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Des archives de l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Patrick buisson, révèlent un plan politique visant à installer la mouvance catholique intégriste, au plus haut sommet de l’État.
Un an après la mort de la figure d’extrême droite Patrick Buisson, des archives personnelles de l’ancien conseiller de l’ombre de Nicolas Sarkozy, révélées par Mediapart, mettent en lumière une stratégie politique d’infiltration des courants catholiques traditionalistes au plus haut sommet de l’État, une quinzaine d’années plus tôt.
Patrick Buisson s’est ainsi appuyé sur des conseillers politiques ou ecclésiastiques, comme la « plume » de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, Camille Pascal.
C’est par exemple à lui, pour s’assurer de son soutien, que ce dernier adresse sa première version, le 4 janvier 2012, d’un discours que le candidat doit prononcer en hommage à Jeanne d’Arc, incarnation des « racines chrétiennes de la France ».
Hormis Patrick Buisson, seule son épouse Caroline Pascal relit le texte en question. Celle qui est devenue numéro 2 du ministère de l’Éducation dirigé par Élisabeth Borne est notamment mise en cause pour avoir protégé l’établissement catholique Stanislas.
Cette bataille d’influence passe aussi par des victoires symboliques comme lorsque, Camille Pascal se réjouit après que Patrick Buisson lui a indiqué avoir glissé un symbole catholique sur « la grande photo de Marseille qui servait de décor à la tribune », précisant que les orateurs s’étaient exprimés « sous la protection de Notre-Dame-de-la-Garde » lors d’un grand rassemblement de l’UMP à Marseille, en septembre 2011.
Camille Pascal se défend auprès de Mediapart, en indiquant que Patrick Buisson « intervenait toujours comme analyste et non comme polémiste » et rappelle « qu’il n’était pas le seul et que d’autres conseillers extérieurs apportaient au président le résultat de leurs réflexions sur l’état de l’opinion et de la société ».
Les archives de Patrick Buisson révèlent également une note d’un autre conseiller proche de ce dernier, Nicolas Diat. Ce dernier a eu un rôle fondamental : il a été conseiller spécial de Laurent Wauquiez au ministère des Affaires européennes (2010-2011) puis de l’Enseignement supérieur (2011-2012).
Mais il a également été « plume » du cardinal intégriste Robert Sarah, soutenu par Vincent Bolloré. Nicolas Diat est aujourd’hui éditeur de Jordan Bardella, le président du Rassemblement national (RN), au sein de la maison d’édition Fayard, appartenant au groupe Bolloré.
Via: https://www.humanite.fr/…/des-archives-de-patrick…
https://www.mediapart.fr/…/de-buisson-retailleau-des… *
*De Buisson à Retailleau : des archives inédites révèlent la croisade des « cathos réacs » au sommet de l’État
Mediapart a obtenu les archives personnelles de l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson, qui révèlent la stratégie d’entrisme des courants les plus traditionalistes de l’Église au sein de la présidence de la République. Et leur rayonnement jusqu’à aujourd’hui au cœur de la puissance publique.
- Mediapart a obtenu les archives personnelles de l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson, qui révèlent la stratégie d’entrisme des courants les plus traditionalistes de l’Église au sein de la présidence de la République.
- Alors que la question d’un « entrisme islamiste » des Frères musulmans fait couler beaucoup d’encre, Mediapart a réuni de nombreux éléments inédits qui témoignent de l’implantation d’une autre forme d’entrisme, catholique traditionaliste, au cœur de la puissance publique.
- Patrick Buisson, mort deux ans après avoir été condamné dans l’affaire dite des sondages de l’Élysée, était un conseiller de l’ombre. On retrouve dans ses archives les noms de ceux et celles qui l’entouraient et qui font à présent l’actualité avec un but inchangé : imposer leur vision sur l’IVG, l’homosexualité, l’aide active à mourir et tous les thèmes chers aux « cathos tradis ».
- Parmi eux Nicolas Diat, aujourd’hui éditeur de Jordan Bardella chez Fayard. Ou encore le couple composé du conseiller d’État Camille Pascal et de sa femme Caroline, devenue numéro deux du ministère de l’éducation nationale, mise en cause pour avoir voulu protéger l’établissement catholique Stanislas.
