« Le retour en force de la médecine nucléaire contre le cancer »
Date de publication : 30 juin 2025 Temps de lecture: 2 min

Marine Legrand observe dans Le Parisien : « Sein, pancréas, cerveau, côlon, rein… Ces cancers pourraient être traités en injectant des traceurs radioactifs capables de détruire les cellules tumorales de l’intérieur ».
La journaliste livre un reportage à l’institut Gustave-Roussy à Villejuif (Val-de-Marne), qui « lance des essais sur les premiers patients ».
Elle explique que « cette manière de combattre le cancer a un nom : la radiothérapie interne vectorisée (RIV). Elle existe depuis des années mais était cantonnée jusqu’à présent au traitement du cancer de la thyroïde et, plus récemment, de la prostate et des tumeurs neuroendocrines. Désormais, elle pourrait être utilisée face au cancer du sein, du pancréas, du cerveau, du rein, du côlon, du foie, de la vessie… ».
La Pr Désirée Deandreis, cheffe du service de médecine nucléaire, remarque : « On a découvert que le marqueur du cancer de la prostate (le PSMA) fixait aussi le cancer du rein, pour lequel nous n’avions pas de cible jusqu’à maintenant, par exemple ».
Marine Legrand note que « les soignants ont surtout trouvé de nouveaux atomes bien plus efficaces que les anciens pour détruire les cellules malignes sans abîmer les organes sains autour : il s’agit des émetteurs alpha, comme le radium 223 ou l’actinium ». Frédéric Hubert, cadre de santé au service de médecine nucléaire, déclare ainsi : « Les alpha, c’est l’avenir ! ».
La journaliste indique que « l’hôpital val-de-marnais […] a bataillé pour obtenir les autorisations afin de mener des essais cliniques de phase 1, donc sur l’homme. Elle vient de l’obtenir et fait partie des rares centres européens capables d’administrer à l’humain ces fameux atomes vectorisés ».
Marine Legrand poursuit : « Gustave-Roussy a rénové entièrement les 200 m2 de son service de médecine nucléaire, s’est équipé d’appareils dernier cri (PET scans numériques et deux gamma-caméras plus rapides et plus précis), d’enceintes blindées pour préparer les médicaments radioactifs, de chambres protégées par du plomb, etc. ».
« Même les WC sont adaptés : l’urine des patients y est collectée dans des cuves dédiées. Elle y est stockée plusieurs jours, semaines voire mois, selon la dose de radioactivité délivrée au malade, «le temps qu’elle disparaisse naturellement» », continue la journaliste.
Elle conclut que « 13 essais cliniques sont prévus dans le service de médecine nucléaire en 2025 ».
La France est-elle prête pour le tsunami de la RIV ?
Dounia Hamdi, PharmD, PhD| 11 Juin 2025
Anciennement appelée radiothérapie métabolique, la thérapie ciblée par radionucléides est apparue dans les années quarante avec l’utilisation de l’iode 131 dans le traitement de certains cancers thyroïdiens. Les progrès technologiques et la meilleure compréhension de la biologie des cancers ont permis l’essor de la RIV dans le monde avec plus de 80 molécules en cours de développement. La France est-elle prête pour accueillir ces nouvelles innovations ? Nous faisons le point sur ce sujet. nullLISEZ LA SUITE CI-DESSOUS
La thérapie par radionucléides* puise ses origines dans la découverte de la radioactivité naturelle par Marie Curie au début du 20ème siècle. Dans les années 1940, les recherches de Saul Hertz utilisant des radioisotopes* de l’iode ont abouti à l’utilisation de l’iode 131 dans le traitement du cancer thyroïdien différencié. L’application initiale de l’iode radioactif a tiré parti de son absorption physiologique (ciblage passif) par la thyroïde. La vectorisation (ciblage actifréalisé à l’aide d’un chélateur) de radioisotopes à des molécules (peptides, anticorps monoclonaux) pouvant cibler certains organes ou tissus humains a permis l’essor de ce que l’on appelle la Radiothérapie Interne Vectorisée (RIV). (1,2)
A la différence de la curiethérapie, autre type de radiothérapie interne qui utilise des sources radioactives scellées, le traitement par RIV s’administre sous forme de médicament radiopharmaceutiqueprincipalement par voie IV ou per os. Contrairement à la radiothérapie (RT) externe qui utilise des photons ou des électrons à fort débit de dose en plusieurs fractions, l’action de la RIV est basée sur les rayonnements particulaires (principalement β ou α), émis par le radionucléide, et qui ont un parcours « bref » dans la matière. La RIV permet donc de délivrer en « continu » des rayonnements à faible débit de dose. De ce fait, il n’y a pas de fractionnement dans la RIV. Les protocoles thérapeutiques reposent sur des injections répétées à un intervalle défini par la cinétique du médicament radiopharmaceutique et de sa toxicité. Cette demi-vie est déterminée à la fois par la demi-vie biologique du vecteur et la demi-vie physique du radio-isotope, à la différence de la RT externe et de la curiethérapie où seule la source radioactive est prise en compte pour le calcul de la dose absorbée. (2)
