Primaire de la gauche : chronique d’une galère annoncée
À l’invitation de Lucie Castets, des leaders de gauche se sont engagés à avoir une candidature commune en 2027, selon des modalités qui seront arrêtées en fin d’année. L’initiative, présentée comme « historique », est plombée par l’absence des Insoumis, du PCF et de Place publique, ainsi que par le manque de dynamique citoyenne visible.
3 juillet 2025 à 07h29
BagneuxBagneux (Hauts-de-Seine).– Qu’elles semblent loin, les clameurs militantes qui avaient cueilli les leaders des partis de gauche, il y a un peu plus d’un an devant le siège des Écologistes à Paris. « Unissez-vous, ne nous trahissez pas ! », scandait alors la foule qui s’était réunie spontanément. Le Nouveau Front populaire (NFP) venait de naître après un long huis clos entre, notamment, l’Insoumis Manuel Bompard, le socialiste Olivier Faure, le communiste Fabien Roussel et l’écologiste Marine Tondelier. La mobilisation citoyenne ne leur avait pas vraiment laissé le choix.
Mercredi 2 juillet, à l’espace Léo-Ferré à Bagneux, c’est peu dire que l’enthousiasme est retombé. Les mêmes protagonistes devaient se rencontrer à l’invitation de Lucie Castets, que le NFP avait désignée comme candidate à Matignon, afin de réfléchir aux conditions d’une candidature commune en 2027. Mais ni La France insoumise (LFI), ni le Parti communiste français (PCF), ni Place publique n’ont répondu présents. Sans les journalistes, convié·es en fin de journée, la salle aurait été bien vide.
Dans la matinée, des associations, des syndicats et des expert·es ont argumenté en faveur de leviers d’union spécifiques face aux responsables politiques présent·es, dans un huis clos en mode mineur. Pour un militant associatif qui a participé à ces tables rondes, l’enjeu était aussi plus prosaïque : « Leur redonner confiance en eux. »
Floraine, militante aux Victoires populaires (ex-Primaire populaire), s’y est employée en citant le nom de Zohran Mamdani, candidat qui a remporté la primaire démocrate à New York (États-Unis) sur une ligne radicale en soulevant une dynamique populaire exemplaire. Elle a récolté une flopée d’approbations envieuses. Mais en matière de programme, d’adhésion populaire et enfin d’incarnation, tout reste à (re)faire pour cet espace politique qui n’a pas survécu aux dissensions – sur la stratégie parlementaire, le 7-Octobre, la censure…

« On leur a tendu des perches pour qu’ils créent des ponts entre société civile et partis politiques, qu’ils sortent de l’entre-soi. Maintenant ils ont les cartes en main. À nous de créer les conditions pour être l’alternative la plus désirable pour les électeurs et électrices du NFP », relate la militante.
Retrouver la confiance
L’après-midi, le premier secrétaire du Parti socialiste (PS), Olivier Faure, la secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier, et des responsables de petits partis unitaires dont on se demande pourquoi ils sont encore divisés – L’Après de Clémentine Autain, Génération·s d’Ali Rabeh et Benjamin Lucas, Debout de François Ruffin –, se sont retrouvés pour ébaucher une feuille de route. L’événement devait faire date à gauche. Lucie Castets a tenté de raviver les bons souvenirs du NFP en reproduisant en un clichél’esthétique d’une photo des « négociateurs » pour Matignon il y a un an, quand l’espoir d’une alternance de gauche était d’actualité.
Lors de la conférence de presse en fin de journée, elle a annoncé que les présent·es s’engageaient effectivement à avoir une candidature commune en 2027, qui serait désignée entre mai et octobre 2026 selon des modalités qui devraient être arrêtées d’ici à la fin de l’année. « Il n’y a pas un boulevard devant nous, mais ce chemin de crête, je le crois atteignable », a complété Olivier Faure, insistant sur le travail programmatique qui sera enclenché prochainement sur tout le territoire à travers des conventions. L’enjeu désormais ? « Produire une dynamique dans le pays », résume le député Alexis Corbière, membre de L’Après.
Car ce rendez-vous traduit aussi, en creux, la difficulté des partisan·es d’une candidature commune à faire exister cette option, Jean-Luc Mélenchon et Raphaël Glucksmann l’ayant balayée d’un revers de main en raison d’irréductibles désaccords politiques. Le premier a décrété le NFP rompu après la non-censure de François Bayrou par le PS. Le second, fort de son résultat – 13,8 % – aux élections européennes, pense pouvoir fédérer derrière lui, sans LFI.