- Patrick Buisson a aussi soutenu Marc Aillet, bombardé à la tête du diocèse de Bayonne, et seul évêque de France à avoir refusé d’ouvrir ses archives à la commission Sauvé sur les violences sexuelles dans l’Église.
- À l’époque, une jeune pousse est repérée qu’il est jugé judicieux de faire monter pour atteindre les objectifs politiques du courant : Bruno Retailleau, à présent ministre de l’intérieur, des cultes et supposé garant de la laïcité.
6 juillet 2025 à 18h46
EnEn ce tout début d’année 2012, Patrick Buisson a la tête dans les cieux. Ce proche conseiller de Nicolas Sarkozy a reçu, le 6 janvier, un courrier signé de l’évêque de Luçon (Vendée), Alain Castet, réputé pour être l’un des plus conservateurs de sa génération. Le prélat prend la plume pour le « féliciter vivement », car il vient lui annoncer une divine nouvelle : le « Saint-Père », le pape Benoît XVI, a décidé de nommer Patrick Buisson commandeur de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand, une des distinctions les plus prestigieuses du Vatican.
Dans sa lettre, Mgr Castet précise à Patrick Buisson, ancien directeur du journal d’extrême droite Minute et spécialiste des sondages, que le gouvernement « de Sa Sainteté » veut, par ce geste fort, consacrer son « rôle déterminant auprès du président de la République pour promouvoir les grands principes du droit naturel [par opposition au droit positif applicable par la justice humaine – ndlr] et le rôle essentiel de l’Église catholique pour le pays ».
Patrick Buisson, inspirateur en décembre 2007 du discours du Latrande Nicolas Sarkozy, selon qui « l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur », savait la partie bien emmanchée depuis plusieurs semaines. Un autre évêque influent, conservateur lui aussi, Mgr Thévenin, s’était déjà activement mobilisé auprès du premier cercle papal afin de convaincre le souverain pontife des bons offices catholiques de Patrick Buisson au sein de l’Élysée.

« Il apparaît fortement que, de l’avis de beaucoup, en s’appuyant sur sa connaissance aiguë des réalités françaises, son action au plus près de M. Sarkozy a permis d’empêcher que des influences plus hostiles au message de l’Église ne puissent s’exercer sur la politique de la France », peut-on ainsi lire dans une lettre envoyée par Mgr Thévenin au gouvernement du Vatican.
Patrick Buisson, un messager de Dieu au sommet de l’État ? Alors que la question d’un « entrisme islamiste » des Frères musulmans dans la société française fait couler beaucoup d’encre depuis la publication récente d’un rapport officiel pour le moins controversé, Mediapart a réuni de nombreux éléments inédits qui témoignent de l’implantation d’une autre forme d’entrisme, catholique traditionaliste celui-ci, au cœur même de la puissance publique.
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Les documents obtenus par Mediapart sont justement issus des archives personnelles de Patrick Buisson, spin doctor aussi méthodique que paranoïaque, qui notait tout et enregistrait tout le monde. « Entre 2010 et 2012, Patrick Buisson est à son apogée, il est le plus puissant », confirme son ancien disciple Nicolas Diat, aujourd’hui éditeur de Jordan Bardella, le président du Rassemblement national (RN), au sein de la maison d’édition Fayard, rachetée par le groupe Bolloré.
Les acteurs et les stratégies à l’œuvre il y a une quinzaine d’années laissent apparaître les noms de ceux qui, formés à l’école Buisson, prolongent aujourd’hui de différentes façons son entreprise politico-religieuse au sommet de l’État et dans les médias.
Guerres d’influences
Discret et solitaire, Patrick Buisson n’apparaît dans aucun organigramme ; il œuvre dans l’ombre en s’appuyant sur une poignée de conseillers politiques ou ecclésiastiques. Tous partagent la même vision de la France et de ses « racines chrétiennes », de la « famille » et de l’Église, dans leurs formes les plustraditionalistes.