In fine, lorsque le ciblage (rendu possible par le vecteur) est spécifique, la RIV délivre localement une forte dose de rayonnements sans irradier significativement les tissus environnants, ce qui représente un avantage majeur par rapport à la RT externe. Autre avantage par rapport aux thérapies systémiques non radiomarquées, la RIV permet d’évaluer la biodistribution du médicament en temps réel et au fil du temps. Les propriétés physiques du radionucléide déterminent la nature de l’imagerie réalisée. Bien que les radionucléides diagnostiques et thérapeutiques puissent être des radioisotopes différents, l’utilisation des mêmes paires isotopiques est avantageuse car cela garantit que les conjugués diagnostiques et thérapeutiques se comportent de manière identique in vitro et in vivo. Lorsque des produits radiopharmaceutiques diagnostiques et thérapeutiques sont utilisés de cette manière, on parle de « théranostique ». Cette approche combinée offre un outil unique pour sélectionner les patients susceptibles de bénéficier de la radiothérapie et pour aider à surveiller la réponse au traitement en post-cure. (2, 3) null
Qu’en est-il de l’efficacité clinique ?
Les indications actuelles de la RIV (hors essais cliniques) en France sont : (i) les cancers thyroïdiens différenciés (iode 131), (ii) les tumeurs neuroendocrines (lutétium 177), (iii) le cancer prostatique métastatique (lutétium 177, radium 223). L’expérience clinique a démontré que la RIV est peu adaptée aux tumeurs rapidement évolutives, aux tumeurs dédifférenciées ou mal vascularisées (qui capteront moins la radiopharmaceutique) et aux « grosses » tumeurs (pénétration limitée des rayonnements particulaires et hypoxie limitant l’effet cytotoxique des rayonnements). (3) Les indications actuelles sont certes limitées, et des incertitudes persistent quant au calcul précis de la dose (Gy) délivrée aux tumeurs et aux tissus sains, en particulier lorsque le patient a déjà subi une RT externe avant la RIV. (4) Toutefois, sur le principe, une même RIV peut être utilisée pour différents sous-types histologiques de tumeurs, à condition que la cible d’intérêt soit fortement exprimée dans la tumeur, permettant ainsi une thérapie « agnostique » des tumeurs. (2)nullnull
PLUS DE CONTENUS CI-DESSOUS
null
PUBLICITÉ
Concrètement, les industriels semblent investir massivement dans la RIV. En effet, il y aurait actuellement dans le monde 82 radiopharmaceutiques en cours de développement clinique, couvrant au moins 10 types de tumeurs solides et hématologiques. (5) La FDA vient même de « faire remonter les lignes » du lutecium77-PSMA dans le cancer de la prostate PSMA+ et résistants à la castration avant utilisation de la chimiothérapie. Dans ce contexte prometteur et compte tenu de la logistique lourde qu’impose l’utilisation de ces produits, l’écosystème français est-il prêt à accueillir ces nouvelles innovations thérapeutiques ? C’était le sujet d’une table ronde organisée par France Biotech le 4 avril dernier. (6)
Un parcours de soin qui nécessite des expertises pointues
Le professeur Frédéric Courbon (médecin nucléaire, Toulouse) a rapidement dressé le tableau de l’accès à la RIV en France et force est de constater qu’il y a une grande inégalité d’accès sur le territoire. Pour lui, il est nécessaire que les autorités de santé dressent un plan stratégique pour structurer la filière et permettre un accès équitable aux patients. Ce parcours est orchestré en France par le médecin nucléaire à qui l’oncologue adresse un patient potentiellement éligible à la RIV. Le médecin nucléaire vérifie l’éligibilité clinique du patient mais également la faisabilité technique de cette prise en charge (disponibilité d’un lit, du produit, etc.). Le radiopharmacien sécurise le parcours du médicament radiopharmaceutique, l’approvisionnement du produit, la préparation des produits de la RIV mais également ceux de l’imagerie pré-traitement par le manipulateur en radiopharmacie. Et enfin, le physicien médical qui est responsable de la dose délivrée aux patients (organes à risque et tumeur), au même titre que les physiciens médicaux dans les services de RT externe.null
