Au Parlement européen, une motion de censure met en lumière l’incurie d’Ursula von der Leyen
La Commission européenne n’est pas mise en danger par une procédure déclenchée par 75 députés d’extrême droite. Les alliés malmenés par sa présidente en ont profité pour protester contre sa rupture du cordon sanitaire. La gauche radicale juge « hypocrites » toutes les forces qui se sont affrontées lors du débat.
Pour son premier anniversaire, la Commission européenne dirigée par Ursula von der Leyen fait l’objet d’une motion de censure. Lundi 7 juillet, les eurodéputé·es, réuni·es en session plénière à Strasbourg, débattaient du texte à l’initiative d’un parlementaire d’extrême droite, Gheorghe Piperea, issu de l’Alliance pour l’unité des Roumains et appartenant au groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE). Le vote, lui, se tiendra jeudi.
Pour être déposée, une motion de censure doit être soutenue par au moins un dixième de l’hémicycle, soit 72 signatures. C’est donc avec l’appui de 74 autres élu·es d’extrême droite, dont une partie était également issue du groupe des Patriotes pour l’Europe, que Gheorghe Piperea a choisi de confronter Ursula von der Leyen sur le terrain de la transparence et de l’État de droit.

Ursula Von der Leyen lors d’une session plénière du Parlement européen à Strasbourg, le 11 mars 2025. © Photo Philippe Buissin / Parlement européen
Valérie Hayer, eurodéputée Renew
Le choix, osé au regard du pedigree des signataires et de leurs partis respectifs, s’appuie sur deux dossiers à propos desquels la présidente de la Commission est en difficulté. L’un est le « Pfizergate » : le 14 mai, le Tribunal de l’Union européenne (UE) a estimé qu’Ursula von der Leyen n’avait pas suffisamment justifié son refus de rendre publics les textos qu’elle a échangés avec le PDG de cette firme pharmaceutique, qui a fourni des vaccins anti-covid aux États membres contre des milliards d’euros.
L’autre concerne son contournement du Parlement pour mettre en place rapidement l’instrument Safe (Security Action for Europe), dans le cadre de sa stratégie pour faciliter le réarmement européen. La commission des affaires juridiques a d’ailleurs voté à une écrasante majorité, le 24 juin, en faveur d’une action en justice contre cette procédure, qui avait justement été utilisée pour les achats de vaccins durant la pandémie.
Dans le même temps, les obsessions habituelles de l’extrême droite transparaissaient dans le texte de la motion, qui prétendait que la Commission s’était ingérée dans des scrutins électoraux nationaux au moyen du Digital Services Act (DSA), un outil pourtant modeste de régulation des plateformes numériques. « En fait, c’est une motion Donald Trump, commentait en amont du vote l’eurodéputé écologiste David Cormand. Ses auteurs sont des petits télégraphistes des oligarques de la tech états-unienne. »
Une extrême droite désunie
La prise de parole de Gheorghe Piperea, en ouverture des débats lundi, a confirmé la coloration idéologique très nette de la motion déposée. Après avoir fustigé « un processus décisionnel devenu opaque et arbitraire », ce qui peut mettre d’accord bien des adversaires voire des alliés théoriques d’Ursula von der Leyen, il a fustigé « le poids de l’immigration repos[ant] sur les épaules des pays les moins développés » et pris des accents complotistes en évoquant « un monde de peur […] qui a fait gagner beaucoup d’argent pendant la pandémie de covid ».
Le texte a reçu le soutien unanime des Patriotes pour l’Europe, groupe dans lequel siègent les élu·es du Rassemblement national (RN). C’est l’un d’entre eux, Fabrice Leggeri, qui a pris la parole pour dénoncer, sans craindre la contradiction, une Commission tout à la fois « bras armé d’intérêts privés » et pétrie « d’idéologie décroissante ». Son couplet sur l’abus de pouvoir tombait mal : en tant qu’ancien patron de Frontex, l’agence européenne de garde-côtes, il est sous le coup d’une plainte d’ONG pour avoir favorisé des refoulements illégaux de migrant·es.