Outre Nicolas Diat, conseiller spécial de Laurent Wauquiez au ministère des affaires européennes (2010-2011) puis de l’enseignement supérieur (2011-2012), il a gagné la confiance de la « plume » de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, Camille Pascal, avec lequel il se coordonne pour radicaliser la ligne politique du président contre « les technos »de l’Élysée – selon les termes de Patrick Buisson.

Le 1er mars 2011, un bras de fer s’engage ainsi avec des conseillers du chef de l’État, qui veulent « dépouiller » le discours « sur les origines chrétiennes de la France », écrit par Camille Pascal, agrégé d’histoire que « Benoît XVI a ramené vers la foi ».
Nicolas Sarkozy doit le prononcer deux jours tard au Puy-en-Velay, la ville de Laurent Wauquiez et le point de départ du pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle, pour paver le terrain d’une campagne présidentielle identitaire. « J’ai dit au PR [président de la République – ndlr] ce matin que j’avais lu votre discours et que je l’avais trouvé excellent », flatte Patrick Buisson dans un message à Camille Pascal.
Pour éviter les freins et guerres d’influences à l’Élysée, les deux hommes ont développé leurs propres ruses. « Mon cher Patrick, voici “ma” Jeanne, je vous la livre… », écrit Camille Pascal à Patrick Buisson le 4 janvier 2012, en lui adressant sa première version d’un autre discours que Nicolas Sarkozy doit prononcer en hommage à Jeanne d’Arc, incarnation des « racines chrétiennes de la France ».
« Je vous laisse juge et attends avec impatience et anxiété votre avis et vos propositions d’amendements, précise l’auteur, qui temporise pour transmettre sa version au dernier moment aux autres membres du cabinet du président. Ici on me harcèle pour que je rende ma copie au plus tôt soit dès cet après-midi. Vous imaginez bien pourquoi… »
En dehors de Patrick Buisson, qui est son « second lecteur », il n’a fait lire le projet qu’à une autre personne : son épouse, Caroline Pascal, haute fonctionnaire de l’éducation nationale. Devenue numéro deux du ministère dirigé par Élisabeth Borne, Caroline Pascal est aujourd’hui mise en cause pour avoir voulu protéger l’établissement catholique Stanislas, ou avoir interrompu la commande en BD d’une version revisitée de La Belle et la Bête.
Les sentiers de la bataille culturelle
Le combat de Patrick Buisson et Camille Pascal s’immisce parfois dans les moindres détails. Comme lorsque le premier glisse un symbole catholique lors d’un grand rassemblement de l’UMP à Marseille, en septembre 2011.
« Avez-vous remarqué la grande photo de Marseille qui servait de décor à la tribune ? Tous les orateurs se sont exprimés sous la protection de Notre-Dame-de-la-Garde sans que personne n’y fasse vraiment attention. Je crois que cette présence n’a pas dû échapper à nos amis des loges [maçonniques] dont l’œil est plus aiguisé que celui des médias. Ô Bonne Mère… », se réjouit-il.
« Cela ne m’avait pas échappé… », lui répond Camille Pascal, également ravi : « Ces images à peine subliminales ont plus de force que bien des dépêches d’agences :-). »
Interrogé par Mediapart sur sa relation avec Patrick Buisson, le haut fonctionnaire explique avoir fait sa connaissance à l’Élysée. « Il y intervenait toujours comme analyste et non comme polémiste », précise Camille Pascal, en rappelant « qu’il n’était pas le seul et que d’autres conseillers extérieurs apportaient au président le résultat de leurs réflexions sur l’état de l’opinion et de la société » (sa réponse est à retrouver en intégralité en annexes).
Membre du mouvement d’extrême droite Occident dans sa jeunesse, Patrick Buisson a théorisé dès le milieu des années 1970 l’importance de cette bataille culturelle, qui, selon lui, devait s’inspirer des stratégies de l’extrême gauche chères au philosophe italien marxiste Antonio Gramsci, comme l’a raconté son fils, Georges Buisson, dans un livre, L’Ennemi (Grasset), paru en 2019.

