Les macronistes et le LR contre le droit international !

Accord d’association avec Israël : les « faucons » du camp présidentiel remontent au front

Des députés Ensemble pour la République ont, comme le RN, rejeté une résolution visant à suspendre l’accord commercial entre l’UE et Israël, s’opposant au passage à l’application du mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale contre Nétanyahou. Un vote qui a créé le malaise au sein même des rangs macronistes.

Pauline Graulle

4 juillet 2025 à 19h05  https://www.mediapart.fr/journal/politique/040725/accord-d-association-avec-israel-les-faucons-du-camp-presidentiel-remontent-au-front?utm_source=quotidienne-20250704-180236&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-%5BQUOTIDIENNE%5D-quotidienne-20250704-180236&M_BT=115359655566

La séance, dans la salle de la commission des affaires européennes, est passée presque inaperçue. Mercredi 2 juillet, un petit événement a pourtant eu lieu à l’Assemblée nationale. Pour la première fois depuis le 7-Octobre, les députés étaient ainsi appelés à se prononcer sur l’action de la diplomatie française vis-à-vis d’Israël. Si depuis 2023, le conflit israélo-palestinien innerve une grande partie des discussions au Palais-Bourbon, un débat solennel sur le sujet avait été organisé, deux semaines après les attentats terroristes du Hamas, dans l’hémicycle. Mais il n’avait à l’époque pas donné lieu à un vote.

Deux propositions de résolutions européennes (non contraignantes), l’une portée par la députée La France insoumise (LFI) Clémence Guetté, l’autre par Sabrina Sebaihi (Les Écologistes), étaient cette fois soumises au scrutin des parlementaires.

Malgré une écriture différente, les deux textes appelaient les députés à se prononcer sur un article unique visant à l’arrêt des « accords d’association » signés en 1995 entre l’Union européenne et Israël pour faciliter les échanges commerciaux. Des accords aujourd’hui remis en cause par la cheffe de la diplomatie européenne au vu de la guerre génocidaire menée par Benyamin Nétanyahou à Gaza.

L’objectif de la discussion était de prendre le pouls de la représentation nationale, alors même que le Conseil européen des affaires étrangères doit se prononcer, le 15 juillet, sur l’éventuelle suspension de l’accord.


Caroline Yadan, députée des Français de l’étranger (circonscription Italie, Grèce et Proche-Orient), à l’Assemblée nationale en janvier 2025. © Photo Eric Tschaen / Rea

Si la France n’a pas officiellement exprimé la position qu’elle défendra, l’exécutif a ouvert la porte à une révision, Emmanuel Macron estimant, au printemps, qu’on ne pouvait plus « rester sans rien faire »« J’appelle la Commission européenne à examiner cet accord et à montrer si Israël respecte ses obligations. Une fois qu’il est établi qu’une violation est manifeste, il existe une possibilité de suspension »expliquait aussi, le 20 mai, le ministre des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot.

Mercredi, les députés macronistes présents en commission ont tranché le flou entretenu par le gouvernement. Et, à l’unisson avec le Rassemblement national (RN), ils ont rejeté les deux textes portés par la gauche. Sans surprise, ils se sont opposés « avec force » à celui présenté par LFI au motif qu’il qualifiait la guerre de « génocidaire » et « assimil[ait] l’ensemble du gouvernement israélien à un régime à sanctionner ». Une « radicalité » qui « compromettrait toute perspective de relance d’un processus politique crédible et équilibré », a justifié la députée Ensemble pour la République (EPR) Emmanuelle Hoffman. 

Sa collègue Caroline Yadan, députée des Français de l’étranger (sa circonscription recouvre l’État hébreu), a été plus cash encore, estimant que le « véritable dessein » de la résolution de LFI, « parti qui a fait de la haine des Juifs son carburant électoral », était de « désigner Israël comme un État paria ». « [L’article unique] reprend mot pour mot la propagande et le narratif du Hamas », a affirmé celle qui défendait un amendement de suppression. « Si vraiment l’objectif de cette proposition de résolution était de défendre le peuple palestinien, elle demanderait au Hamas d’éviter d’utiliser la population civile comme bouclier humain [ou] d’éviter de placer des bases de lancement dans les hôpitaux, mosquées et écoles », a-t-elle martelé.

