La colère contre les ZFE a été entretenue par droite et l’extrême droite avec l’aide de fausses informations

ZFE : « La campagne de désinformation a atteint des niveaux tels qu’il n’était plus possible de débattre des véritables problèmes causés par ce dispositif »

Tribune

Pour l’extrême droite et une partie de la droite, les nombreuses fausses informations qui ont circulé sur les zones à faibles émissions avaient pour objectif de récolter les fruits électoraux d’une colère ainsi entretenue, au détriment des 40 000 décès par an causés par la pollution, estiment le directeur de Terra Nova, Thierry Pech, et l’ancienne consultante à l’Elysée, Marine Braud.

Publié le 04 juillet 2025 à 13h00, modifié le 06 juillet 2025 à 18h35  Temps de Lecture 4 min.

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La classe politique semble avoir perdu tout courage face à la complexité de la transition écologique. A la première difficulté, elle recule plutôt que de travailler à améliorer les mesures mises en cause. Et comme les difficultés ne manquent pas, le rôle du législateur consiste de plus en plus à défaire le travail qu’il avait lui-même péniblement accompli ces dernières années. Issues des lois d’orientation des mobilités (2019) et Climat et résilience (2021), les zones à faibles émissions (ZFE), qui visent à interdire progressivement les véhicules les plus polluants, sont la dernière victime en date de ces palinodies parlementaires [leur suppression a été votée par les députés mardi 17 juin].

L’affaire illustre tous les mécanismes à l’œuvre pour enrayer la transition écologique : fausses informations diffusées ad nauseam par les populistes, manque de sensibilisation et d’anticipation de la part du gouvernement et des exécutifs locaux, accompagnement défaillant des ménages en difficulté…

En matière de manipulation de l’information, les ZFE ont été bien servies. Tout d’abord, contrairement à une idée reçue, il ne s’agit pas d’abord d’une mesure climatique mais d’une mesure de santé publique. Même si les ZFE participent d’une politique écologique, leur objectif premier est d’améliorer la qualité de l’air dans les agglomérations les plus polluées pour éviter les 40 000 décès prématurés par an qui en résultent, selon l’étude de Santé publique France publiée en 2021 Il est apparu nécessaire de réduire la circulation des véhicules les plus anciens, plus polluants car produits selon des normes moins contraignantes d’émissions de particules. Les opposants aux ZFE y ont vu la signature de « l’écologie punitive ».

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Ces derniers ont également fait croire aux citoyens – et aux parlementaires – que des restrictions de circulation importantes allaient être établies dans une quarantaine d’agglomérations. En réalité, ces ZFE n’auraient dû être coercitives que dans deux agglomérations dont le niveau de pollution dépasse les seuils sanitaires en vigueur : Paris et Lyon.

Toutes les autres villes de plus de 150 000 habitants devaient certes mettre en place des ZFE, mais sans aucune obligation de leur faire porter des interdictions. Il est donc faux de prétendre qu’elles auraient touché 10 millions de Français – et encore moins « la quasi-totalité de nos compatriotes », comme il était écrit dans une proposition de loi du Rassemblement national, déposée en septembre 2022.

L’objectif de cette campagne de désinformation était, pour l’extrême droite et une partie de la droite, de récolter les fruits électoraux d’une colère ainsi entretenue. Cette manipulation de l’opinion a atteint des niveaux tels qu’il n’était plus possible d’avoir un débat posé sur les véritables problèmes causés par ce dispositif. Car oui les ZFE risquaient de mettre certaines personnes dans l’impasse.

Etaler l’effort

Elles menaçaient en effet de pénaliser les ménages modestes qui habitent en dehors de la ZFE mais travaillent à l’intérieur et doivent emprunter chaque jour leur voiture pour gagner leur vie, faute de solution de rechange satisfaisante. C’est ce qui a valu aux ZFE la réputation de « zones à forte exclusion ». Le problème ne réside pas tant pour les catégories Crit’Air 4 et 5 : l’attrition naturelle du parc aura rapidement raison de ces véhicules très polluants mais aussi très anciens – plus de vingt ans. En revanche, la catégorie Crit’Air 3 concerne encore beaucoup de monde. C’est pourquoi nous avions nous-mêmes proposé que l’interdiction des Crit’Air 3 à Paris et Lyon soit reportée, afin que les ménages concernés aient plus de temps pour s’adapter.

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Car il valait mieux étaler l’effort dans le temps plutôt qu’y renoncer, pour une raison essentielle : les ZFE étaient aussi un rouage d’une mécanique plus vaste visant à réorganiser les mobilités du quotidien. Elles participaient ainsi d’un changement de paradigme dont l’objectif était triple. D’abord, préserver la santé des populations urbaines (singulièrement celle des enfants pauvres, premières victimes de ces pollutions) en écartant progressivement les véhicules les plus anciens.

Ensuite, préserver le climat en limitant les émissions de gaz à effet de serre liées à l’usage de la voiture individuelle : lutte contre l’autosolisme (les déplacements solitaires en voiture), développement des transports collectifs, de la voiture électrique… Enfin, préserver le budget des ménages : le véhicule thermique est plus cher à l’usage qu’un véhicule électrique ou qu’une solution de transport en commun. Sortir de la dépendance aux fossiles, c’est aussi redistribuer des milliards d’euros !

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Parce qu’elles incitaient à rechercher des solutions cohérentes avec ces trois objectifs, les ZFE faisaient partie d’un ensemble d’instruments aux côtés du bonus écologique, de la prime à la conversion, du développement des lignes de cars express à haute fréquence dans le périurbain, de voies spécifiques aux transports collectifs sur les grands axes routiers des couronnes urbaines, de pôles d’échanges multimodaux ou encore du développement de solution de leasing électrique à destination des publics modestes (notamment à la périphérie des ZFE…). Le déploiement de toutes ces politiques étant lui-même encore au-dessous du rythme nécessaire pour atteindre la neutralité carbone au milieu du siècle.

Les scientifiques l’ont dit récemment, l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C n’est plus atteignable. Dans ce contexte d’aggravation, l’éventail de nos options politiques se rétrécit rapidement : il faut opérer toutes ces mutations en simultané et en accéléré.

Le législateur en a décidé autrement. Il s’est assis sur ces considérations. Pas pour proposer mieux ou autre chose. Non, juste pour « simplifier », c’est-à-dire oublier les 40 000 décès prématurés annuels. Oublier la nécessaire réorganisation des mobilités du quotidien. Oublier que les ménages modestes sont chaque jour rançonnés par la dépendance aux fossiles. Oublier que les premières victimes du changement climatique seront ces mêmes populations vulnérables que le législateur disait vouloir protéger.

Marine Braud est consultante, ex-conseillère écologie à Matignon et à l’Elysée, cofondatrice d’Alameda Sustainability Advisory

Thierry Pech est directeur général du cercle de réflexion Terra Nova

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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