Les échanges ont pris un tour farcesque quand le coprésident du groupe de Gheorghe Piperea, Nicola Procaccini, a lui-même pris ses distances avec une motion soutenue par une forte minorité de ses collègues de banc. Il faut dire qu’Ursula von der Leyen a pris le risque de crisper ses alliés de centre-gauche et de centre-droit en imposant, à un poste de vice-président de la Commission, un compatriote de Nicola Procaccini d’extrême droite, également issu de Fratelli d’Italia et donc du groupe CRE.
Mais ce sont ses justifications sur le fond qui étaient les plus intéressantes, et à vrai dire accablantes pour von der Leyen et son parti d’origine, le Parti populaire européen (PPE). « Cette motion est un cadeau à nos adversaires politiques », a-t-il asséné en visant la gauche et les écologistes. « Grâce à des majorités de centre-droit[comprendre « entre la droite et l’extrême droite » – ndlr], nous sommes en mesure de ramener du bon sens, a-t-il poursuivi. Je ne veux pas revenir en arrière, vers l’immigration sauvage et l’environnementalisme comme substitut au communisme. »
Les orphelins du cordon sanitaire
De fait, les épisodes se sont multipliés lors desquels le PPE et la présidente de la Commission, de concert avec certains États membres, sont revenus sur des acquis de la mandature précédente, marquée notamment par le Pacte vert. Un chantier intitulé « Omnibus » est clairement dédié à son détricotage.
Marquée par les mobilisations agricoles de 2024 et cédant aux sirènes des milieux d’affaires dans un contexte de guerres commerciales, la droite du PPE n’hésite pas à utiliser le poids accru de l’extrême droite, dans le nouveau Parlement, pour prendre à revers les écolos, les sociaux-démocrates et même certains libéraux du groupe Renew, où siègent les macronistes. Si une majorité est possible sans l’extrême droite, elle exige en effet de prendre en compte toutes ces sensibilités.
Qui sont vos vrais alliés ?
Les différends se sont récemment cristallisés sur une directive visant à empêcher le greenwashing(écoblanchiment) des entreprises, lorsque la Commission a emboîté le pas du PPE qui lui avait envoyé une lettre pour réclamer l’enterrement du texte. « Ce qui me choque le plus, confie l’eurodéputé socialiste Christophe Clergeau, c’est que je ne vois aucune volonté crédible de travailler avec les socialistes. Il n’y a jamais aucun signe de confiance et de respect qui puisse laisser penser que les engagements seront tenus. »
« Cette commission est une imposture, tranche David Cormand. Elle est censée reposer sur une coalition progressiste, mais en fait le PPE s’est arrogé les pleins pouvoirs en payant le prix du diable, celui de la collaboration de facto avec l’extrême droite. Celle-ci se satisfait de la situation, qui lui permet d’avancer son agenda sans qu’on puisse l’accuser de cogérer avec la droite. »
Le centre de gravité des votes se déplace vers la droite
Depuis ses débuts, l’intégration européenne fonctionne tendanciellement « au centre ». Cela reste encore en grande partie le cas. Pour l’instant, rappelle à Mediapart le chercheur en science politique Awenig Marié, en contrat postdoctoral à l’Université libre de Bruxelles, la grande coalition à l’européenne continue de fonctionner sur la majorité des votes.
Mais « dans les cas où la gauche sociale-démocrate et la droite du PPE ne s’entendent pas », et où une autre majorité est trouvée, « le centre de gravité se déplace de plus en plus vers la droite », observe-t-il. Les données dont il dispose témoignent bien d’une « évolution amorcée dès 2019, allant dans le sens d’une plus grande porosité entre la droite du PPE et les différentes variantes de droite radicale ».