Avoir un homme comme Patrick Buisson aux côtés du président de la République fut ainsi pour les catholiques traditionalistes une véritable bénédiction. À commencer par la communauté Saint-Martin, l’un des repaires des « tradis » en France, dont les représentants font appel au conseiller de Nicolas Sarkozy pour des services.
Un prélat de la communauté Saint-Martin est prisé de Patrick Buisson : l’évêque Marc Aillet, devenu une icône de l’extrême droite catholique. Ancien curé du diocèse de Fréjus-Toulon (Var), où il officiait sous les ordres de Mgr Rey – autre évêque traditionaliste valorisé par Patrick Buisson, qui a fini par être écarté de son ministère par le pape François en janvier 2025 –, Marc Aillet a été bombardé à la tête du diocèse de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) en 2008 à la surprise générale.
Depuis sa nomination, l’évêque a multiplié les provocations, de l’organisation d’un rassemblement international « pro-vie » avec des intégristes russes et états-uniens, à la projection d’un clip anti-IVG dans une cathédrale du diocèse, en passant par la création d’un mouvement radical, le « Printemps français », contre le mariage pour tous, malgré l’opposition du clergé local.

Marc Aillet n’a pas dénoncé clairement l’invasion de l’Ukraine par la Russie. C’est aussi le seul évêque de France à avoir refusé d’ouvrir ses archives à la commission Sauvé sur les violences sexuelles dans l’Église. Ce qui ne manque pas d’interroger dans un département touché par plusieurs affaires retentissantes, dont le scandale Notre-Dame-de-Bétharram.
La nomination de cet évêque traditionaliste était jusqu’ici une énigme. On comprend qu’elle a été purement politique à la lecture d’une note de Nicolas Diat, adressée le 18 avril 2010 à Patrick Buisson. Elle serait même « l’œuvre personnelle » de l’archevêque Nicolas Thévenin, lui aussi membre de Saint-Martin, raconte le conseiller dans ce document.
Objectif Vatican
À l’époque conseiller ministériel, Nicolas Diat est aussi connu pour avoir été, en parallèle de ses activités politiques, la « plume » du cardinal intégriste Robert Sarah, dont le magnat des médias d’extrême droite Vincent Bolloré est un fervent soutien. Il avait notamment imposé de le mettre en couverture de Paris Match en 2022, contre l’avis de la rédaction, et mené une intense campagne pour qu’il succède au pape François.
La note dans laquelle Nicolas Diat cite Mgr Aillet a un objet beaucoup plus large : elle vise à réfléchir à « l’utilisation de l’ambassade près [auprès de] le Saint-Siège » pour servir un agenda politique. Elle aurait été rédigée après « consultation » de Nicolas Thévenin, nommé nonce apostolique (représentant du Vatican) par Benoît XVI, explique-t-il à Patrick Buisson. Sollicité, l’archevêque actuellement en fonction diplomatique en Égypte n’a pas souhaité nous répondre.

Nicolas Diat assume pour sa part auprès de Mediapart la paternité de ce document, qui « raconte un point de vue d’homme de droite », relativise-t-il. Sa portée va pourtant plus loin, puisqu’il propose notamment d’assurer le « contrôle » de la Conférence des évêques de France (CEF) en anticipant les nominations à venir. « Il faut opérer un travail minutieux à l’égard de l’épiscopat dont les prises de parole peuvent s’avérer délicates », y précise Nicolas Diat, en plaidant pour la « neutralisation de l’inquiétante politisation à gauche d’une part grandissante de l’épiscopat ».
Le conseiller base son argumentaire sur le terrain idéologique, suggérant par exemple l’organisation d’un grand « symposium » sur l’islam. L’enjeu : réfléchir à « comment protéger l’héritage historique et social de l’Occident chrétien face à la progression constante du monde musulman ».
Mais de manière plus prosaïque, Nicolas Diat pense aussi à la campagne présidentielle qui se profile, l’occasion de mêler enjeux politiques et cléricaux. Aussi propose-t-il à Patrick Buisson d’« organiser des rencontres bilatérales avec chacun des évêques de France pour pacifier l’ensemble de la Conférence d’ici à 2012 », en assumant d’inscrire cette démarche dans le « cadre d’une véritable stratégie d’influence ».