Nous nous appuyons sur les 9 millions de voix du NFP, personne ne peut surplomber ça.
Alexis Corbière, député membre de L’Après
Devant les journalistes, les dirigeant·es réuni·es autour de Lucie Castets ont tenté de faire bonne figure, s’évertuant à se projeter vers un avenir unitaire incertain. Plusieurs scénarios expliqués par le politiste Rémi Lefebvre s’affrontent sur le mode de désignation. Et le chemin menant à la « primaire geyser » espérée par François Ruffinest semé d’embûches. À commencer par les partis eux-mêmes.
La veille, Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, a publié un courrier adressé à Lucie Castets pour justifier son absence : « L’heure n’est pas à faire un tour de table de potentiels candidats et candidates de gauche à l’élection présidentielle de 2027 quand tant de divisions demeurent à gauche aux élections municipales de 2026 ! », cingle-t-il. Une tonalité que regrette Stéphane Peu, coprésident du groupe communiste à l’Assemblée nationale : « J’aurais préféré que Fabien Roussel y aille. L’électorat de gauche est le plus lucide sur le risque de voir l’extrême droite arriver au pouvoir dans notre pays. Je n’arrive pas à comprendre les réticences des uns et des autres à essayer de montrer la volonté qui doit être la nôtre de s’unir », confie-t-il à Mediapart.
À LIRE AUSSIÀ Montargis, la gauche tient tête au RN, espérant « le début de la contre-attaque unitaire »
9 juin 2025
Raphaël Glucksmann a pour sa part enterré l’idée de participer à une primaire en mai, taclant le caractère insincère d’une hypothétique union entre son mouvement et celui de Jean-Luc Mélenchon. Il a revanche approuvé la plateforme de dialogue ouverte à tous les « progressistes », lancée par l’eurodéputé macroniste Pascal Canfin, qui fixe une borne « évidente » à la gauche de cet espace : LFI. L’essayiste a aussi présenté sa « vision pour la France » et obtenu le ralliement de l’ex-député Renaissance Sacha Houlié.
« Nous nous appuyons sur les 9 millions de voix du NFP, personne ne peut surplomber ça », tempère Alexis Corbière, qui pointe le décalage de Raphaël Glucksmann, qui n’a recueilli que 6 % des électeurs et électrices inscrit·es aux européennes.
Provoquer la dynamique
De manière symétrique, LFI a raillé l’entre-soi d’une primaire « alors qu’il faut parler à l’ensemble du pays », dixit Mathilde Panot. De plus, les Insoumis·es ne voient aucune raison de participer à un conclave dont les principaux membres disent contradictoirement que LFI est la bienvenue et qu’elle représente la pire option possible en cas de second tour à la présidentielle – à l’instar de Marine Tondelier et d’Olivier Faure. Ils tracent donc leur route, de meetings pour la VIe République en interviews de Jean-Luc Mélenchon dans l’hebdomadaire Le 1 hebdo ou l’émission de RMC « Les Grandes Gueules ».
Entre ces deux pôles, l’espace des « unitaires » s’est réduit comme un glaçon sous la canicule. Ce recroquevillement a même fait émerger des désaccords entre elles et eux, alors que les règles du processus sont encore virtuelles. La députée écologiste Sandrine Rousseau, qui aspire à participer à la compétition, a critiqué une « énième réunion du NFP ou de la Nupes [Nouvelle Union populaire écologique et sociale – ndlr] », en référence aux réunions à quatre qui ont rythmé les quelques mois d’existence des deux alliances, et fini par les étouffer. Elle en veut à la direction des Écologistes d’avoir adopté l’idée qu’une seule personne serait « désignée candidate pour chaque formation politique ».
C’est presque une révolution citoyenne qu’il faut faire. Que cette primaire soit la cérémonie d’ouverture des JO.
Sandrine Rousseau, députée écologiste
Dans L’Humanité, Marine Tondelier assume de penser à sa propre candidature, même si elle renvoie cette décision collective à plus tard : « Ma priorité, c’est que ce cadre commun existe et j’en suis l’une des garantes logiques au vu de ce qu’il s’est passé l’été dernier », dit-elle.