« Cela correspond pour cette dernière, analyse-t-il, à une volonté de quitter l’opposition frontale pour se permettre de voter des textes allant dans “le bon sens”. C’est un phénomène similaire à ce qu’on voit à l’Assemblée nationale en France. »
À la tribune lundi, les soutiens potentiels d’Ursula von der Leyen l’ont vigoureusement interpellée, tout en assurant qu’ils n’apporteraient pas une seule voix à une motion issue de l’extrême droite.
« Vous nourrissez la bête, mais le jour viendra où la bête vous dévorera, a prévenu le Néerlandais Bas Eickhout pour les écologistes. Il est temps de mettre en place un cordon sanitaire. »
« Vous nous demandez de faire preuve de responsabilité à nous les proeuropéens, mais vous vous alliez à l’extrême droite », s’est exaspérée la présidente espagnole du groupe S&D, Iratxe García Pérez. « Avec qui voulez-vous gouverner ? », lui a-t-elle demandé, en écho à la question posée par la macroniste Valérie Hayer au nom de Renew : « Qui sont vos vrais alliés ? »
La « peur du vide »
À la gauche de l’hémicycle, le groupe coprésidé par l’Insoumise Manon Aubry et Martin Schirdewan, membre de Die Linke, ne prendra pas part au vote de jeudi, qu’il considère comme une mascarade. Le second, à la tribune, a d’ailleurs fait le service minimum et renvoyé toutes les autres forces politiques dans les cordes, en dénonçant une « politique d’immigration qui viole les droits humains » et une politique extérieure en « peau de chagrin ».
Contrairement aux groupes social-démocrate et écologiste, celui de la Gauche a été homogène et constant dans son opposition frontale à Ursula von der Leyen et sa Commission, la plus mal éluede l’histoire du Parlement, au prix d’une certaine marginalité. Auprès de Mediapart, l’un de ses membres s’agace des prises de parole scandalisées des deux premiers groupes, qui ont « refusé de poser des actes » en soutenant, bien avant l’extrême droite, une motion de censure préparée depuis les rangs les plus à gauche de l’hémicycle.
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La sociale-démocrate Iratxe García Pérez a certes menacé à la tribune : « Respectez l’accord de législature et votre parole. Si vous la trahissez de nouveau, sachez que la social-démocratie mènera la résistance. » Mais on sent bien que les élu·es de S&D et de l’écologie politique sont des orphelins d’un cordon sanitaire respecté par une droite décente, qui adapterait ses préférences idéologiques à une défense cohérente de l’État de droit. Et qu’ils n’ont, surtout, pas de plan de rechange.
C’est ce qu’admet Christophe Clergeau : « Il y a l’envie d’une confrontation politique et d’une clarification, mais aussi la peur du vide. La vie politique européenne peut-elle vraiment s’organiser avec une majorité de droite et d’extrême droite ? Il y a un côté vertigineux à mettre à bas un édifice sans savoir s’il y en a un autre derrière, qui soit souhaitable. Voilà pourquoi une éventuelle crise doit se faire sur des sujets déterminants » – c’est-à-dire la négociation du prochain budget à partir du second semestre.
En attendant, Ursula von der Leyen et le PPE ont promis, à la tribune, de « l’ouverture » contre toute évidence, et demandé le soutien des « proeuropéens » contre les « populistes », en martelant de nombreuses fois le nom de Vladimir Poutine pour mieux appeler à rentrer dans le rang.
La majorité parlementaire d’Ursula von der Leyen expose ses fractures au grand jour
Les eurodéputés ont débattu, lundi, d’une motion de censure contre la Commission, qui n’a aucune chance d’être adoptée. A cette occasion, les socialistes et les libéraux ont menacé Ursula von der Leyen de ne plus soutenir son agenda.