En effet, considère-t-il encore, il « deviendra important de parvenir à organiser des prises de parole publiques en faveur du président, qui aura besoin de cautions morales et spirituelles ». Le conseiller prend à cet égard pour « bon exemple » celui de Mgr Aillet, qui a donné en 2010 une interview au journal d’extrême droite Valeurs actuelles pour soutenir le chef de l’État.
« On avait une Église de France qui ne jouait pas du tout le jeu de Benoît XVI », justifie aujourd’hui Nicolas Diat auprès de Mediapart.
Patrick Buisson était obsédé par l’idée de montrer à Nicolas Sarkozy qu’il était le grand interlocuteur des sujets religieux, du Vatican, des évêques à Rome.
L’éditeur Nicolas Diat, alors conseiller ministériel
Dans d’autres notes transmises à Patrick Buisson en novembre et décembre 2010, il se fait le relais des inquiétudes du Vatican sur des textes de loi relatifs à l’aide active à mourir ou sur l’évolution de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État. « Comme je vous l’ai souvent dit, les questions de morale qui touchent à l’éthique, à la famille et à l’équilibre des valeurs sont des thèmes sur lesquels le Siège apostolique ne transige pas. Le Saint-Siège est donc susceptible de réagir avec sévérité à cette question », explicite-t-il alors.
Le 9 novembre 2011, il préconise aussi de repousser la nomination d’un nouvel ambassadeur à Rome. En effet, s’inquiète-t-il, « le cabinet d’Alain Juppé [alors ministre des affaires étrangères – ndlr] proposera un seul candidat en la personne de René Roudaut, actuel ambassadeur de France en Hongrie ». Ce dernier est certes « doté de réelles qualités humaines » – il s’est même personnellement mouillé pour aider Nicolas Diat dans sa carrière –, mais il « peut être qualifié de centriste, proche des vieux principes de la démocratie chrétienne ».
René Roudaut est pourtant tout sauf un ennemi de la droite. « Je le connais bien. C’est un catholique profond ayant un amour réel de l’Église, un désir sincère de la servir – sans se départir de sa rigueur professionnelle –, et qui a une grande admiration pour Benoît XVI », avait par exemple plaidé le journaliste Guillaume Tabard, actuel rédacteur en chef au Figaro, dans un e-mail adressé à Patrick Buisson en mars 2011.
Tandis qu’il intrigue au sein de l’Élysée et qu’il s’enrichit en facturant 2,7 millions d’euros d’honoraires en sondages, Patrick Buisson entreprend aussi d’établir une liste d’une trentaine de prêtres et d’évêques français à « promouvoir », sur la base, là encore, de critères idéologiques.
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Le 13 mars 2011, comme l’ont raconté les journalistes du Monde Ariane Chemin et Vanessa Schneider dans le livre Le Mauvais Génie (Fayard), il « joue les maîtres de cérémonie, goûtant son triomphe avec délectation » pour la cérémonie de décoration de la Légion d’honneur de Nicolas Thévenin. Une cérémonie pour laquelle le discours a été préparé par Camille Pascal, et à laquelle sont conviés les évêques Marc Aillet, Dominique Rey et Alain Castet ou le conseiller Nicolas Diat.
Ce dernier voit aujourd’hui dans la place prise par Patrick Buisson au plus haut sommet de l’État un « cas d’école impressionnant », témoignant d’un « système institutionnellement très discutable ». « Il était obsédé par l’idée de montrer à Nicolas Sarkozy qu’il était le grand interlocuteur des sujets religieux, du Vatican, des évêques à Rome », se souvient-il, en reconnaissant le côté « fascinant » de sa démarche, dont il critique aujourd’hui l’esprit.
Avec le recul, Nicolas Diat déplore en effet que Patrick Buisson ait adopté une « posture maurrassienne d’instrumentalisation de l’Église, dans laquelle seule la politique prime », au profit d’intérêts bassement électoralistes.
