Doublement des franchises, lutte contre la fraude… Comment le patronat veut réduire les dépenses de santé
Alors que, dans quelques jours, le Premier ministre François Bayrou va présenter ses orientations pour contenir le déficit public, le Mouvement des entreprises de France (Medef) et la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) ont avancé leurs propositions.
Par Pauline Machard

93. C’est le nombre de propositions formulées mercredi 9 juillet par le Mouvement des entreprises de France (Medef) pour maîtriser la croissance des dépenses de santé et « pérenniser l’Assurance maladie« , avec « jusqu’à 6,5 milliards d’économies mobilisables » dès le prochain budget de la Sécurité sociale. L’organisation patronale, par la voix de son président Patrick Martin, s’estime « légitime à s’exprimer » sur ce sujet, « car les employeurs financent à hauteur de 110 milliards directement ou indirectement le système de santé, à travers les cotisations patronales, les dispositifs de prévoyance et les cotisations Accidents du travail/Maladie professionnelles ».
Parmi les propositions du Medef, l’instauration d’un ou plusieurs jours de carence d’ordre public non indemnisés par la Sécurité sociale et non pris en charge par les employeurs. Il suggère aussi qu’au troisième arrêt de travail dans l’année civile, le délai de carence pourrait également ne plus être pris en charge ; que les indemnités journalières pourraient être forfaitisées (rendues identiques pour tout le monde) pour simplifier leur gestion.
Le Medef met aussi l’accent sur un effort particulier concernant la qualité et la pertinence des soins : il prône ainsi de faire de Mon espace santé « un passage obligé », en systématisant sa consultation par les médecins, pour certaines prescriptions, « afin d’éviter les examens redondants » ; suggère de « construire des indicateurs de qualité et de performance des pratiques professionnelles » des soignants ; d’intégrer pleinement la qualité dans la rémunération des hôpitaux publics et privés en « réservant les augmentations tarifaires aux établissements qui démontrent une réelle augmentation de la qualité », etc.
Sortir de l’illusion du tout gratuit
La veille, mardi 8 juillet, c’est la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), seconde organisation patronale, qui s’est exprimée sur le sujet. Elle a appelé à « une réforme urgente de l’Assurance maladie ». L’ambition : contribuer au débat d’idées pour contenir le déficit de la Sécurité sociale qui, souligne-t-elle, « a atteint 18,2 milliards d’euros en 2024, tiré à plus de 80% par les dépenses de l’Assurance maladie ».
Supprimer les ARS ? La proposition d’une commission d’enquête du Sénat
Face à des projections pour 2025 « encore plus alarmantes : 24 millions d’euros si aucune réforme n’est engagée », la CPME propose notamment de s’en prendre aux arrêts maladie, dont l’augmentation « spectaculaire », notamment chez les moins de 30 ans, « désorganise les entreprises, et pèse lourdement sur les comptes publics ». Elle recommande ainsi « d’instaurer trois jours de carence dans le public comme dans le privé », mais aussi de renforcer le contrôle des prescriptions, de mieux encadrer les conditions des arrêts « en lien avec la médecine du travail », et de lutter plus généralement « contre l’absentéisme et les fraudes liées aux arrêts injustifiés ».
L’organisation patronale ne s’arrête pas là. Pour « sortir de l’illusion du tout gratuit », elle propose de doubler les franchises médicales « pour éviter les actes de confort », de réduire la liste des affections de longue durée (ALD) et d’en recentrer les critères, mais également de « renforcer les contrôles contre les abus de prescriptions ».
Pour améliorer l’efficacité du système de santé, elle recommande aussi de « déployer massivement la télémédecine », d’encourager la prescription de génériques, de gérer les budgets avec l’aide de l’IA, et de « renforcer la lutte contre la fraude, en particulier à l’étranger et sur les cartes Vitales ». Autant de mesures qui pourraient, selon la CPME, « générer plusieurs milliards d’euros d’économies, sans sacrifier la qualité des soins ». « Notre modèle social est à bout de souffle. Il ne s’agit pas de le remettre en cause, mais bien de le sauver », écrit-elle encore.
[Avec AFP]
Auteur de l’article
journaliste pigiste
Qualité et pérennité du système de santé : les propositions du Mouvement des Entreprises de France
Face à la dégradation des comptes de la Sécurité sociale, et notamment de la branche maladie — qui représente à elle seule près des trois quarts du déficit — le Medef a constitué une task force pour formuler des propositions concrètes, tant de court terme que structurelles.