Tout en soutenant l’initiative de Lucie Castets, Sandrine Rousseau alerte sur la capacité des partis à « transformer l’or en plomb » : « C’est presque une révolution citoyenne qu’il faut faire. On a besoin d’ouvrir les vannes en grand. Est-ce que la réunion de quatre partis dans une pièce fermée peut générer ça ? J’ai envie de dire à Lucie Castets : il faut une explosion de progressisme, que cette primaire soit la cérémonie d’ouverture des JO. »
Invité par Lucie Castets en tant que délégué des collectifs locaux du NFP, l’ancien syndicaliste et militant altermondialiste Claude Debons est tout aussi exigeant. Et donc dubitatif. Il rappelle que si la Nupes et le NFP ont permis de sauver les meubles à gauche, ces alliances n’ont pas permis de faire reculer l’extrême droite : « Il faut faire mieux la prochaine fois. Et on n’est pas partis pour », confiait-il avant la réunion, en disant miser sur le mouvement social comme facteur unifiant.
Pour cette ancienne cheville ouvrière des comités antilibéraux en 2006-2007 – qui avaient échoué à présenter une candidature commune en 2007 –, si ce processus ne fait qu’ajouter une troisième candidature, partiellement unitaire, « ça n’ira pas loin ».
À LIRE AUSSIDavid Belliard, candidat écolo à Paris : « Dès le premier tour, faire tous ensemble »
2 juillet 2025
Si Raphaël Glucksmann et Jean-Luc Mélenchon se maintiennent indépendamment du cadre unitaire, l’hypothèse d’une accession au second tour de la candidature commune serait faible, et c’est le processus tout entier qui pourrait se déliter en faveur d’une dynamique de vote utile à gauche.
« Le seul moyen d’essayer d’éviter ce piège est de partir du programme et de créer une dynamique et une exigence de rassemblement autour de lui », conclut Claude Debons, qui a en mémoire l’échec de la primaire du PS en 2017.
François Ruffin, qui vient de lancer un mouvement national, Debout, espère faire participer un million de personnes à cette nouvelle primaire – qui ne dit pas encore son nom – pour « desserrer l’étau entre l’extrême droite et l’extrême argent ». « Si on se place en statique, on reste sous la couette, la gauche a perdu. On est à un point de départ, pas d’arrivée », expliquait-il avant la réunion de mercredi, en s’assignant pour but de « rouvrir un espace populaire à gauche ». Le 2 juillet avait, pour l’instant, tout d’une goutte pour provoquer une marée populaire.
Présidentielle 2027 : le « Front populaire » lance une primaire qui ne dit pas son nom
Réunis autour de Lucie Castets, Olivier Faure, Marine Tondelier, Clémentine Autain et François Ruffin ont acté le « principe d’un processus de désignation d’un candidat commun ». Les modalités doivent être validées d’ici à décembre pour une désignation de candidat entre mai et octobre 2026.

On prend les mêmes, ou presque, et on recommence… Un peu plus d’an après la naissance du Nouveau Front populaire (NFP), les huiles des partis de gauche et écologiste se sont réunies ce mercredi 2 juillet à Bagneux (Hauts-de-Seine). Un rendez-vous – sans La France insoumise, ni Place publique, ni le Parti communiste – organisé à l’initiative de Lucie Castets, candidate du NFP pour Matignon en 2024 devenue depuis la Don Quichotte de l’union de la gauche. Autour d’elle, une vingtaine de responsables socialistes, écologistes ou ex-insoumis, parmi lesquels Olivier Faure, Marine Tondelier, Clémentine Autain et François Ruffin. Autant de candidats putatifs à l’élection présidentielle de 2027.
Une journée comme « un point de départ », veut croire la socialiste Johanna Rolland, maire de Nantes et proche du premier secrétaire du PS. « C’est la première fois que ces personnalités disent, en même temps et au même endroit, leur désir de travailler à un projet en commun et à la désignation d’une candidature commune, explique-t-elle. Ça va mieux en le disant certes, mais ça va mieux en le disant ensemble surtout ! »
Une journée « de travail », ont surtout répété les plénipotentiaires qui ont enchaîné les échanges et auditions avec des représentants syndicaux, des chercheurs, experts et intellectuels de gauche et des membres d’ONG. Le déjeuner passé, c’est à huis clos qu’ils se sont attaqués à l’Himalaya de leurs problèmes : désigner un candidat commun.