Faire « monter » Retailleau
Cette « instrumentalisation » n’a cessé de s’accentuer au fur et à mesure de l’avancée de la campagne 2012 et des difficultés rencontrées par Nicolas Sarkozy. Le 22 avril, le président sortant n’arrive que deuxième du premier tour, 1 point derrière François Hollande. Dès le lendemain, un collaborateur de Claude Guéant au ministère de l’intérieur, Louis de Raguenel, s’entretient avec Camille Pascal et un prêtre parisien très en vue, le père Matthieu Rougé, aujourd’hui évêque de Nanterre (Hauts-de-Seine).
Dans l’après-midi, Louis de Raguenel, devenu un pilier d’Europe 1 (radio du groupe Bolloré) et directeur de la rédaction du JDNews, l’hebdomadaire du Journal du dimanche (propriété du groupe Bolloré), leur envoie depuis sa boîte e-mail du ministère de l’intérieur un message dont l’importance est, dit-il, « haute ».

« En ce qui concerne les cathos réacs, le PR [président de la République, Nicolas Sarkozy – ndlr], dans sa profession de foi, évoque très clairement son refus de l’euthanasie, du mariage et de l’adoption par des couples de même sexe », insiste Louis de Raguenel. Camille Pascal et Matthieu Rougé sont missionnés pour rassurer les plus réfractaires.
« J’ai pu m’entretenir longuement avec Vincent Montagne [directeur de la publication de Famille chrétienne – ndlr]. Le message est bien passé. Il veut une mobilisation totale », explique Camille Pascal. Le haut fonctionnaire indique aussi que Patrick Buisson récolte des signatures pour une « tribune du type : “nous sommes catholiques, nous croyons à un certain nombre de valeurs que seul Nicolas Sarkozy s’engage à défendre” ». Le père Rougé s’astreint quant à lui à rassurer des « soutiens de “Frigide” » (Frigide Barjot, porte-parole du collectif La Manif pour tous) et à rédiger une tribune. « La cible, ce sont les cathos qui veulent voter FH [François Hollande – ndlr] malgré ses “petites” transgressions… », explicite le prêtre.
Interrogé sur sa démarche, Matthieu Rougé explique aujourd’hui que son « texte n’était pas partisan mais éthique ». « Je n’étais en rien intégré à quelque équipe électorale que ce soit mais en dialogue avec tous ceux qui le souhaitaient, en vertu de la mission pastorale qui m’avait été confiée », ajoute l’évêque de Nanterre, en se disant « tout à fait défavorable à quelque entrisme que ce soit ».
« À ma connaissance, rien n’interdit de s’adresser directement à l’électorat catholique à travers des messages de portée politique », réagit aussi Camille Pascal, avant d’interroger : « Dans un pays qui, selon une enquête récente de l’Ifop, compte aujourd’hui 76 % de baptisés et 46 % de Français qui se disent rattachés à la religion catholique, peut-on vraiment parler de ciblage communautaire ? »
Bruno Retailleau n’a jamais dissimulé sa foi ardente. Ce n’est un secret pour personne.
Dans son e-mail du 23 avril 2012, Louis de Raguenel – qui n’a pas répondu à notre sollicitation – explique aussi à ses deux interlocuteurs la nécessité de « reconquérir l’électorat catholique dans l’ouest de la France ». Et pour cela, note-t-il, il faut « faire monter B. Retailleau ». À peine deux semaines plus tard, l’élu vendéen monte à la tribune pour ouvrir le dernier meeting de campagne de Nicolas Sarkozy, aux Sables-d’Olonne – événement au cours duquel le président insiste sur « le long manteau de cathédrales et d’églises » qui habille le territoire français.
Comme l’a rappelé une récente enquête du Nouvel Obs sur « le très catholique » ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau n’a jamais dissimulé sa foi ardente. Ce n’est un secret pour personne : ancien scénographe en chef du spectacle du Puy-du-Fou, il a commencé la politique aux côtés du souverainiste catholique Philippe de Villiers, qui aimait proférer « la République, c’est de la merde » autour de la table familiale, d’après l’un de ses fils (dans Tais-toi et pardonne !, Flammarion, 2011).