Les macronistes et le RN contre le droit international

Plus étonnant, les députés macronistes se sont aussi opposés à la proposition de résolution de « suspension » de l’accord portée par Sabrina Sebaihi. Le texte des Verts avait pourtant été rédigé pour être plus consensuel que celui de LFI. Au point que deux députées apparentées EPR, Éléonore Caroit et Amélia Lakrafi, avaient apposé leur signature au moment du dépôt du texte.

Las, Sabrina Sebaihi a eu beau rappeler qu’il avait fallu, « à juste titre », seulement quatre jours pour sanctionner la Russie après l’invasion de l’Ukraine, rien n’y a fait. « Nous ne pouvons souscrire à une logique de suspension hors d’un cadre européen concerté, ce qui risquerait d’isoler la France et de réduire à néant la capacité de négociation de l’Union », a cette fois avancé Emmanuelle Hoffman. « Il n’y a pas de génocide à Gaza, il y a la guerre », a quant à lui argué le RN Julien Odoul.

Vous ne pouvez pas nier la colonisation israélienne, tout cela est parfaitement établi.

Le député socialiste Philippe Brun

Pendant les trois heures de débat, l’ambiance s’est parfois tendue dans la salle de la commission des affaires européennes à l’atmosphère d’ordinaire si feutrée. Par exemple lorsque Caroline Yadan a refusé, à grand renfort d’arguties juridiques, d’employer le terme de colonisation au motif que l’instauration de l’État d’Israël participait d’un « mouvement d’émancipation »

« Venir nous donner des leçons d’interprétation de la Cour de justice internationale alors que vous niez le travail des Nations unies, de toutes les ONG les plus crédibles, ce n’est pas possible ! », s’est emportée la députée insoumise Gabrielle Cathala. « On ne peut pas soutenir ce que dit Mme Yadan. Vous ne pouvez pas assimiler toute la colonisation israélienne au sionisme ! Vous ne pouvez pas nier la colonisation israélienne et l’établissement de colonies en dehors des frontières, tout cela est parfaitement établi », s’est insurgé Philippe Brun.

Selon nos informations, Caroline Yadan a également déposé un autre amendement à la résolution insoumise, afin de supprimer la mention selon laquelle Israël pratiquerait un blocus humanitaire à Gaza, « ce qui constitue une contrevérité factuelle visant à la diabolisation d’Israël au sein de la représentation nationale ». Elle se serait finalement ravisée, compte tenu de sa portée pour le moins polémique. Contactée par Mediapart pour en savoir plus sur les raisons du retrait de son amendement, elle n’a pas donné suite.

Au lendemain de l’examen du texte, plusieurs députés macronistes reconnaissaient en tout cas avoir été gênés par la tournure prise par la séance. En déplacement au Brésil, Éléonore Caroit a refusé de répondre à nos questions sur le vote de ses collègues. Amélia Lakrafi faisait en revanche part de ses regrets. « Oui, je suis déçue du résultat », indique la députée qui avait ajouté une série d’amendements pour rendre le texte de Sabrina Sebaihi plus « acceptable » pour ses collègues. En vain.

Son amendement sur le soutien d’une initiative à deux États – auquel s’est opposé le RN Julien Odoul au prétexte qu’il était un « cadeau au Hamas » – n’a par ailleurs même pas été voté par la totalité des députés de son propre groupe. De quoi redoubler l’incompréhension de la députée face à l’attitude de ses collègues.

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Elle n’est pas la seule. D’autant que lors de la séance, un point a créé un intense malaise. En cause : l’amendement porté par le socialiste Philippe Brun pour « appel[er] les États membres de l’Union européenne » à appliquer les mandats d’arrêt délivrés par la Cour pénale internationale (CPI), contre le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, et son ministre de la défense, Yoav Gallant. 

Or, là encore à l’unisson avec le RN, les députés EPR Antoine Armand, Emmanuelle Hoffman, Sylvain Maillard, Charles Rodwell et Caroline Yadan ont voté contre – deux de leurs collègues, Céline Calvez (EPR) et Laurent Croizier (MoDem) se sont abstenus.