Cela ne fait quasiment aucun doute : la Commission d’Ursula von der Leyen devrait survivre à la motion de censure déposée à l’initiative de Gheorghe Piperea, un eurodéputé roumain du parti d’extrême droite AUR. Les nationalistes et leurs éventuels alliés, qui dénoncent le manque de transparence de l’exécutif communautaire lors de l’achat des vaccins contre le Covid-19, ne sont pas assez nombreux pour la faire tomber.
Mais, à entendre le débat qui s’est tenu dans l’hémicycle du Parlement européen, lundi 7 juillet, à Strasbourg, en amont du vote prévu jeudi, on peut se demander si les jours de la majorité parlementaire sur laquelle la présidente de l’exécutif communautaire s’appuie pour légiférer ne sont pas comptés.
Après avoir assuré qu’ils ne soutiendraient pas la motion de censure, les chrétiens-démocrates du Parti populaire européen (PPE), les sociaux-démocrates (S&D) et les libéraux de Renew ont, chacun à leur manière, mis Ursula von der Leyen face aux fractures béantes de sa majorité.
« Il y a une plateforme, pas une coalition », a lancé Manfred Weber, le président du PPE, la première force politique au sein du Parlement européen, mais aussi à la table des chefs d’Etat et de gouvernement et au collège des commissaires. En clair, l’élu bavarois de l’Union chrétienne-sociale (CSU) ne se sent pas lié aux S&D et à Renew par un quelconque accord qui, de fait, n’existe pas. « Le PPE mettra les considérations des gens au cœur » de son action, a-t-il poursuivi, même si cela signifie une alliance de fait avec les nationalistes.
Autre majorité
La percée des droites radicales aux élections européennes de juin 2024, ainsi que la chute des libéraux et des Verts, ont changé la donne. Les trois groupes nationalistes – les Conservateurs et réformistes européens (CRE), dominés par Fratelli d’Italia, la formation postfasciste de Giorgia Meloni, et le parti polonais Droit et justice ; les Patriotes pour l’Europe, construits autour du Rassemblement national et du Fidesz du Hongrois Viktor Orban ; et l’Europe des Nations souveraines (ENS), emmenée par Alternative für Deutschland, l’AfD allemande – offrent aujourd’hui à Manfred Weber une autre majorité.
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« Il n’y a plus de majorité sans le PPE, il est incontournable. Le Parlement européen n’avait pas connu de changement aussi radical depuis 1999, quand le PPE en est devenu le premier groupe politique à la place des S&D », juge l’ancien secrétaire général du Parlement européen (2009-2022) Klaus Welle. Manfred Weber ne se prive pas de se tourner vers sa droite, quand cela l’arrange : pour tuer un projet d’organe éthique européen, détricoter ce qui peut l’être du pacte vert européen ou durcir la politique migratoire de l’Union.
Le dernier exemple en date remonte à la semaine du 30 juin : avec l’aide des Patriotes pour l’Europe et de l’ENS, le PPE et les CRE se sont partagé le pilotage de dossiers législatifs qui ont pour objectif de permettre l’externalisation des demandes d’asile dans des pays tiers, comme le Royaume-Uni a voulu le faire avec le Rwanda.
A Ursula von der Leyen, qui appartient à l’aile progressiste de la CDU allemande et qui, durant son premier mandat (2019-2024), avait fait de la lutte contre le réchauffement climatique sa priorité, Manfred Weber a également envoyé un avertissement à peine voilé : elle lui doit son élection, a-t-il dit, en substance. « Von der Leyen est présidente de la Commission (…) parce que le PPE [dont elle était la candidate] a gagné les élections [européennes] », a-t-il lancé.
Sous la pression du PPE
Sous la pression du PPE et de l’extrême droite, l’ex-ministre d’Angela Merkel a dû, au nom de la compétitivité, reprendre en partie sa copie du pacte vert, lancer une entreprise de simplification sans précédent qui, à certains égards, s’assimile à de la dérégulation et durcir sa politique migratoire. Le 20 juin, deux jours après que le PPE, les CRE et les Patriotes en ont fait la demande, elle s’est ainsi dite prête à retirer une directive en cours de négociation destinée à lutter contre les allégations environnementales mensongères.
