Déterminants de la cessation précoce d’activité des généralistes libéraux de Bourgogne-Franche-Comté de 2020 à 2024.

Ce n’est pas la médecine le problème, mais les conditions d’exercice » : pourquoi les généralistes déplaquent

Qu’est-ce qui poussent certains généralistes à déplaquer ? C’est la question à laquelle Agathe Kummerlé, interne en médecine générale auprès de la faculté de Besançon, a cherché à répondre dans sa thèse, soutenue en mai. La future praticienne, qui terminera ses études à l’automne, a interrogé neuf généralistes de Bourgogne-France-Comté qui ont décidé d’abandonner le libéral de manière précoce. Interview.  

02/07/2025 https://www.egora.fr/actus-pro/conditions-dexercice/ce-nest-pas-la-medecine-le-probleme-mais-les-conditions-dexercice?utm_source=Newsletter&utm_medium=gms_egora&utm_campaign=A_la_Une___jeudi_3_juillet_2025_6h&utm_medium=gms_egora&utm_source=email&utm_campaign=A%20la%20Une%20-%20jeudi%203%20juillet%202025%206h20250703&sc_src=email_4587753&sc_lid=175438712&sc_uid=XYBlorZBtz&sc_llid=26081&sc_eh=5d463c22601bc0401

Par Chloé Subileau

Egora : Dans votre thèse, vous vous êtes intéressée aux déterminants de la cessation précoce d’activité des généralistes libéraux de Bourgogne-Franche-Comté de 2020 à 2024. Pourquoi avoir choisi ce sujet ?Agathe Kummerlé : C’est assez simple. J’ai réalisé mon premier stage d’internat chez plusieurs médecins généralistes, dont une avec qui on parlait pas mal de tout ce qui concerne la médecine générale, et qui était impliquée également auprès de syndicats. C’était en plein pendant la négociation de la convention [médicale] de l’époque. Parallèlement à ça, cette médecin a appris, durant les six mois de ce stage, que trois collègues des alentours avaient décidé – alors qu’ils étaient jeunes et qu’ils commençaient leur exercice de généralistes – d’arrêter d’exercer en libéral et de se tourner vers autre chose.  

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C’est quelque chose qui, sur le moment, m’a beaucoup questionnée, parce que j’étais en train de faire des études pour devenir médecin généraliste. Quand on arrive à notre septième année d’études et on se rend compte que ceux qui ne sont pas si loin devant nous abandonnent, on se pose les questions du pourquoi et du comment.  

Vous vous êtes donc demandé pour quelles raisons ces médecins en sont venus à déplaquer ?

Les études de médecine sont, en quelque sorte, un investissement sur le long terme. Ce sont des études qui sont longues, on met quand même beaucoup de choses de côté [durant ces années].  

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En plus, personnellement, ce ne sont pas mes premières études. J’ai fait des études d’ingénieur avant, puis j’ai tout arrêté pour partir en médecine, pour reprendre à zéro parce que je voulais vraiment faire de la médecine générale. Ce n’est pas du tout un choix par défaut. J’étais plutôt convaincue de ce choix, donc de voir ces médecins déplaquer, ça m’a vraiment questionnée. La médecin chez qui j’étais en stage m’a [donc] proposé qu’on se penche sur le sujet toutes les deux et qu’on en fasse une thèse.

Vous avez interrogé neuf médecins pour réaliser cette thèse. Comment les avez-vous sélectionnés ?  

J’ai d’abord cherché à savoir s’il existait des listes officielles de personnes qui déplaquaient et qui cessaient leur exercice libéral. Mais ça n’existe tout simplement pas, car c’est impossible de savoir s’il y a des gens qui déplaquent d’un côté mais pas pour aller s’installer ailleurs. Ce n’était pas possible de savoir qui arrêtait pour réellement arrêter le libéral. On a donc procédé par bouche-à-oreille. Puis j’ai mis des annonces sur les groupes Facebook de personnes qui cherchent des remplaçants ou des successeurs. Comme ça, je suis arrivée – non sans mal, parce que ce n’est pas évident – à trouver neuf personnes qui avaient arrêté.  

Ce sont majoritairement des femmes avec enfants ou des personnes qui ont une vie de famille

Quels étaient leurs profils ? Etaient-ils variés ? 

Oui et non. Ce sont majoritairement des femmes avec enfants ou des personnes qui ont une vie de famille, que ce soit un conjoint, une conjointe ou des enfants. Et puis, ce sont surtout des personnes qui avaient un exercice semi-rural. Mais leurs profils individuels étaient [quand même] variés, leurs modes d’exercice aussi. Il y en a qui exerçaient en groupe, d’autres qui exerçaient tout seuls, d’autres en MSP… Il y avait un peu de tout, mais surtout des personnes qui avaient une vie de famille, et surtout des femmes.  

Vous mettez pourtant en évidence que le choix de la médecine, et en particulier de la médecine générale, était souvent « une vocation » pour ces généralistes…  

On s’attendrait à ce que ce soient ceux qui avaient hésité et qui avaient pris ça par défaut qui abandonnent. Mais pas du tout. Ce sont souvent des gens pour qui ce n’était pas forcément une évidence, mais qui étaient très impliqués, qui étaient contents de faire de la médecine générale. Ils le disent tous : ils aiment la médecine générale, même maintenant qu’ils l’ont quittée. Ce n’est pas la médecine générale le problème, ce sont bien les conditions dans lesquelles ils se retrouvent à exercer.

Quelles sont donc les principales raisons qui poussent ces généralistes à arrêter le libéral ?

Ce qui m’a le plus marquée, c’est que ces généralistes ont vraiment puisé dans toutes leurs ressources physiques, mentales, professionnelles et personnelles avant de se décider à abandonner pour leur « survie » et celle de leurs patients. Car, quand on n’est pas bien, on ne soigne pas bien non plus. Surtout, ces médecins se sont retrouvés généralement face à la pression démographique et ont dû parfois reprendre des patientèles lorsque leurs confrères sont partis en retraite dans un souci éthique de ne pas laisser des patients sur le bord de la route. Mais ils se sont retrouvés avec des charges de travail colossales.  

Généralement, des difficultés d’exercice se sont ajoutées à cela, notamment des difficultés pour coordonner l’exercice avec les spécialistes qui sont de plus en plus rares. Donc avoir un avis, adresser un patient rapidement, l’admettre à l’hôpital… Ça devenait un peu la croix et la bannière, et ils se sont retrouvés à adopter un exercice à des années-lumière de leur idéal du soin quand ils se sont installés en médecine générale. Et ça, c’était à l’origine d’un véritable conflit de valeur ; ça amène de la souffrance et de l’épuisement.  

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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