Notre objectif : construire un nouveau pacte intergénérationnel pour assurer la pérennité de notre modèle social, en retrouvant une trajectoire financière soutenable tout en améliorant son efficacité.
Ce rapport spécifique à notre système de santé, s’appuyant sur les travaux déjà menés par le Medef, notamment ceux de la commission Protection sociale et du comité Acteurs de santé, a été élaboré avec la volonté d’examiner toutes les options, sans parti pris initial sur les mesures à porter. Il repose sur des auditions d’acteurs reconnus du système de santé, issus tant du secteur public que privé. Il s’est également appuyé sur l’expertise des fédérations professionnelles membres du Medef, notamment celles du secteur de la santé, pour lesquelles la viabilité et la performance sont une préoccupation majeure.
Six priorités incontournables pour garantir la pérennité de notre système de santé :
- Faire du numérique et de l’innovation les leviers d’amélioration de l’efficience et de la transparence.
- Utiliser des indicateurs de qualité et instaurer une culture de la performance pour piloter la transformation du système de santé.
- Mieux maîtriser, encadrer la consommation de soins et de biens médicaux en responsabilisant les acteurs.
- Décloisonner le système de soins en renforçant la coopération entre acteurs de terrain et en redéfinissant la place de l’hôpital.
- Faire de la prévention un levier central en agissant à la fois sur les comportements de santé et les facteurs qui déterminent l’état de santé.
- Clarifier la gouvernance et adopter un pilotage pluriannuel pour anticiper les besoins de santé et structurer l’action publique
En complément de ces priorités, le Medef appelle également à ouvrir une réflexion sur le financement de notre système de santé. Ce sujet, central, fera l’objet de travaux et de propositions ultérieures.
https://www.medef.com/uploads/media/node/0020/06/16740-guide-tf-sante-juin-2025-medef.pdf
https://www.medef.com/uploads/media/node/0020/06/16741-synthese-tf-sante-juin-2025-medef.pdf
Réactions:
Thierry Amouroux professionnels infirmiers
Soigner n’est pas produire. Réduire l’infirmière à un indicateur, c’est oublier l’essentiel. Dans son document de juillet, le #MEDEF propose de transformer notre système de santé pour faire face aux déficits. Objectif : #standardiser les pratiques, traquer les redondances, mesurer la qualité par la donnée. En un mot : #industrialiser.
Mais dans cette vision gestionnaire, les #soignants deviennent des ressources, les patients des objets de pilotage, et la relation humaine un coût caché. Les #infirmières ne sont citées qu’une fois : pour devenir salariées des médecins et accroître leur niveau de consultation. Pas pour leur expertise, leur autonomie, leur mission éducative. Mais pour « fluidifier ».
On ne soigne pas avec des tableurs. On soigne avec du temps, de la confiance, de l’écoute. Ignorer cette réalité, c’est renforcer les fractures, accélérer les désengagements, abandonner les patients vulnérables. Il ne peut y avoir d’efficience sans respect, ni de transformation durable sans #reconnaissance des métiers du soin.
👉 À lire : dans l’article ci-dessous, notre décryptage de ces propositions et l’alerte qu’elles suscitent. Et vous, qu’en pensez-vous ?
Infirmières reléguées, soins déshumanisés, u ne vison inquiétante du MEDEF.
Déficits, vieillissement de la population, explosion des maladies chroniques : les constats du MEDEF sur notre système de santé sont connus, partagés, et bien réels. Mais les solutions qu’il propose relèvent d’une logique purement gestionnaire, axée sur la traque des coûts, la performance mesurable, la numérisation systématique. Dans ce modèle, les soignants sont rarement nommés. Et lorsqu’ils le sont, ce n’est pas pour leurs compétences relationnelles, éducatives ou préventives, mais pour leur potentiel à fluidifier les flux. Les infirmières ne sont pas des angles morts : elles sont des variables d’ajustement.
Le document publié début juillet, intitulé « Qualité et pérennité du système de santé : les propositions du MEDEF », ne manque pas d’ambition. Il se veut à la fois outil d’influence sur le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) et contribution au débat public sur le pacte intergénérationnel à venir. Les 33 % que les entreprises versent au financement de la branche maladie leur confèreraient, selon le mouvement patronal, une légitimité à orienter la stratégie nationale de santé. Mais dans ce plan de transformation du système, les usagers sont réduits à des consommateurs, les soignants à des ressources humaines, et les infirmiers à des auxiliaires d’efficacité.
