition n° 7 : Etendre à la radiologie et à l’hospitalisation la pluri-annualité de la politique tarifaire et assurer sa bonne articulation avec une évolution différenciée des tarifs, sur la base des études de coûts et des priorités de santé publique.

Proposition n° 8 : Dans le système d’information de l’Assurance maladie, donner une immatriculation à l’ensemble des SEL et rattacher à chaque SEL les médecins qui y pratiquent ; rattacher chaque facturation à la fois au professionnel de santé qui a réalisé l’acte et à la SEL à laquelle il appartient ; pour les centres de santé, identifier le professionnel qui réalise l’acte ; pour les cliniques, rattacher les numéro FINESS des établissements à l’entité juridique siège du groupe.

Proposition n°9 : Mettre en place un registre déclaratif faisant obligation à toute société détenant des participations à un niveau significatif, selon des critères à déterminer, dans une ou plusieurs SEL de déclarer ses participations.

Proposition n° 10 : Généraliser les enquêtes de satisfaction auprès des patients de ville sur la base de référentiels validés par la HAS auprès des patients en ville(87)

Proposition n° 11 : Déployer un programme annuel d’évaluation sur un échantillon aléatoire de professionnels, en s’appuyant sur la démarche expérimentale des groupes de pairs ; faire valider à la HAS le contenu du dossier patient ainsi que les indicateurs de suivi et leur donner une base légale.

Proposition n° 12 : Prendre en compte les groupes dans la démarche conventionnelle de fixation des tarifs et des contreparties demandées, lorsqu’ils représentent une part significative de l’offre de soins.

D’autre part, concernant le pilotage de l’offre de soins au niveau local, la mise en œuvre de logiques contractuelles ou quasi contractuelles entre ARS et acteurs du système de soin existe certes déjà, mais reste peu fréquente et mal assumée.

Proposition n° 13 : Conditionner la délivrance d’autorisation au respect d‘objectifs quantifiés de santé publique ou de structuration de l’offre de soins, définis au niveau national ou régional.

Proposition n° 14 : Identifier d’une part au niveau national, et d’autre part dans les schémas régionaux de santé (SRS) au sein des projets régionaux de santé (PRS) les entités critiques pour l’accès aux soins dont la disparition aurait un effet systémique ;

Enfin, sur le modèle de ce qui existe par exemple dans le secteur bancaire, il est légitime que soit exigé des groupes considérés comme systémiques, l’élaboration et l’actualisation continue de « plans de résolution »

Proposition n° 15 : Rendre obligatoire pour tous les acteurs identifiés comme systémiques, de préparer et de déposer auprès de l’autorité de tutelle, soit au niveau national, soit au niveau local, un plan présentant les conséquences opérationnelles et les conditions de gestion des activités critiques en cas de défaut au niveau du groupe.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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