Eviter la multiplication des candidatures
C’est bien sur cette question que les discussions ont coincé mercredi. Si tous ont acté l’organisation d’un « processus de désignation d’un candidat commun », selon les mots de Lucie Castets, le principe de la primaire n’a pas été validé. Le seul mot fait d’ailleurs grincer des dents, et ses modalités encore plus. Une primaire mais quelle primaire ? Avec quels candidats ? Un seul par parti ? Avec quels partis ?
Lucie Castets espérait l’organisation d’un tel scrutin avant les municipales de 2026 ; les socialistes, eux, préfèrent temporiser et attendre l’automne suivant les élections locales. Car au PS, on espère encore embarquer Raphaël Glucksmann, leur candidat aux européennes qui a décidé de faire cavalier seul.
Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Raphaël Glucksmann pose ses jalons, et son programmepour l’élection présidentielle 2027
Mardi 1er juillet, à l’Assemblée nationale, le cofondateur de Place Publique rencontrait Olivier Faure. Une rencontre prévue de longue date et qui devait attendre la fin du congrès socialiste. « Laisse-nous te démontrer que la démarche de candidature commune peut être puissante », a tenté de convaincre le clan du premier secrétaire. Dans l’entourage de M. Glucksmann, on ne déroge pas à la stratégie : construire sur la base du bon score aux européennes.
Réélu difficilement à la tête du PS, Olivier Faure a rappelé qu’un tel sujet devait être tranché au sein de sa formation politique, où l’idée d’une primaire ne plaît guère. Ses opposants au congrès, et notamment le président de groupe des députés PS, Boris Vallaud, insistent sur la nécessité de désigner « un premier des socialistes » avant de se lancer dans une primaire de toute la gauche pour éviter la multiplication des candidatures et la dispersion des voix roses. « Le mot “primaire” nécessite d’aller valider ça avec leurs militants, il faut nous laisser ce temps », a temporisé Marine Tondelier, qui a indiqué que Les Ecologistes présenteront « une candidature dans le cadre de ce processus ».
Plateforme programmatique
Les participants sont à tout le moins parvenus à se mettre d’accord sur des réunions hebdomadaires et un calendrier : d’ici à décembre 2025, les modalités de cette primaire qui ne doit dire son nom seront tranchées. Quelques mois plus tard, en avril 2026, c’est la plateforme programmatique qui verra le jour, fruit des six conventions thématiques qui seront organisées à partir de la rentrée de septembre. La désignation du candidat, elle, aura lieu entre mai et octobre 2026.
Ce 2 juillet, les absents se seront aussi fait remarquer. Il y a ceux qui ont été excusés telles Sophie Binet (CGT), Marylise Léon (CFDT) et Cécile Duflot (Oxfam) qui ont envoyé leurs représentants. Le secrétaire national du PCF a également décliné l’invitation. Tenté lui aussi par l’aventure présidentielle, il a pris la plume dans un courrier adressé à Lucie Castets et y écrit : « Nous voulons un rassemblement majoritaire à la hauteur des défis de la période et des attentes de nos concitoyens et non une union de façade (…). L’heure n’est pas à faire un tour de table de potentiels candidats et candidates de gauche à l’élection présidentielle de 2027 quand tant de divisions demeurent à gauche aux élections municipales de 2026. »
« On peut raconter ceux qui n’étaient pas là et ce qui ne marche pas, mais on peut aussi dire que les deux partis qui ont présenté des candidats, les écologistes et les socialistes, se mettent d’accord », se félicite Alexis Corbière, l’ex-« insoumis » devenu porte-parole de L’Après.
Lire aussi | Article réservé à nos abonnés François Ruffin lance « Debout ! » et avance ses pions à gauche pour l’élection présidentielle 2027
Une journée qui n’est pas sans rappeler celle qu’organisait Yannick Jadot en avril 2021 dans son « appel à l’union », avec les mêmes appareils politiques de l’époque, les insoumis en sus. L’affaire avait capoté, et Jean-Luc Mélenchon en était sorti gagnant à gauche un an plus tard à la présidentielle, et de loin. Une éventualité que ceux qui se sont réunis à Bagneux mercredi veulent à tout prix éviter. Un chemin semé d’embûches vers 2027, mais qu’ils semblent vouloir esquiver ensemble. Une première.