Après une longue éclipse médiatique, Philippe de Villiers est devenu depuis quelque temps une star de la chaîne CNews par la grâce de Vincent Bolloré, et ce pour le grand bonheur de l’extrême droite. « Philippe de Villiers est une personnalité intellectuelle majeure dans le pays. Depuis la mort de Patrick Buisson, c’est lui qui occupe le rôle de figure tutélaire de la droite : il a une grande influence », se réjouissait début juin dans Libération la députée européenne Sarah Knafo, par ailleurs compagne d’Éric Zemmour.
La foi de Bruno Retailleau, lui aussi choyé par tous les médias du groupe Bolloré, paraît d’ailleurs entrer en résonance avec nombre de ses engagements politiques, dès ses premières années à l’Assemblée nationale (1994-1997), puis au Sénat (2004-2024).
Beaucoup des thèmes qu’il a portés au Parlement ont été ceux de l’extrême droite catholique intégriste et de sa presse, comme le quotidien Présent : anti-mariage pour tous et pour la liberté des maires de ne pas les célébrer ; attaques contre l’association Act Up-Paris qui ferait « la promotion de conduites déviantes » dans sa lutte contre la propagation du sida ; refus du remboursement par la Sécurité sociale de l’examen d’amniocentèse qui, en cas de dépistage d’une trisomie – Bruno Retailleau parle de « mongolien » –, pourrait déboucher sur un avortement ; refus de la constitution d’une commission d’enquête sénatoriale sur la pédocriminalité dans l’Église…
Encore aujourd’hui, il est « opposé à l’inscription de l’IVG dans la Constitution, a refusé d’interdire les thérapies de conversion pour les homosexuels et, dix ans après, continue d’être opposé au mariage pour tous », s’alarmait le 26 juin l’ancien premier ministre Gabriel Attal dans un entretien au Monde.
Patrick Buisson a parfaitement théorisé l’enjeu essentiel d’une politique de civilisation.
Bruno Retailleau en 2023
Et il y a des fidélités qui ne trompent pas. L’un des principaux collaborateurs actuels de Bruno Retailleau au ministère de l’intérieur s’appelle Jean-Baptiste Doat – il est chargé de sa communication. Très politisé à la droite de la droite (il fut un responsable des jeunes du Mouvement pour la France, le parti de Philippe de Villiers), Doat est aussi un ancien protégé de Mgr Castet, l’un des évêques de la galaxie Buisson, qui avait créé la polémique en 2009 en le nommant secrétaire général adjoint de son archevêché en Vendée.
« Il y a une véritable différence idéologique entre Patrick Buisson et Bruno Retailleau », signifie pourtant Jean-Baptiste Doat. Le conseiller explique que « Patrick Buisson a découpé la France en strates, il envisage la confrontation de deux blocs. Un bloc constitué de ceux qui ont compris l’histoire de France, ses racines chrétiennes, et un autre bloc, ceux qui n’ont rien compris et qu’il faudrait combattre ».
Tandis que « Bruno Retailleau a toujours été hermétique à cette approche positiviste, contraire à l’approche gaullienne. Cette vision maurrassienne porte une vision du monde assez contradictoire avec une vision chrétienne de la politique, ce qui est quand même un problème quand on souhaite, comme le faisait Patrick Buisson, défendre l’héritage chrétien de la France. On ne peut pas considérer le pays comme un champ de divisions inéluctables », précise-t-il.
Le conseiller du ministre de l’intérieur y voit là un point de clivage entre la droite conservatrice, y compris « très conservatrice », et la droite dite « hors les murs », tout en reconnaissant la valeur des contributions de l’idéologue à la droite française.
À la mort de Patrick Buisson en 2023, Bruno Retailleau avait d’ailleurs publié un long hommage sur le réseau social X, dans lequel il saluait la puissance spirituelle de l’ancien conseiller élyséen : « Patrick Buisson avait compris et analysé un ressort essentiel de la vie collective : que ce sont les éléments immatériels, plus que les faits matériels, qui animent les individus et les nations […] Patrick Buisson a très bien montré que l’être supplantait l’avoir dans le cœur de l’homme. Il a parfaitement théorisé l’enjeu essentiel d’une politique de civilisation. »
Bruno Retailleau est désormais ministre de l’intérieur et des cultes, garant du respect de la laïcité.