Le cœur du document repose sur une promesse : réduire les déficits en modernisant l’offre de soins. Traduction : six axes de réformes pour traquer les « redondances », favoriser les prescriptions « pertinentes », centraliser les données, harmoniser les pratiques, mesurer les résultats, rationaliser les structures. Les mots sont posés. Ceux qui prennent soin, eux, sont absents.
Pas un mot sur la relation de confiance, le rôle d’écoute, l’éducation thérapeutique, l’accompagnement au long cours. Pas un mot non plus sur les conditions de travail ou la reconnaissance professionnelle. Le soignant n’est évoqué qu’à travers ses indicateurs, son observance des recommandations, ou sa rentabilité. L’essence même du soin disparaît au profit d’une logique de pilotage. L’infirmière n’est plus celle qui accompagne, rassure, observe, évalue et ajuste : elle devient celle qui coche des cases dans un système d’information alimenté à flux tendu.
L’infirmière, salariée du médecin ?
La seule proposition concrète visant la profession infirmière tient en une ligne : autoriser les médecins de ville à salarier des infirmiers pour « accroître leur niveau de consultation ». Derrière cette formulation lisse, un changement de paradigme lourd de conséquences : transformer l’exercice infirmier en simple adjuvant de l’activité médicale. Une infirmière salariée du médecin, uniquement soumise à ses prescriptions, dans un cabinet centré sur l’optimisation des flux et non sur les besoins de santé de la population. Oubliez l’autonomie professionnelle, l’évaluation clinique, le diagnostic infirmier ou la co-construction du parcours de soins : il s’agirait d’une subordination pure, dans un exercice éclaté hors de tout cadre éthique clair.
Alors même que la loi infirmière de juin 2025 vient de reconnaître et valider les consultations et le diagnostic infirmier, et d’élargir le périmètre de prescription, ces propositions ignorent totalement cette évolution. L’ambition d’une profession à part entière est dissoute dans le silence des lignes.
Une expertise infirmière ignorée
Le paradoxe est frappant : au moment même où l’Assurance maladie alerte sur les difficultés à atteindre les patients isolés, à maintenir l’adhésion aux traitements, à prévenir les hospitalisations évitables, le MEDEF propose un système standardisé, industrialisé, piloté par algorithmes. Le numérique est présenté comme une solution universelle, alors même qu’il aggrave les inégalités d’accès et génère des impasses relationnelles. Or, ce qui soigne durablement, ce n’est pas la data. C’est le lien. »
« Les infirmières sont en première ligne pour tisser ce lien : elles identifient les fragilités invisibles, détectent les signaux faibles, assurent le suivi entre deux consultations médicales, préviennent les ruptures de parcours. Cette expertise ne se mesure pas en taux de remplissage de dossier, mais en confiance construite au fil du temps. Et elle ne se délègue pas à une interface. » alerte Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI.
Le plus préoccupant reste l’absence totale de dialogue avec les professionnels. Nulle mention des organisations représentatives de la profession infirmière. Aucune référence aux avancées de la loi ratios patient/infirmier adoptée en janvier. Rien sur la réforme du référentiel de formation, ni sur le développement des pratiques avancées. Ce silence en dit long sur l’approche portée par le document : réformer le système de santé sans ceux qui le font vivre au quotidien.
On ne réforme pas la santé comme on restructure un marché. Le soin n’est pas un service parmi d’autres. Il engage une relation humaine, une éthique, un temps d’attention, un ancrage territorial. Les infirmiers ne sont pas des agents d’exécution : ce sont des professionnels de santé autonomes, formés à analyser, décider, intervenir et évaluer. Les réduire à des variables d’efficience, c’est perdre de vue ce qui fait la qualité réelle des soins.
Pour un modèle fondé sur la proximité et la reconnaissance
Oui, notre système de santé doit évoluer. Mais il doit le faire en s’appuyant sur les forces vives du terrain. Les 640.000 infirmiers sont la première profession de santé en nombre. Ils sont présents partout, du cabinet de ville au CHU, de la maternité à l’EHPAD, du service de réanimation au centre de vaccination, de la santé scolaire à la santé au travail. Ils constituent un levier essentiel pour l’accès aux soins, la prévention, la coordination des parcours, le soutien aux personnes vulnérables. Encore faut-il leur faire une place.
Un nouveau pacte pour la santé ne se construira pas sans eux. Il suppose une vision partagée, où l’efficience ne se fait pas au détriment du sens, où la performance s’allie à la confiance, où l’innovation technologique complète, sans remplacer, la relation humaine. Les infirmières doivent être au cœur de cette transformation. Pas en périphérie. Pas comme outils. Mais comme actrices du soin.