Mercredi matin, lors d’une audition devant la même commission des affaires européennes, Jean-Noël Barrot, interrogé sur l’utilisation de l’espace aérien français par le premier ministre israélien qui se rendra à Washington le 7 juillet, a défendu une ligne similaire. « Il n’y a aucune obligation d’interdire notre espace aérien ni d’y procéder à l’interpellation d’un individu sous mandat international », a-t-il annoncé devant les députés.

Un choix « particulièrement inquiétant », commentait Philippe Brun au sortir de la séance, mercredi soir. Sabrina Sebaihi, elle, s’étranglait : « On nage en plein délire ! Qui sont ces gens qui disent qu’il ne faut plus respecter le droit international ? » Sous couvert d’anonymat, un parlementaire macroniste confie lui aussi sa consternation. « Je ne comprends même pas qu’ils n’aient pas voté cet amendement. Soit ils sont convaincus qu’Israël est dans son bon droit, soit ils soignent un électorat, ou les deux », souffle-t-il, soulignant que l’ensemble du groupe macroniste est loin d’être sur la ligne portée par les députés présents à la commission.

Une offensive pro-Israël

Ces députés très pro-Israël, dont la plupart n’étaient pas membres de la commission des affaires européennes, auraient, selon nos informations, été minutieusement choisis par la direction du groupe parlementaire pour siéger mardi, afin d’imposer leur ligne au reste du groupe.

Ce que dément auprès de Mediapart la secrétaire générale d’EPR, avançant qu’elle manquait de volontaires, peu de députés ayant envie de « s’enquiller ce texte »« [Pour le reste] on a suivi la position du Quai d’Orsay sur les deux textes », avance Déborah Abisror-De Liem, qui reconnaît que, concernant les amendements en revanche, une certaine confusion a pu régner à certains moments, « les députés pensant voter pour le texte ».

S’il est fréquent que des députés ne siégeant pas officiellement dans les commissions puissent s’y inviter quand même, la proximité entre Caroline Yadan, Sylvain Maillard ou Antoine Armand et la direction du groupe EPR est néanmoins notoire. Depuis plusieurs années et plus encore depuis le 7-Octobre, ces derniers mènent, ensemble, une véritable offensive pour faire valoir le « droit d’Israël à se défendre » ou pour s’opposer à la reconnaissance par la France d’un État palestinien.

À commencer par Caroline Yadan et Sylvain Maillard, aficionados (comme les ministres Aurore Bergé, Benjamin Haddad et Manuel Valls, mais aussi bon nombre de députés) des voyages parlementaires organisés par le lobby Elnet. Et qui défendent, depuis des années, le pays de Nétanyahou dans l’hémicycle et dans les médias, de manière parfois peu alignée avec le Quai d’Orsay.

Le 7 octobre 2024, les deux députés s’étaient par exemple rendus en Israël en plein débat français sur l’armement de l’État hébreu. « Refuser l’accès aux armes, c’est mettre sur le même plan les terroristes et un État démocratique », avait alors affirmé, face caméra, Sylvain Maillard, alors qu’Emmanuel Macron s’était prononcé en faveur d’un embargo.

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Depuis son élection l’an dernier contre Meyer Habib, Caroline Yadan, qui s’était montrée relativement discrète entre 2022 et 2024 (elle siégeait alors au titre de suppléante de Stanislas Guerini, nommé ministre), a pris une importance croissante au sein du groupe EPR. Elle s’est ainsi illustrée par ses interventions fréquentes et vindicatives – notamment contre LFI qu’elle accuse régulièrement d’être antisémite en plein hémicycle –, portant dans leur quasi-totalité sur la situation au Proche-Orient ou sur l’antisémitisme. Mercredi, elle a également été élue vice-présidente de la commission d’enquête de Laurent Wauquiez sur les liens entre politiques et réseaux terroristes ou islamistes.

Le 28 mars, c’est encore elle qui prenait l’initiative d’une lettre, signée par 41 députés Renaissance, à destination de Jean-Noël Barrot, pour l’exhorter à s’opposer, « au nom de la France, au renouvellement du mandat de Francesca Albanese en tant que rapporteur spécial pour les territoires palestiniens, au sein du Conseil des droits de l’homme des Nations unies »

Pauline Graulle

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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