Une structuration de la filière nécessaire pour assurer un accès équitable aux soins
Que demandent les acteurs de la filière pour répondre aux besoins croissants dans ce domaine ? D’abord augmenter le nombre d’internes en médecine nucléaire (actuellement 35-40/an) et leur donner la possibilité de se former durant six mois à la RIV, ce qui permettrait aux internes de prendre la mesure de la prise en charge de patients à un stade avancé de leur maladie. Le professeur Charlotte Lussey (médecin nucléaire, Paris) a en effet insisté sur le fait que la pratique des médecins nucléaires a radicalement changé ces dernières années avec l’avènement de la RIV. Ces derniers traitaient des patients en début de maladie (cancer de la thyroïde, prise unique d’iode 131, peu couteux) alors qu’actuellement, ils font face à des patients à un stade avancé de leur maladie et ayant été exposé à de multiples toxicités avec des thérapies très couteuses. Ce changement nécessite de former de nouveaux internes à la RIV et au versant oncologique avec une ouverture aux formations spécialisées transversales (FST) en cancérologie, ce qui n’est pas encore le cas, ceci afin de préparer la prescription combinée de RIV à d’autres molécules et la gestion des effets secondaires de ces traitements.
Même constat du côté des radiopharmaciens comme l’explique Dr Chloé Lamesa (radiopharmacienne, Toulouse). Environ 35 internes en radiopharmacie sont formés par an avec une activité majoritaire en établissement de soin pour des raisons réglementaires. Si la RIV est amenée à se développer dans le secteur du privé, il faudra former plus de radiopharmaciens. L’enjeu est que les cliniques privées de médecine nucléaire développent des PUI pour avoir l’autorisation de pratiquer la RIV en libéral.
Les manipulateurs en radiopharmacie militent eux pour une meilleure reconnaissance de leurs compétences. « C’est un métier qui a été confronté à une grosse tension démographique ces dernières années, avec un manque d’attractivité, certes, mais surtout un manque de fidélisation. Et quand on cherche un peu les causes, c’est que les perspectives d’évolution de ce métier sont quasi nulles, si ce n’est changer le métier … Donc, fort de ses compétences, le manipulateur, déjà fidèle collaborateur du médecin nucléaire, est peut-être un des acteurs qui pourrait venir en soutien à ce développement de la RIV, surtout qu’il y a une vraie volonté », a détaillé Séverine Moynat (CNP manipulateurs). Ce manque d’attractivité est également souligné par les physiciens médicaux qui, malgré un niveau universitaire élevé (allant de Bac+5 à Bac+10) et un statut de professionnel de santé reconnu, ne sont pas titulaires comme le précise Dr Laetitia Imbert (radiophysicienne, Nancy). LISEZ LA SUITE CI-DESSOUS
Une valorisation de la RIV dont les contours restent flous
PLUS DE CONTENUS CI-DESSOUS
PUBLICITÉ
La médecine nucléaire en France est dominée par le volet diagnostique avec deux millions d’actes par an, la partie thérapeutique ne représentant que 5 % de l’activité. Le Professeur Florent Cachin (médecin nucléaire, Clermont-Ferrand) a rappelé que cette activité thérapeutique était axée sur le traitement du cancer de la thyroïde (5000 doses/an). Cependant, l’activité globale a quasiment doublé en deux ans avec l’arrivée d’un nouveau traitement dans le cancer de la prostate en 2023. Les projections basées sur les essais en cours de développement prévoient l’arrivée de 4 à 5 nouvelles molécules thérapeutiques à un horizon de 5 à 10 ans, soit une estimation de 100 000 doses par an alors que seulement une trentaine de centres en France sont capables d’accueillir une activité de RIV.
« Actuellement, nous avons probablement la capacité de répondre au début du tunnel. Mais je crains que si on ne se structure pas, si on ne fédère pas les forces vives, nous ne pourrons pas, et dans un délai relativement court, répondre aux enjeux de la RIV », s’inquiète le Pr Cachin. Cette activité thérapeutique ne risque-t-elle pas d’étouffer le volet diagnostique ? Alors, quel modèle imaginer pour permettre d’accueillir toutes ces innovations ? Est-ce qu’on est sur des modèles de centres théranostiques ou sur des modèles plutôt éclatés ? « Je n’ai pas une réponse, mais ce sera probablement en plusieurs phases. Il n’est pas improbable que d’abord les centres dits experts déploient la technologie. Puis après, de fait, puisqu’il y aura un réel tsunami, les acteurs du privé viennent en appui. » répond le spécialiste.