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Dans ces conditions, comment Ursula von der Leyen peut-elle tenir sa majorité ? Cette question existentielle l’occupe depuis l’investiture de son équipe par le Parlement européen, le 27 novembre 2024 : jamais une Commission n’a été si mal élue, avec des voix allant pourtant de l’extrême droite aux Verts.
Dans ce Parlement hautement instable, « la Commission von der Leyen a été élue sur une ligne politique complexe, qui, sur les sujets environnementaux ou de migration, n’est pas tenue », reconnaît un diplomate européen. Depuis un an qu’ils sont en fonction, les eurodéputés ont travaillé sur très peu de nouveaux projets de loi et passé beaucoup de temps à détricoter ce qu’ils avaient fait sous la législature précédente. Une situation d’autant plus génératrice de frustrations qu’Ursula von der Leyen exerce son pouvoir de façon extrêmement centralisée.
Le Parlement européen n’a pas non plus apprécié que la Commission le contourne en recourant à l’article 122, l’équivalent européen du 49.3 de la Constitution française, pour faire adopter un texte qui permettra à l’Union européenne d’accompagner l’effort militaire des Etats membres.
« A qui devez-vous [votre place] ? Avec qui voulez-vous travailler ? », lui a lancé Iratxe Garcia Perez, la présidente des S&D. « Tenez votre parole. Si vous la trahissez à nouveau, ne vous y trompez pas : les sociaux-démocrates prendront la tête de la résistance », a conclu la socialiste espagnole. « Aujourd’hui, Mme la présidente, vous assistez à l’impasse qui est la vôtre (…), en ayant laissé le PPE favoriser des alliances de circonstance avec l’extrême droite », a abondé la présidente de Renew, Valérie Hayer. Avant de poursuivre : « Je me dois désormais de vous le dire : rien n’est acquis. Ramenez de l’ordre dans votre famille politique. Reprenez la main. »
Les socialistes comme les libéraux ont dans le viseur deux moments fondamentaux pour la vie des institutions européennes : la présentation du budget 2028-2034, prévue le 16 juillet, et le discours sur l’état de l’Union qu’Ursula von der Leyen doit prononcer à Strasbourg, le 10 septembre.
Au Parlement européen, la droite et l’extrême droite se soutiennent sur le dossier migratoire
Au mépris de sa plateforme commune avec les libéraux et les sociaux-démocrates, le Parti populaire européen s’est allié avec les groupes nationalistes et souverainistes pour gérer plusieurs dossiers législatifs sensibles liés à l’immigration.

En matière d’immigration, les résultats des élections européennes, en juin 2024, ont donné une orientation claire vers un durcissement de la politique migratoire au niveau du continent avec la victoire des conservateurs du Parti populaire européen (PPE) et le renforcement de plusieurs groupes d’extrême droite. Alors que les eurodéputés se retrouvaient, à partir de lundi 7 juillet, à Strasbourg, pour leur dernière session avant les vacances d’été, ces groupes politiques passent désormais aux travaux pratiques.
Faisant fi de la plateforme majoritaire qu’il a créée avec les socialistes et les libéraux pour soutenir l’actuelle Commission, le PPE a décidé, le 4 juillet, de se rapprocher des groupes d’extrême droite au sein de la commission sur les affaires intérieures, chargée des questions migratoires, pour obtenir le pilotage de certains textes sensibles en cours de négociation : le règlement sur les pays tiers sûrs et le règlement sur les pays d’origine sûrs.
Ces dossiers concernent la dimension externe de la gestion des migrations. Le premier règlement, proposé fin mai par la Commission, doit autoriser les Etats européens à transférer hors d’Europe des réfugiés dans des centres de traitement des demandes d’asile. Le second, dévoilé en avril, doit permettre l’établissement d’une liste européenne des pays dits sûrs. Les Etats européens pourront alors traiter de manière accélérée les demandeurs d’asile en provenance de ces pays.