Le patronat s’attaque aux arrêts maladie dans les entreprises
Le Medef et la CPME ont fait plusieurs propositions pour limiter l’« explosion » du phénomène.
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Sus à l’absentéisme dans les entreprises ! En moins de vingt-quatre heures, les deux principales organisations patronales sont, de nouveau, montées au créneau pour attirer l’attention sur le coût croissant induit par les arrêts maladie. Mercredi 9 juillet, lors d’une conférence de presse, le Medef a présenté plusieurs propositions destinées à contenir les dépenses – sachant que ses idées s’intègrent dans une réflexion plus globale sur notre système de santé. Dans un communiqué diffusé la veille, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) avait, elle aussi, souligné l’impérieuse nécessité de « limiter l’explosion » du phénomène. Des initiatives qui interviennent à quelques jours de la présentation par le gouvernement de pistes pour réaliser 40 milliards d’économies.
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Les statistiques donnent un aperçu du problème. En 2023, le régime général de la Sécurité sociale a consacré 10,21 milliards d’euros pour les indemnités journalières attribuées à des salariés en arrêt de travail (du fait d’une maladie « ordinaire », c’est-à-dire non imputable à l’activité professionnelle). Cette somme tend à progresser à un rythme de plus en plus soutenu : + 6,4 % par an, en moyenne, entre 2019 et 2023, contre + 2,9 % au cours de la décennie 2010.
Une telle situation préoccupe les mouvements d’employeurs qui y voient une source de perturbations dans la vie quotidienne des entreprises. Qui plus est, celles-ci sont, bien souvent, conduites à mettre la main au portefeuille, en raison – entre autres – des compléments de revenus octroyés à leurs collaborateurs, les indemnités de la « Sécu » étant inférieures au salaire habituellement perçu. Enfin, « le coût économique de tous les arrêts de travail représente 130 milliards d’euros, soit 4 points de PIB [produit intérieur brut] », a souligné, mercredi, Yves Laqueille, représentant du Medef au conseil de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM), en faisant allusion, notamment, aux pertes causées à l’activité.
Mesures énergiques
Pour toutes ces raisons, la première organisation patronale recommande des mesures énergiques. L’une d’entre elles consisterait à « forfaitiser » les indemnités de la « Sécu » (autrement dit à prévoir le même montant pour tous), alors que, à l’heure actuelle, elles dépendent de la rémunération, dans la limite d’un plafond. M. Laqueille a également déclaré, jeudi, pendant la conférence de presse, ne pas être opposé « à un jour de carence d’ordre public » : dans cette hypothèse, aucune compensation financière ne serait accordée par qui que ce soit pour la première journée d’arrêt. La CPME, de son côté, va encore plus loin puisqu’elle préconise de ne rien donner au cours des trois premiers jours d’absence.
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Enfin, le Medef pense que les entreprises pourraient avoir intérêt à s’inspirer de l’exemple des banques : dans ce secteur, il est prévu un dédommagement durant les soixante-douze premières heures, mais le salarié ne bénéficie plus de cette prise en charge à partir du troisième arrêt la même année.
L’instauration de règles plus strictes vise à « responsabiliser » les assurés, dans l’esprit de M. Laqueille. Mais le militant patronal pense qu’il faut aussi jouer sur la prévention des maladies en généralisant « la vaccination en entreprise ». Les dépenses induites par ces actions auraient vocation à être couvertes, « à 100 % », par l’Assurance-maladie. Pour aiguillonner les salariés, M. Laqueille s’est même demandé, jeudi, s’il ne fallait pas réfléchir à une atténuation des indemnités journalières versées à ceux qui auraient « délibérément décidé » de ne pas se prémunir contre la grippe. « Nous mettons le sujet en discussion, mais ce n’est peut-être pas pour demain », a-t-il souligné avec prudence.
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En revanche, le Medef a clairement dit non à la solution du bonus-malus. Evoqué, fin juin, par la direction de la CNAM, ce scénario prend, schématiquement, la forme de gratifications et de pénalités financières afin d’inciter les employeurs à améliorer les conditions de travail et éviter, ainsi, des absences consécutives aux tâches exercées. Présent lors de la conférence de presse, Patrick Martin, le numéro un du Medef, a martelé qu’un tel mécanisme, déjà créé pour combattre la prolifération des contrats courts, « n’a pas de résultat effectif » et engendre de la « complexité ».