Le vote d’un moratoire sur les énergies renouvelables en pleine canicule tout comme les discussions sur la proposition de loi Duplomb témoignent de l’aveuglement d’une majorité de députés sur les risques environnementaux et sanitaires.

« Une part grandissante du personnel politique semble entretenir un rapport toujours plus distendu à la réalité environnementale »

Chronique

Stéphane Foucart

Le vote d’un moratoire sur les énergies renouvelables en pleine canicule tout comme les discussions sur la proposition de loi Duplomb témoignent de l’aveuglement d’une majorité de députés sur les risques environnementaux et sanitaires qui pèsent sur le pays, relève, dans sa chronique, Stéphane Foucart, journaliste au « Monde ».

Publié aujourd’hui à 06h45, modifié à 11h40  https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/06/29/une-part-grandissante-du-personnel-politique-semble-entretenir-un-rapport-toujours-plus-distendu-a-la-realite-environnementale_6616353_3232.html

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La pluie s’est invitée au Palais-Bourbon. Mercredi 25 juin dans la soirée, la violence de l’orage qui s’est abattu sur Paris a endommagé le toit de l’édifice et permis à un mince filet d’eau de s’écouler au beau milieu de l’Hémicycle. Le premier ministre, François Bayrou, a été légèrement éclaboussé et la séance suspendue. « Vous vous êtes aperçu qu’il pleuvait ? », s’est-il inquiété auprès de Roland Lescure, vice-président de l’Assemblée nationale.

Les responsables politiques sont souvent très attentifs à l’interprétation de ce genre de signes et aux images qu’ils produisent. En l’espèce, de nombreux commentateurs se sont amusé à y déceler un funeste présage pour l’avenir du gouvernement, mais quitte à y voir une parabole, autant considérer l’événement comme un rappel aux députés que, même dans le Palais-Bourbon, ils ne peuvent échapper tout à fait à la réalité physique du monde extérieur.

Sur la question environnementale, une part grandissante du personnel politique semble entretenir un rapport toujours plus distendu à cette réalité, jusqu’à parfois l’ignorer complètement. Le 19 juin, dans le même cénacle, et alors que commençait à sévir une canicule précoce, les députés présents votaient un moratoire sur le développement des énergies renouvelables – rappelons que la multiplication et l’aggravation des canicules est l’un des effets du réchauffement en cours, et qu’il n’existe aucun scénario de décarbonation qui n’ait recours aux énergies renouvelables. A la rédaction duMonde, la lecture de la dépêche relayant l’information a suscité chez les journalistes des rubriques concernées un moment d’incrédulité et de stupéfaction, certains se demandant si une coquille ou un contresens ne s’était pas glissé dans le texte. Mais non, c’était bien ce qu’il venait de se produire : en pleine canicule, un bras d’honneur parlementaire au climat.

 François Bayrou, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 25 juin 2025.
François Bayrou, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 25 juin 2025.  STEPHANE LEMOUTON/SIPA

Dans un même souffle, les députés présents, principalement d’extrême droite, votaient le redémarrage de la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin), arrêtée en 2020. Une perspective dont chacun sait qu’elle est impossible, de nombreuses opérations irréversibles ayant été réalisées sur l’installation, comme l’a expliqué au Monde Pierre Bois, le directeur général adjoint de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection. « Il n’existe pas, à ce jour, de solution technique qui permette de revenir en arrière », a-t-il précisé. Pourquoi, à ce prix, ne pas voter dans l’Hémicycle la mise au point d’un remède universel contre le cancer ? In fine, la remobilisation du bloc central et de l’opposition devrait conduire au rejet du texte, mais le seul fait que de telles dispositions aient pu être adoptées par la représentation nationale, ne serait-ce qu’un bref moment, est en soi une cause d’inquiétude.

Impacts sur l’eau, les sols, la biodiversité

Ce rapport toujours plus lâche à la réalité d’une majorité de la classe politique, du bloc central à l’extrême droite, transparaît aussi dans les discussions autour de la proposition de loi Duplomb (« visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur »). Celle-ci en est même une sorte de précipité. Elle vise à faciliter l’installation ou l’agrandissement des élevages industriels dont les effluents imprègnent de nitrates les cours d’eau, les nappes phréatiques et les écosystèmes côtiers, à permettre la multiplication des mégabassines, à réautoriser des insecticides dangereux, à mettre sous tutelle politique et industrielle l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. Le texte sera débattu, lundi 30 juin, en commission mixte paritaire et la composition de celle-ci – sept députés et sept sénateurs, principalement issus des droites et du bloc central – laisse peu de doute sur le fait que tout ou partie de la proposition devrait être adoptée, avant que le texte négocié ne revienne devant les deux assemblées.

Les promoteurs du texte, majoritaires à travers l’ensemble de la représentation nationale, jurent que cette loi ne pose aucun problème sérieux. Mais il faut, là encore, pour s’en convaincre, ignorer délibérément ce qu’il se passe hors de l’Hémicycle et des plateaux des chaînes d’info en continu.

Dans Libération, le 20 juin, une centaine d’organisations de la société civile – associations, syndicats agricoles, ONG, etc. – alertaient des risques environnementaux et sanitaires inhérents au texte. En mai, un millier de médecins et de scientifiques appelaient à son rejet. Dans Le Mondela Ligue contre le cancer, le conseil scientifique du CNRS, 20 sociétés savantes médicales et 15 associations de malades alertaient aussi, le 25 juin, des risques pour la santé publique. Le 27 juin, c’était une dizaine de directeurs de recherche du CNRS qui ont également pris fait et cause contre la proposition de loi dans une tribune. A bien des égards, il ne s’agit pas d’être pour ou contre le texte, mais de prendre acte de l’impact qu’aura l’application d’une telle loi sur la qualité de l’eau potable, les paysages, les sols, la biodiversité, la santé publique, l’intégrité de l’expertise, etc. Ou, en l’espèce, de choisir de l’ignorer.

Les faits semblent n’avoir en réalité plus aucune importance, et toute forme de délibération devient impossible, y compris sur les choses les plus simples. Sans cesse répétées, les justifications du texte ont, par exemple, fini par nous convaincre que l’agriculture française était systématiquement handicapée par une série de normes tatillonnes et absurdes. La réautorisation de l’acétamipride – un néonicotinoïde – prévue sur la betterave à sucre, est, par exemple, supposée y répondre. Mais la simple consultation des rendements comparés de cette culture, pour les trois principaux pays producteurs d’Europe, renvoie une image bien différente : entre 2000 et 2023, les rendements des planteurs français ont été, à une exception près, toujours supérieurs à ceux de leurs compétiteurs.

Stéphane Foucart

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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