PLUS DE CONTENUS CI-DESSOUS
PUBLICITÉ
Des acteurs privés de médecine nucléaire qui devront nécessairement être homologués pour pratiquer la RIV, ce qui représente un coût pour répondre aux exigences réglementaires. « Cela veut dire qu’il va falloir avoir un certain nombre de services de médecine nucléaire, de mention B pour répondre à cet enjeu majeur. Et là, il faut qu’on se mobilise tous, tous les acteurs de soins et tous les acteurs réglementaires et les partenaires industriels pour répondre à cet enjeu-là. Et c’est là où il faut de l’ambition et passer par un plan national de médecine nucléaire pour définir quels sont les besoins et comment on y répond. », conclut-il.
Sur la question du rôle des cliniques privées de médecine nucléaire, le docteur Georges-Philippe Fontaine (médecin nucléaire, Quimper) précise : « C’est difficile de se projeter dans un horizon qui s’est monté en deux ans. Il va y avoir une sorte de ruissellement. L’activité que vous développez progressivement va tellement se développer qu’il faudra que nous, les libéraux, on prenne le relais. » Mais, la question du financement de cette activité et de la réglementation rend l’horizon de ces « entrepreneurs » encore trop flou selon le praticien.
PLUS DE CONTENUS CI-DESSOUS
PUBLICITÉ
Faire que la France ne soit pas « le dernier wagon du train »
In fine, l’enjeu réel de la création de cette filière est d’éviter que la France ne soit pas le « dernier wagon du train » mais dans la locomotive de cette innovation, en créant un environnement – technique et réglementaire – favorable à l’inclusion de patients durant les phases précoces de développement clinique. « L’oncologie doit se prendre dans sa globalité, incluant la toxicité des traitements. Le grand bénéfice de la RIV, c’est leur bonne tolérance par rapport à d’autres types de traitements en oncologie. Les chimiothérapies ont un coût qui est moindre mais avec des toxicités beaucoup plus importantes qui nécessitent un management du patient plus important. Au même titre que les CAR-T cells, une autre technologie innovante et à risque (infectieux), il est nécessaire d’investir dans la RIV car c’est tout aussi innovant » estime le Dr Chloé Lamesa.
La France semble donc dotée de forces vives, volontaires et qui s’organisent pour intégrer la RIV dans leurs pratiques et leurs recherches. Les praticiens libéraux se disent prêts à intégrer cette pratique dans leur quotidien si le cadre réglementaire et la valorisation de ces actes sont économiquement viables. Alors, quel « business model » la France choisira-t-elle pour la RIV ? Les pouvoirs publics seront-ils au rendez-vous pour proposer un cadre souple et adapté ? Seul l’avenir nous le dira.
* Un radionucléide, ou radio-isotope, est un élément instable qui émet des rayonnements sous forme de positrons, d’électrons ou de particules bêta, de particules alpha, d’émissions Auger-Meitner ou de rayons gamma.
PLUS DE CONTENUS CI-DESSOUS
PUBLICITÉ
References
- Goldsmith SJ. Targeted Radionuclide Therapy: A Historical and Personal Review. Semin Nucl Med. 2020 Jan;50(1):87-97. doi: 10.1053/j.semnuclmed.2019.07.006.
- Salerno KE, Roy S, Ribaudo C, et al. A Primer on Radiopharmaceutical Therapy. Int J Radiat Oncol Biol Phys. 2023 Jan 1;115(1):48-59. doi: 10.1016/j.ijrobp.2022.08.010.
- https://www.fmcgastro.org/texte-postu/postu-2023/tumeurs-neuroendocrines-tout-ce-quil-faut-savoir-sur-la-radiotherapie-interne-vectorisee-riv/
- Pouget JP, Santoro L, Piron B, et al. From the target cell theory to a more integrated view of radiobiology in Targeted radionuclide therapy: The Montpellier group’s experience. Nucl Med Biol. 2022 Jan-Feb;104-105:53-64. doi: 10.1016/j.nucmedbio.2021.11.005.
- https://clearviewhcp.com/wp-content/uploads/2024/03/Radioligand-Therapy-Seizing-The-Opportunity.pdf
- Médecine nucléaire : accélérer l’émergence de la RIV en France. France Biotech. 04 avril 2025.