« Un sale accord »
« Ce sont deux textes très importants pour le PPE », rappelle l’Allemande Lena Dupont, qui coordonne les eurodéputés conservateurs au sein de la commission sur les affaires intérieures. Elle assure avoir longtemps discuté avec les socialistes et les libéraux « pour qu’un libéral puisse gérer ces textes ». Faute d’accord, un eurodéputé écologiste ou de la gauche radicale pouvait devenir rapporteur de ces dossiers législatifs. « Impossible pour nous. Nous avons préféré trouver une alternative pour sécuriser ces textes », explique Mme Dupont. Quitte à s’allier aux trois groupes d’extrême droite, dont les Patriotes pour l’Europe, dirigé par le président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, afin de mettre en minorité ses alliés et d’obtenir le suivi des textes.
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Cette version est néanmoins contestée. Les discussions étaient en fait déjà engagées depuis plusieurs semaines entre le PPE, les Conservateurs et réformistes européens (ECR, groupe des postfascistes italiens Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni) et les Patriotes pour l’Europe. « Il était inconcevable que les partis de gauche puissent obtenir ces textes, confie Fabrice Leggeri, des Patriotes. Nous étions prêts à soutenir le PPE sur ce dossier. » Le parti conservateur va donc gérer le destin législatif du règlement sur les pays tiers sûrs. ECR celui sur les pays d’origine sûrs.
« Cet accord est une entorse de plus au cordon sanitaire », se réjouit M. Leggeri. « Le PPE a conclu un sale accord avec l’extrême droite pour s’emparer de la proposition sur les pays tiers sûrs », cingle, pour sa part, le groupe socialiste, furieux de la manœuvre. « La situation est sans précédent », dénonce, passablement irritée, la libérale Fabienne Keller. En avril, Manfred Weber, le patron du PPE, « avait réaffirmé que toute coopération avec l’extrême droite n’était pas envisageable, reprend l’eurodéputée française. Cette position n’est pas confirmée dans les faits. »
Une présidence danoise très dure
Avec sa majorité alternative, assumée, le PPE va pouvoir promouvoir des textes beaucoup plus fermes. « Je ferai tout pour trouver une majorité au sein de notre plateforme commune avec les socialistes et les libéraux, tente de convaincre Mme Dupont. C’est notre ambition première. » M. Leggeri compte bien pour sa part participer activement à l’évolution des textes avec l’accord du PPE et d’ECR : « Nous avons montré que nous étions fiables », assure-t-il. Dès lors, la promesse de Mme Dupont peut-elle vraiment suffire à restaurer la confiance avec les socialistes et les libéraux ?
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« Cette situation est d’autant plus préoccupante à l’heure où la présidence danoise du conseil de l’UE a débuté le 1er juillet, souligne pour sa part Fabienne Keller. En matière de migration, elle souhaite durcir les trois règlements actuellement en discussion : retour, pays tiers sûrs et pays d’origine sûrs. Son objectif est d’appliquer au niveau européen ce qui a été fait au niveau national : réduire les flux de migrants en situation irrégulière et sécuriser les frontières extérieures. »
A Aarhus, lors de l’inauguration de sa présidence le 4 juillet, Mette Frederiksen, la première ministre danoise, s’est dite déterminée à renforcer l’arsenal législatif contre l’immigration clandestine. Son ministre chargé du dossier, Kaare Dybvad Bek, confiait à la presse sa volonté de faciliter la création de centres de gestion de demandeurs d’asile ou de plateforme de retour hors de l’Europe. « Nous voulons développer ces concepts », assurait le ministre, qui espère que l’Union européenne pourra un jour les financer. « Si ce n’est pas possible au niveau européen, concluait-il, je pense que les pays nordiques, par exemple, pourraient se mettre d’accord sur ce type d’arrangement. »